
Hannah Templer © 2023 La Ribambulle
Les éditions Bliss ont eu la bonne idée de faire venir au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême l’autrice américaine Hannah Templer. Nous avons donc sauté sur l’occasion de la rencontrer pour qu’elle nous parle de la genèse de sa série Cosmoknights, dont le premier volume vient de paraitre.
Bonjour Hannah. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Hannah Templer, et je suis dessinatrice. Je vis à Baltimore aux Etats-Unis. Je fais des comics depuis environ 10 ans maintenant. J’étais illustratrice avant mais aujourd’hui je fais des comics à temps plein. Cosmoknights est mon premier roman graphique. Mais j’ai aussi fait quelques autres travaux avec d’autres éditeurs, comme des couvertures ou encore des couleurs pour d’autres comics. Je travaille pour Glow. L’année dernière, j’ai également fait un autre livre (Tombée d’une autre planète) à propos de Patricia Highsmith avec une autre autrice, Grace Ellis. Quant à la suite de Cosmoknights, elle est terminée et sortira aux Etats-Unis au mois de juin.
Cosmoknights est votre première publication en France. Est-ce que c’était un but, de publier en France ?
Oui ! Ma mère est française, elle est originaire de Lyon. En fait, ma grand-mère, mes oncles et mes cousins voulaient lire mon livre et maintenant ils peuvent ! C’est vraiment excitant ! Je viens les voir régulièrement, donc oui c’est vraiment très personnel pour moi de publier mon livre en France.
C’est la première fois que vous venez au festival d’Angoulême ?
Oui, c’est la première fois. J’ai l’habitude d’aller souvent à Lyon pour voir ma famille et mon oncle m’emmenait souvent acheter des bandes dessinées en français en grandissant. Donc maintenant quand on ira, on pourra y voir mon livre !
Cosmoknights est avant tout un webcomics. Est-ce que c’était ce que vous vouliez faire ou bien vouliez-vous en faire d’abord un livre ?
Ca a commencé comme un webcomics. Je n’avais pas vraiment de plan pour le publier, en fait. Je voulais juste le faire sur le web. La raison principale est que, avant que je fasse mon coming out en tant que queer, alors que je ne savais pas encore que j’étais lesbienne, j’explorais les webcomics, je pouvais lire en ligne et c’était une façon sécurisée de le faire. Sans avoir de livres à la maison parce que je ne voulais pas que les autres le sachent. Donc pour moi c’était important de pouvoir lire en ligne. Quand j’ai commencé Cosmoknights, je voulais créer quelque chose que d’autres personnes comme moi pourraient lire en ligne gratuitement et ne pas s’inquiéter d’avoir des livres à la maison.
Comment s’est passée la publication ?
Un éditeur l’a lu en ligne et m’a contacté car il voulait le publier, ce qui était à la fois une très grande surprise, mais aussi génial ! Je me sens si chanceuse. Donc c’est devenu un livre mais j’ai prévenu l’éditeur que je voulais le garder en ligne également car je veux que les gens, surtout les adolescents, qui ont peut-être des difficultés à la maison, puissent y avoir accès tout de même.
En France, Cosmoknights est édité par Bliss. Est-ce que c’est vous qui les avez contacté ou votre éditeur ?
En fait, je ne sais pas. Je pense que Bliss l’a vu en anglais et a demandé pour le traduire et l’éditer, ce qui est une vraie chance.
C’est une histoire un peu spéciale qui mélange le médiéval et le futur. D’où vous est venue cette idée ?
C’est une bonne question… Je pense qu’il y a deux parties. Premièrement, grandissant avec les films Disney et leurs princesses, je pense qu’en tant que personne queer, vous voyez tout ça mais c’est très hétéro-normé. Vous savez, il y a un prince, une princesse, etc. Il y a des parties de ces histoires que j’aime et d’autres que je ne comprends pas. En fait, si vous êtes queer, si vous êtes lesbienne, vous ne vous reconnaissez pas dans ces histoires. Donc prendre une histoire traditionnelle et la modifier, beaucoup d’artistes le font, ce n’est pas le plus original. Mais il y a aussi, dans la réalité actuelle, des choses qui sont très en avance et d’autres qui sont très archaïques. Notamment avec le patriarcat et le sexisme encore très présents. Donc je trouvais ça très intéressant de juxtaposer ces vieilles croyances archaïques avec une technologie très avancée. Vous savez, les gens sont très intelligents mais aussi très sexistes. Même dans ce monde, ceux qui ont accès à la technologie sont très riches ou par exemple certains pays y ont accès et d’autres non. C’est intéressant que les deux mondes coexistent. Et c’est pareil dans Cosmoknights, la royauté peut avoir toute la richesse et être au-dessus des autres. C’est assez similaire.
Est-ce qu’il y a un personnage qui s’inspire vraiment de vous ? Ou peut-être tous ont une petite partie de vous ?
