
Iwan Lépingle © 2025 La Ribambulle
Nous avons profité de sa présence lors du FIBD pour poser nos questions à Iwan Lépingle qui avait quelques semaines plus tôt sorti un quatrième album chez Sarbacane, Submersion.
Bonjour, merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Merci à vous.
Est-ce que vous pouvez vous présenter pour nos lecteurs et lectrices qui vous découvriraient avec Submersion ?
Donc je m’appelle Iwan Lépingle et je suis auteur de bande dessinée. Ma dernière bande dessinée, Submersion, est la sixième que j’ai sortie. Elle est sortie en octobre dernier, octobre 2024, aux éditions Sarbacane.
C’est déjà votre quatrième album chez Sarbacane. On est sur une collaboration qui dure. Comment s’est faite la rencontre avec cette maison d’édition ?
De la manière vraiment standard, par l’envoi de dossier. J’ai d’abord envoyé une histoire qui était plus du texte illustré que de la bande dessinée, mais dans laquelle j’avais vraiment pris beaucoup de plaisir au dessin. Du coup, Fred Lavabre, des éditions Sarbacane, m’a dit « ouais c’est bien mais recontacte-moi quand ce sera une BD, quand il y aura une vraie histoire » (rires). Du coup, ça m’a donné l’énergie pour repartir sur autre chose et je lui ai présenté après un autre projet qui a donné lieu à la bande dessinée Akkinen – Zone toxique, qui est sortie en 2018.

Esma © Sarbacane 2021
Très bien. Moi, je vous ai découvert avec Esma, album que j’ai vraiment beaucoup aimé à sa sortie et que j’aime toujours autant à sa relecture. Comment vous aviez eu l’idée de ce sujet-là ?
Au moment où j’ai repris la bande dessinée, en 2018, je me suis dit qu’il fallait que je retravaille mon dessin. Donc au départ, ça partait d’un travail de dessin et je me suis inspiré d’un magazine de photos qui s’appelle 6mois, un magazine de reportage d’actualité. Ça me permettait de dessiner les bâtiments actuels, les vêtements. Et en parcourant les actualités qui étaient retranscrites dans cette revue, je suis tombé sur un reportage sur l’esclavage domestique qui m’a vraiment frappé. Et voilà, c’était le point de départ. Au départ, ce sont surtout des domestiques philippines ou ivoiriennes, quand ce sont plutôt des nourrices en région parisienne. Mais c’est vrai que je me sentais très loin de la culture philippine et du coup j’ai transformé la domestique philippine en une domestique d’origine turque.
Submersion, votre dernier album, est dans un format plus grand. C’était un souhait d’avoir des plus grandes pages ?
Oui, tout à fait ! Sur Esma, il y avait déjà des villas assez modernes, de personnes richissimes. Et j’avais pris beaucoup de plaisir à les dessiner, mais j’étais un petit peu à l’étroit.
Un peu frustré par la taille…
Du coup, j’ai demandé à l’éditeur de passer à un format plus grand. Je lui ai présenté aussi des croquis, quelques recherches pour justifier ce passage à un plus grand format. Ce qui a changé aussi, c’est que je suis passé en couleur numérique.
Oui, vous étiez à l’aquarelle avant…
C’était soit aquarelle, soit feutre. Donc des techniques traditionnelles, mais qui sont encore assez transparentes. Je voulais avoir des couleurs beaucoup plus tenues, plus denses, et le numérique permettait ça.
Une île sur la Volga (2019) / Submersion (2024) © Sarbacane
L’action de ce nouvel album se situe au fin fond de l’Écosse en 2045. Quelques mois après la mort de Wyatt dans un accident de voiture, ses frères Travis et Badger s’efforcent de tenter de continuer à vivre, mais Travis a un peu plus de mal à avancer. Et il ne croit pas la thèse officielle. On ne va pas en dire trop. Le polar semble vous plaire et vous réussir. Est-ce que ce scénario vous est venu rapidement ? Ou est-ce que vous avez eu plein de pistes que vous avez abandonnées, retravaillées ?
Oui, il y a eu plusieurs pistes, effectivement. À un moment donné, j’étais parti plus sur un ado en perdition, qui aurait atterri dans ce village-là. En revanche, je vais appeler ça « le petit effondrement ». La zone littorale est submergée et devient inhabitable. Ce n’est pas une apocalypse complète, mais c’est ce qu’on a pu voir avec Tchernobyl : il y a une zone qui devient impropre à la vie humaine. Ce contexte-là était présent assez tôt dans la germination de l’album.
Le fond était présent. Ce sont les histoires des personnages qui ont changé.
Voilà. Il fallait pouvoir retranscrire en termes humains ce que ça pouvait générer d’avoir une zone inhabitable. Le personnage du jeune ado qui est en perdition ne correspondait pas au contexte.
Ce que j’ai trouvé intéressant dans cet album-là, c’est que l’action se situe en 2045, mais vous n’insistez pas lourdement sur ce point, comme ça pourrait être le cas dans des albums : on aurait des explications convenues, on nous dirait bien « il y a 20 ans, on pouvait faire ça, ça a vachement changé », avec des dialogues un peu forcés. Évidemment, ce contexte a une importance énorme, parce que les mégamarées les ont obligés à déménager, à changer de travail, ils ne peuvent plus pêcher du poisson, maintenant ils sont avec les algues. Mais ce n’est pas le sujet, vous ne pointez pas du doigt, c’est ce qui se passe.
En fait, le fait de projeter une petite anticipation me permettait d’avoir une liberté de ton assez grande. C’est vrai qu’il n’y a pas de voitures volantes ou de robots qui servent le café. En revanche, ce phénomène de mégamarées n’existe pas, même si on a déjà des problèmes avec le trait de côte, etc. Mais ça me permettait à la fois d’avoir les coudées franches et aussi, quelque part, en plaçant l’action dans un futur, peut-être aussi que je veux essayer de rendre les choses un peu moins désastreuses que ce qu’elles pourraient être, en renforçant le côté fictionnel des choses.

