
La série Les Prométhéens fait partie des sorties marquantes de ce début d’année. Éditée aux éditions du Lombard, elle allie le talent de deux scénaristes, Henscher et Emmanuel Herzet, à celui d’un dessinateur espagnol, Rafa Sandoval, rompu aux techniques de l’industrie du comics. Une association qui envoie du lourd ! La Ribambulle a eu la chance et surtout le plaisir de s’immiscer discrètement dans le secret des Dieux afin d’en connaitre quelques rouages. Qu’Hadès m’emporte si j’oublie de te dire, qu’en fin d’interview, il y a un bonus rien que pour toi, lecteur !
Bonjour Messieurs. Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Henscher : Bonjour. J’ai 39 ans, je suis directeur d’écriture chez un grand éditeur de jeux vidéo. Parallèlement à mes activités salariées, j’écris un peu dans mon coin, essentiellement de la BD, même si je tente de percer sur d’autres formats. J’ai publié plusieurs séries, chez Casterman (Le Seigneur des couteaux) et au Lombard (Le Banni). J’ai également une série à venir chez Ankama.
Emmanuel Herzet : Bonjour. Je suis plus vieux. On me doit donc le respect ! Je suis enseignant dans la région de Namur en Belgique, dans des classes équivalentes à celles du collège en France. J’écris comme d’autres feraient du sport après le boulot, le week-end ou dès que l’occasion se présente. J’ai publié l’essentiel de mes séries au Lombard.
Rafa Sandoval : Holà. J’ai tout juste 40 ans. Je vis près de Barcelone, en Espagne. J’ai travaillé dans l’animation, notamment chez Disney, avant de me lancer à plein temps dans les comics, essentiellement sur le marché nord-américain. J’ai dessiné pour Marvel et DC, sur des séries comme Catwoman, X-Men ou encore Hulk.
D’où est venue l’idée de la série et donc d’intégrer les dieux de la mythologie grecque dans une fiction ?
H : Emmanuel répondra mieux que moi à cette question, puisque cette idée – géniale – est venue de lui. Pour ma part, je me suis borné à le convaincre de transposer la série du XIXème siècle dans son idée d’origine au XXIème siècle, et à faire des dieux les protagonistes de la série.
EH : D’une simple réflexion. Outre l’aspect du déclin de la foi en eux, pourquoi des panthéons entiers seraient-ils tombés dans l’oubli ? En fait, les Olympiens existent toujours. Ils sont obligés de se cacher, poursuivi par un tueur en série spécialisé dans le meurtre des dieux. Mon angle d’attaque différait totalement de celui de la série actuelle. Posé à l’époque victorienne, je galérais à tisser correctement la trame, dense pour une seule cervelle. Près d’abandonner, un jour, en discutant avec Henscher, il me dit très sérieusement quelque chose du genre : « Et si tu reprenais tout… à l’envers ! » et je lui réponds : « Bonne idée. Faisons-le à deux, alors ! »
Quelles ont-été vos sources d’inspiration ?
H : Pour Les Prométhéens, nous revenons constamment aux séries télé américaines que nous biberonnons allègrement. L’objectif d’ailleurs avoué de cette BD est d’en tirer un jour une adaptation audiovisuelle. Principalement, les références que je cite souvent sont Watchmen pour le côté super-héros déchus et Six Feet Under pour l’aspect familial qui est l’un de nos axes principaux.
EH : En effet, l’influence des séries télé est évidente sur l’écriture des auteurs actuels. Il y a tout ça évidemment mais il y a aussi ces fabuleuses histoires de dieux et déesses que la tradition nous a léguées et dont certaines ont juste l’air d’avoir été écrites en prévision de ce que nous en ferions dans Les Prométhéens. Henscher et moi avons re-potassé notre mythologie avec beaucoup de jubilation – il y a eu des cadeaux de Noël ou d’anniversaire sous la forme de pavés de mille pages – c’était une sorte de devoir agréable.
Le titre voudrait-il dire que les grands vainqueurs de cette histoire pourraient être les hommes crées par Prométhée ?