Chaque personnage a une petite partie de moi, des petites expériences que j’ai vécues. Par exemple, je me sens très similaire à Pan et à sa découverte d’elle-même, de son coming out, de son exploration. Elle se découvre queer mais en même temps elle découvre aussi qui elle peut être comme adulte. Je pense que c’est vraiment le personnage auquel je m’identifie le plus parce que nous avons une histoire similaire. Beaucoup d’attentes sont placées en elle, à propos de ce que sa vie doit être, qu’elle doit épouser un homme et tout ça. Et elle doit se battre très dur pour casser tout ça. C’est très similaire à mon expérience. J’ai écrit ça quand j’ai fait mon coming out. Avant ça, j’étais dans le placard et je ne savais pas. Donc je suis passée par les mêmes choses, comme me battre pour moi-même et le fait que tout le monde ne m’accepte pas. Maintenant je pense que je m’identifie trop, mais tous les personnages ont des petits bouts de moi.

© 2023 Bliss éditions
Cosmoknights est très très coloré. Ca s’accorde parfaitement à l’histoire mais pourquoi avoir choisi des couleurs aussi flashy ?
J’adore travailler avec les couleurs. Je pense que c’est ma partie préférée, artistiquement. J’adore travailler avec des couleurs vives. Je pense que je voulais créer une série très joyeuse. A l’origine, beaucoup d’histoires queer, surtout pour les femmes, sont très tristes et très sombres, ou peuvent être très tragiques. Donc je pense que les couleurs pour moi racontent une histoire très joyeuse, où ces femmes sont très heureuses. Elles ont de belles relations. Il y a des choses difficiles dans leur monde et elle y font face. Mais c’est surtout une histoire à propos de leur amitié et de leur joie, de leurs victoires. Donc je voulais aussi que les couleurs relatent ça. Quand vous ouvrez le livre, c’est waouh, très lumineux et très excitant.
Comment travaillez-vous ? En numérique ?
Oui, uniquement en digital. J’aime dessiner en traditionnel aussi. J’aime dessiner sur un carnet mais je suis très lente. Donc le digital me permet de travailler très vite. Et puis ça me permet de corriger mes erreurs plus facilement aussi.
Et quel retour avez-vous sur votre histoire ?
C’est fantastique ! J’adore avoir le retour des lecteurs. Je reçois beaucoup d’emails de gens qui sont dans des situations similaires à la mienne, où ils se battent contre eux-mêmes, essayant de découvrir qui ils sont. Ca représente beaucoup pour moi personnellement qu’ils me remercient pour mon livre. Je reçois aussi beaucoup d’emails de femmes qui me demandent si elles peuvent se faire faire le même tatouage que Kate ! Évidemment, c’est génial ! Et très excitant de savoir que des gens se connectent vraiment à l’histoire, surtout des lesbiennes très masculines qui passent d’une chevelure très longue, porter des robes et un jour décident de porter ce qu’elles souhaitent. Je reçois beaucoup de mails de ces femmes masculines me remerciant d’avoir un personnage qui leur ressemble. Surtout avec cette scène où elle porte une grande robe. Beaucoup m’ont dit dans leur mail « je connais ce sentiment, je sais ce que c’est que de me regarder dans le miroir et de me voir sans me reconnaître ». Et ça c’est vraiment spécial pour moi parce que quand j’ai fait mon coming out et avant que je sois publiquement queer, il n’y avait pas beaucoup d’histoires que je pouvais lire et où je pouvais me dire « elle est comme moi », parce que je n’avais pas accès à ça. C’est pour ça que je voulais créer quelque de plus familier, dans ce sens.
Est-ce que les lecteurs vous disent qui est leur personnage préféré ?
Oh, c’est une bonne question. Beaucoup aiment Cassy, parce qu’elle est très belle. Beaucoup aiment Kate également. Et c’est aussi ma préférée ! Je ne sais pas si j’ai le droit de dire que j’ai une préférence. Mais j’aime cet archétype, ce personnage de femme fatale. J’aime aussi qu’elle sache ce qu’elle est, ce qu’elle veut. Evidemment, il y a encore des conflits en elle, et elle continue à grandir et à apprendre, mais elle est déjà rendue au point où elle sait qui elle est. Elle est très sûre d’elle et aime ce qu’elle est. Elle sait ce qu’elle veut. Elle se bat pour elle-même, mais l’histoire n’est pas à propos d’elle ni de sa transition, ni de savoir qui elle est. Elle comprend déjà tout ça. Elle est là pour la vengeance. Et je pense que c’est ce que j’aime à propos d’elle. Elle est fun !
Cosmoknights est une histoire avec des personnages queer, écrite par une autrice queer, mais qui peut plaire à tous. On est pas obligé d’être queer soi-même pour trouver des points communs à ces héroïnes très fortes.
Oui, tout à fait ! Je voulais créer une histoire qui ne soit pas qu’à propos de personnages queer, de coming out, mais plutôt une histoire avec des héros et ils se trouvent qu’ils sont queer. Donc je pense que tout le monde peut la lire.
Tout le monde peut trouver un personnage qui lui rappelle qui il est, non pas à cause de son orientation sexuelle mais par ses actions.
Tout à fait ! Je pense également que ça normalise un peu l’homosexualité. Vous pouvez juste dire « hé, il/elle est comme moi ! ».
Merci beaucoup Hannah d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis et traduits par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 26 janvier 2023
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