
Hai-Anh et Pauline Guitton © 2023 La Ribambulle
Hai-Anh et Pauline Guitton, deux amies d’enfance, ont sorti en janvier 2023 Sống, leur premier album aux éditions Ankama. Nous avons profité de leur venue au Festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême pour les rencontrer et en apprendre plus sur la genèse de cet album très intime qui raconte l’histoire de la mère de Hai-Anh.

Hai-Anh et Pauline Guitton © 2023 La Ribambulle
Bonjour à toutes les deux, pouvez-vous présenter pour commencer ?
Hai-Anh : Je m’appelle Hai-Anh et je suis la scénariste de Sống. Et avec Pauline, on a le même âge, on a 29 ans.
Pauline Guitton : Et moi je suis illustratrice. Avec Hai-Anh, on est aussi amies d’enfance. On se connaît depuis qu’on a 10 ans. On a grandi ensemble, donc c’est un petit peu un rêve qui se réalise : avoir réussi à faire l’album et être à Angoulême.
Quand vous avez écrit l’histoire, c’était forcément en imaginant que ce serait Pauline qui l’illustre, ça ne pouvait pas être autrement ?
HA : Non, ça ne pouvait pas être autrement ! Avec Pauline, on voulait travailler ensemble. Je pense qu’on cherchait un projet, mais on avait toujours fait quelques trucs ensemble avant, des petits projets, etc. Mais aussi parce que je pense que, comme c’est une histoire familiale et que c’est très personnel, j’aurais eu du mal à faire confiance à quelqu’un que je connaîtrais pas, même si j’aime beaucoup son style. Pauline, c’est l’unique personne en qui j’ai confiance.
Et justement, Pauline, ce n’était pas trop dur d’illustrer une histoire familiale comme ça, qui n’est pas votre histoire finalement ?
PG : Au début, je me suis un peu mis la pression en mode « est-ce que je suis légitime en tant que personne non vietnamienne pour parler de tout ça »? Mais en fait Hai-Anh, je la connais depuis que je suis petite. Je suis même partie avec elle au Vietnam en 2015, avant qu’on ait eu l’idée de la BD. Je connais bien sa maman et ils m’ont toujours accueillie. Je me suis dit que c’était un peu un honneur et c’était hyper émouvant en plus de retracer la vraie histoire familiale de ma meilleure amie. Ça a été beaucoup de réflexions sur comment mettre en place l’histoire, ce qu’on racontait exactement. Et après ça a été plein d’échanges jusqu’à la production même du projet. C’était hyper intéressant. On a beaucoup appris mutuellement. Et c’est trop fou en plus d’avoir été publiées par Ankama !
Est-ce vous qui qui avez démarché Ankama ?
H-A : On a bombardé tous les éditeurs comme tout le monde. Et je pense que, comme on s’était un peu renseigné, on n’avait pas peur d’envoyer ça à plein de personnes, même si on avait nos favoris en tête. On n’avait pas peur de se prendre des refus, ce qu’on voulait c’était se faire publier. Et c’est vrai qu’Ankama n’était pas une de nos premières idées, on n’y avait pas pensé parce que pour nous ce n’était pas leur style, on était restés sur le style d’avant et on ne savait pas qu’ils s’étaient diversifiés. On n’avait pas suivi ce qu’ils faisaient en fait, à part Pauline qui lisait Mathieu Bablet.
PG : Oui, mais du coup ça restait quand même un peu science-fiction. C’est plutôt le Label 619 que des romans graphiques.
H-A : J’ai la chance de faire partie d’une association de Vietnamiens en France et on se soutient énormément. Quelqu’un m’avait dit « tu sais, Florent Maudoux est vietnamien, tu devrais lui en parler. » Il nous a conseillé vraiment très très très généreusement. Et il nous a donné le contact de notre éditrice, Charlotte, avec qui ça a été un coup de cœur. C’était trop bien. Parce qu’elles sont une toute petite équipe, que des femmes, elles prennent pas beaucoup de titres par an mais elles les poussent vraiment bien et on l’a senti dès le début. Je pense qu’en plus, comme Sống est un récit de femmes, avoir des éditrices femmes, c’était vraiment top.