H : C’est une excellente question, bien que nous nous garderons de divulguer la fin de l’histoire qui est déjà prévue. Nous savons déjà dans les grandes lignes comment tout cela se conclue, et qui survit ou pas. Pour moi, les Prométhéens restent les Dieux qui ont offert le feu nucléaire aux hommes dans une tentative désespérée de se débarrasser de Thymos une bonne fois pour toute.
EH : On a pas mal cogité sur le titre. On en avait trouvé des très sexy. On s’est laissé tenter par la mode des titres anglais. On avait même trouvé un super néologisme sur des racines et des suffixes grecs. Et puis, le « Prométhéens » d’Henscher s’est imposé naturellement. On y revenait toujours ; il expliquait très bien ce que nous voulions raconter et justifiera à merveille l’ensemble de la série, en lecture rétrospective. Après le trentième épisode.
Est-ce qu’il y a un message particulier que vous souhaitez passer à travers cette série ? Du genre, les dieux sont à l’origine de tous les maux de l’homme !
H : Je ne sais pas s’il y a un message à proprement parler. Des thèmes, sans nul doute, que ce soit la famille, le rapport à la légende également. Il y a aussi la question des conflits de génération, qui découle à la fois du thème familial mais également de la période que nous traversons, source de grands bouleversements. Certains vont tenter d’y résister, d’autres vont au contraire saisir ce qu’ils vont voir comme des opportunités.
EH : Non, pas de message précis. Au départ, une envie de s’amuser avec cette famille de turbulents qui, d’après la mythologie, a beaucoup joué de son côté avec nous, les humains. C’était un exercice intéressant de transposer ces personnages à notre époque, de voir que la notion de panthéon a glissé au fil des siècles. On est passé de dieux en chair et en os à l’image de l’homme vers des technologies dont on ne sait plus se passer, par exemple. L’essentiel est surtout d’offrir un divertissement de qualité aux lecteurs.
Rafa, comment en es-tu venu à travailler sur ce projet des Prométhéens ?
RS : Tout a commencé lors d’une convention à New York, il y a quelques années déjà. L’éditeur – Antoine Maurel – m’a approché pour me présenter ce projet. J’ai immédiatement accroché à l’histoire. J’ai fait deux planches d’essai, quelques personnages, et c’était parti !
Quelles ont été les motivations pour faire une BD dans le style franco-belge, toi qui es habitué à travailler pour le marché américain ?
RS : Il y a plusieurs choses qui m’ont attiré dans ce projet. D’une part, cela faisait un moment que je souhaitais faire un projet en Europe, et d’autre part, je suis moi-même un grand fan de mythologie grecque. Du coup, Les Prométhéens réunissaient ces deux conditions, en plus d’un pitch auquel il était difficile de résister.
Quels objectifs t’étais-tu fixés ?
RS : Au-delà de faire mon travail du mieux que je peux et de faire honneur à cette histoire, j’essaye de rendre au mieux les nombreux personnages qui apparaissent dans Les Prométhéens. Ils ont tous des personnalités très différentes et hautes en couleurs. J’espère que cela se ressent aussi à travers mon dessin.
Quelles premières conclusions peux-tu tirer de cette expérience après ces deux tomes ?
RS : Les deux premiers tomes ont bien posé les relations entre les personnages, les liens familiaux entre les dieux et les différents enjeux. Au sortir du tome 2, le lecteur est pour ainsi dire dans une zone de calme avant la tempête. La suite va comporter beaucoup d’action, et quelques grosses surprises.
Le premier tome pose les bases du récit et il y est essentiellement question des dieux. Dans le second, vous accordez plus de place au commun des mortels. Le troisième sera-t-il centré sur l’âme (Thymos en grec ancien) tourmentée ?
H : La question du point de vue des humains était une contrepartie offerte au Lombard qui craignait que les lecteurs ne puissent s’identifier à des dieux. Par la suite, nous avons trouvé un moyen de rendre organique l’arrivée de ces personnages mortels dans le conflit qui oppose les dieux à Thymos. Même si cela nous a contraints à faire passer les dieux au second plan dans ce tome. Mais tu ne crois pas si bien dire, puisque le troisième tome ne dévoilera rien moins que l’identité de Thymos.
EH : Si je développe la réponse d’Henscher, il sera obligé de te tuer après.
Comment organisez-vous votre écriture à quatre mains ?