Akkinen – Zone toxique © Sarbacane 2018
Vous aviez eu un peu la même approche pour Akkinen – Zone toxique. Là, c’était une entreprise d’exploitation qui était accusée d’empoisonner l’eau.
Oui oui.
Ce thème de l’écologie, c’est quelque chose qui vous parle beaucoup, ça vous tient à cœur, pour que ce soit la trame de fond de vos albums ?
Oui, les thèmes qui m’intéressent sont les thèmes d’actualité. Je pense que le dérèglement climatique est quelque chose qui est déjà en train d’impacter nos vies de manière vraiment importante. Ce sont des thèmes que j’ai envie d’aborder. Après, j’essaie de ne pas le faire de manière complètement pessimiste. Dans Akkinen – Zone toxique, c’était basé sur l’exploitation des sables bitumineux dans le Grand Nord canadien. Un désastre écologique. Mais en parallèle de ça, il y a aussi un côté plus poétique dans l’album, avec une jeune fille de 13 ans qui rencontre un gars qui construit des statues. Le thème n’est pas gai, mais le traitement fait en sorte qu’on ne referme pas le livre en se disant que tout est noir et tout est fichu. Je pense (rires).
Vous êtes passé à la colorisation numérique pour Submersion. C’est le sujet qui vous a poussé à changer pour ce que vous disiez, de beaucoup plus grandes pages, avec l’architecture ? Ou c’était une envie de longue date, d’essayer autre chose ?

Submersion © Sarbacane 2024
C’était plutôt une envie de longue date, effectivement. J’avais fait plusieurs albums avec la même technique, des techniques qui s’en approchaient. Du coup, j’avais envie de passer à autre chose. Le sujet aussi faisait en sorte parce que, comme il y a beaucoup de bâtiments en béton inspirés de l’architecture brutaliste, le numérique pouvait renforcer ce côté froid du béton et se mariait bien avec le thème et les décors.
Quels sont vos projets ? J’ai vu passer un projet d’adaptation d’un polar écrit par un de vos amis.
Oui… Pour l’instant, ce n’est pas…
C’est juste une idée ?
Comment dire ? Non, on a travaillé ensemble. Mais les choses… Son livre est très bien, il me plaît beaucoup, c’est pour ça que je me suis engagé dans ce projet-là. Mais il est difficile à adapter (rires). Pour le moment, j’ai commencé à prospecter un peu à droite à gauche, mais je ne suis pas vraiment convaincu de ce que moi j’ai pu faire.
Vous avez peut-être besoin de temps pour que ça repose ?
Oui, ou peut-être que je ne suis pas la bonne personne pour l’adapter. On verra (rires).
Est-ce que vous pensez situer un de vos albums en France un jour ? Est-ce que c’est un choix aussi pour le côté très fictionnel que ce soit ailleurs ?
Oui, j’aime bien placer mes récits ailleurs. Effectivement, j’ai du mal à les placer en France. C’est aussi ce que je vous disais tout à l’heure sur le fait de se dégager un peu du réel. Je parle déjà comme de situation sociale. Là, il y a l’histoire des gardes d’enfants dans Submersion. Il y a des choses qui sont concrètes et qui sont assez lourdes. Du coup, le fait de prendre un décalage soit dans le temps, soit dans l’espace, ça me permet aussi de faire en sorte que ce ne soit pas une chronique sociale. Je cherchais un peu aussi à ménager mon lecteur. Donc, c’est ce décalage-là qui m’intéresse.
Ça vous sert à créer une sorte de respiration.
Oui oui, exactement. Et du coup, de pouvoir aussi faire voyager le lecteur. C’est vrai que j’aime bien dessiner les grands espaces à côté des bâtiments brutalistes. Pour l’instant. Un récit qui se passe en montagne, par exemple, dans les Alpes françaises, pour moi, ça pourrait être possible.
D’accord. On va surveiller peut-être une apparition de montagne (rires). Vous avez vu du monde en dédicace. Les gens ont plutôt lu l’album ou ils viennent découvrir ? Ils avaient lu les précédents ?
Il y a eu pas mal de découvertes. Des gens qui ne me connaissaient pas du tout. Il y a aussi des gens qui avaient lu soit Akkinen, soit Esma et qui étaient présents pour suivre, même si à chaque fois, c’est une histoire complète.
Très bien, merci beaucoup !
Merci.
Propos recueillis par Chloé Lucidarme
Interview réalisée le vendredi 31 janvier 2025.
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