© 2023 Ankama
C’est vrai qu’Ankama s’est énormément diversifié ces dernières années, ils font maintenant des très beaux albums et des beaux objets.
PG : Et puis surtout ils bénéficient du support financier et promotionnel de l’entièreté de la boite et on a été hyper bien portées. Je ne sais pas si on aurait eu cette visibilité avec une autre maison d’édition, même pas dans celles forcément qu’on avait contactées ou qui nous avaient répondu. Parce qu’on a eu plusieurs réponses positives.
H-A : En fait, on avait pensé aux indés surtout, parce qu’on commençait et parce que c’était aussi un récit familial un peu historique. Du coup, c’est vrai qu’on avait envoyé à des maisons d’éditions où on avait vu ce même type d’albums. Mais on est super contentes, Ankama a été enthousiaste dès le début. On a pu faire la journée super libraire il y a peu, qui nous a vraiment poussées.
PG : On a fait une soirée de lancement au Forum des images. On a vraiment été hyper portées.
H-A : Là, je suis au Vietnam… enfin j’habite au Vietnam et je suis en France pendant un mois et du coup on fait une tournée de dédicaces un peu partout.
PG : On ne pouvait pas rêver mieux pour une première BD.
Et donc c’est l’histoire de votre maman. Ca n’a pas été trop dur d’écrire son histoire ? Elle était d’accord ? Vous lui en avez parlé dès le départ ?
H-A : Ça n’a pas été dur de la convaincre dans le sens où c’est une réalisatrice et elle écrit aussi. Donc en fait elle se confie assez facilement par nature, mais elle s’est confiée dans des articles de journaux, elle a écrit des livres, donc elle avait l’habitude de cet exercice-là. Mais comme elle ne lit pas de bandes dessinées et qu’au Vietnam ils ne sont pas aussi bédéphiles qu’ici, il fallait la convaincre que c’était un art sérieux et qu’on pouvait raconter de belles histoires avec. Le fait que ce soit avec Pauline aussi l’a rassurée mais il a fallu la convaincre quand même.
C’était plus par rapport au média en fait ?
H-A : Voilà, exactement. Et puis elle a été convaincue assez vite et aujourd’hui elle est trop fière. Elle veut faire de la bande dessinée aussi ! Elle est à Angoulême là, elle se promène !
Elle est venue aussi ? C’est chouette.
H-A : Oui, elle est trop fière. Sinon, pour l’écriture en elle-même, je pense que ce sont des histoires que j’entends depuis que je suis toute petite et, comme c’est mon histoire familiale, ça n’a pas été trop dur.
Comme vous vous connaissez depuis toutes petites, que vous vouliez travailler ensemble, avez-vous eu d’autres idées avant ?
PG : Moi je suis dans le cinéma d’animation. Et je voulais faire de la BD depuis que je suis toute petite. Avec Hai-Anh, on se partageait nos lectures. A un moment, comme elle avait toujours entendu les anecdotes sur sa mère, on s’est dit qu’on pouvait écrire une BD à partir de ces anecdotes. Et c’est une partie de l’histoire vietnamienne que l’on ne connaît pas du tout en France donc ça va forcément intéresser les gens. Au début d’ailleurs, c’était plus parti pour être vraiment des anecdotes sur la vie dans le maquis, le quotidien dans le maquis, c’était les premiers chapitres. Et ça a vraiment évolué au fur et à mesure des échanges et de l’écriture du scénario, vers ce regard sur la relation mère-fille, sur son histoire familiale. D’ailleurs, au milieu du récit, ça switche un peu, ça devient la voix d’Hai-Anh, alors qu’au début c’est plutôt celle de sa maman. Cette évolution s’est faite naturellement, je trouve que ça rend l’histoire encore plus intéressante. L’album parle de sujets assez universels qui peuvent parler à n’importe qui, peu importent la culture et les origines.
H-A : Je pense que ce qui est marrant, c’est que comme on est dans le cinéma tous les trois finalement – Pauline dans le cinéma d’animation, moi j’ai fait des études de cinéma et ma mère aussi – je pense qu’on se serait peut être attendu à avoir comme première œuvre un film. Et finalement la BD a été une évidence, mais c’est vrai que ce n’était pas le plus logique.