H : Nous concevons tout à quatre mains, de la trame aux personnages. Puis quand nous avons le déroulé d’un tome, nous nous répartissons le découpage par séquences, de façon à ce que nous ayons le même nombre de pages. Puis une fois que le tome est écrit, nous repassons dessus ensemble pour s’assurer de la narration et surtout pour régler, peaufiner les dialogues sur lesquels nous pouvons revenir trois ou quatre fois. Travailler en duo comporte énormément d’avantages et c’est quelque chose que nous avons déjà prévu de renouveler. Nous travaillons déjà sur notre prochaine série commune.
EH : Henscher a bien décrit l’aspect pratique. C’est du ping-pong, à coup de séances de Skype hebdomadaires. Personnellement, notre réunion de travail, c’est un peu ma série télé du mardi soir. Louper un épisode pour X raison crée un effet de vide. Venant de plusieurs expériences d’écriture à quatre mains, je suis un partisan convaincu de l’écriture chorale. Ça nous éloigne un peu des Prométhéens mais on peut dire ce qu’on veut, à ce niveau-là, les Américains ont tout compris. En franco-belge, les auteurs s’accrochent à leur idée originale, ils sont frileux de la partager. Moi, je trouve qu’une idée ne devient géniale que quand elle entre en résonance avec le regard neuf d’un collaborateur.
L’exercice n’est pas si aisé que cela dans la mesure où il faut concilier la totale liberté de la fiction et le respect de la Mythologie. C’est en fait un double défi. Comment l’avez-vous géré ? Et quelle est votre ligne directrice ?
H : Nous traitons la Mythologie de la même façon que d’autres revisitent l’Histoire : comme une version officielle. Comme dans toute version officielle, il y a les zones d’ombres, les erreurs d’interprétation, voire les mensonges éhontés, qui sont autant d’interstices dont nous profitons pour écrire notre propre version du Mythe. Cela dit, nous respectons en grande partie la Mythologie traditionnelle qui, à chaque fois que nous vérifions, semble avoir préparé le terrain pour Les Prométhéens. C’est particulièrement vrai des relations entre les différents dieux.
EH : Exactement ! Selon le principe de Druon avec ses Rois maudits. Et quand les traditions diffèrent entre elles, nous cherchons à garder celle qui colle le mieux à notre propos. Le public connait la mythologie dans ses grandes lignes. Il faut veiller à ne pas trop le déstabiliser avec des versions totalement opposées à ses représentations habituelles. Personnellement, j’ai été surpris de découvrir par moments qu’il était temps de rafraîchir mes fiches concernant certains personnages, certains mythes… Pour conclure, plus j’y réfléchis, plus je soupçonne très fort qu’Henscher et moi ayons été aède dans une vie antérieure.
Rafa, le fait de travailler avec un encreur et un coloriste est typique des productions américaines. Tu ne concevais pas de travailler autrement pour Le Prométhéens ?
RS : Il est vrai que cette façon de travailler est typique du comics, mais c’est aussi pour cela que le Lombard est venu me chercher. C’est le style que les scénaristes recherchaient et la coloration qu’ils voulaient donner au projet. Vu le rythme élevé de deux albums par an, je n’aurais de toute façon pas le temps de tout faire. Jordi et David sont deux grands professionnels, et ils ont toute ma confiance.
Pour dessiner les personnages, quelles ont été tes références ?
RS : Mes principales références pour ce projet sont bien sûr les films qui traitent de la mythologie grecque. Cependant je me suis aussi amusé à glisser dans les décors plein de références à la culture populaire/comics, comme autant de clins d’œil complices au lecteur un peu attentif.
Tes cadrages sont super dynamiques. T’inspires-tu du cinéma ou est-ce juste naturel chez toi, comme un don des dieux ?
RS : Ah ah ah ! Parfois je m’inspire en effet du cinéma et de certains films, mais c’est assez rare en fait. Essentiellement, j’ai toujours beaucoup aimé jouer avec les cadrages et les angles de caméra pour bousculer la narration. Pour ainsi dire, ça a toujours été ma signature.
Merci Messieurs pour le temps consacré à ces quelques questions.
H, EH et RS : Merci à toi.
Propos recueillis par Stéphane Girardot
Interview réalisée le 9 novembre 2015.
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