PG : C’était aussi plus rapide, plus simple à faire avec nos moyens, avec peu de gens.
Est-ce que c’est quelque chose que vous aimeriez, l’adapter en film éventuellement ?
H-A : Peut-être en film d’animation. Je pense que ça pourrait s’adapter en animation, ça serait du gros travail, mais pourquoi pas, on aimerait bien.
Mais ce n’est pas quelque chose que vous avez pensé dès le départ, vous avez vraiment pensé BD.
PG : Oui, ça nous paraissait plus réalisable, plus facilement.
Si j’ai bien compris, Hai-Anh vous êtes au Vietnam, vous Pauline êtes en France, donc du coup vous avez travaillé beaucoup à distance. Comment avez-vous travaillez ? Vous avez d’abord écrit le scénario en entier ou bien vous avez fait les dessins en parallèle ?
H-A : J’ai commencé par le scénario. En fait, on a commencé à faire la BD pendant qu’on était en cours, Pauline aux Gobelins et moi en école de cinéma. Mais j’avais un peu de temps après qu’on ait signé avec Ankama pour écrire le scénario. Donc je l’ai écrit en deux ou trois mois, je pense. Je me suis vraiment focalisée sur l’écriture, je l’ai écrit un peu comme un scénario de cinéma d’ailleurs. Après, Pauline était la première lectrice pour me donner des retours et aussi les éditrices d’Ankama. Pauline a ensuite pu faire le storyboard en école, mais elle a dû attendre la fin des Gobelins pour pouvoir travailler dessus.
Est-ce que vous n’aviez pas le temps parce que vous ne vous sentiez pas encore capable ?
PG : En même temps que les Gobelins, ça aurait beaucoup trop de travail. Je sais qu’il y a des gens qui le font, il y a pas mal de gens qui ont fait des BD en étant en dernière année des Gobelins, mais moi je n’avais pas envie. En plus, il y avait le Covid… J’ai travaillé et c’est sur ma période de chômage que j’ai fait la BD. Mais en fait, les entretiens de Hai-Anh avec sa maman se sont étalées sur plusieurs mois, il fallait le temps qu’elle regroupe tout et après qu’elle fasse le tri, qu’on trouve les enchaînements. Comme ce ne sont que des anecdotes, sans forcément une logique temporelle, c’est ce qui a été dur aussi, de trouver la structure du récit. Donc ça, c’est vraiment Hai-Anh qui l’a fait dans un premier temps. Après, quand j’ai fait le découpage, il y a eu plein de révisions du texte parce qu’en fait, quand on met en images, on se rend compte qu’il faut enlever des textes, que des fois ça marche pas, que des fois il faut le réécrire. Ca a été pas mal d’échanges une fois que le découpage a été fait, jusqu’à ce que moi je puisse vraiment travailler dessus. Donc en fait c’est Hai-Anh qui a écrit le scénario d’abord, en entier.
H-A : On a beaucoup travaillé à distance, comme je suis partie au Vietnam pendant le Covid. Peut-être qu’en temps normal j’aurais pu faire des allers-retours mais là c’était impossible. Mais je pense que, même si la situation n’était pas idéale, on se connaît tellement bien que même si on a travaillé à distance, c’était simple de communiquer.
PG : Oui, on communiquait plus simplement que si ça avait été avec quelqu’un qu’on ne connaissait pas.
Votre maman est intervenue dans l’écriture ? Ou lui avez-vous fait relire ? Elle a modifié des choses ?
PG : On lui a surtout fait vérifier les dessins pour ne pas faire d’erreurs historiques.
H-A : Ca, c’était surtout au moment du storyboard. Je pense que, comme ma mère est réalisatrice, elle a un regard très cinématographique, même dans ses histoires elle a une manière de tout décrire. C’est vraiment très agréable à retranscrire. Quand le storyboard a été fait, je lui ai montré pour qu’elle vérifie les dessins, surtout les détails historiques. Mais je ne lui ai pas fait lire le texte. Elle m’a demandé d’enlever deux-trois moments sur ma famille, qui étaient un peu trop sensibles.
Donc elle n’est pas vraiment intervenue ?
PG : Non. C’est pour ça qu’on avait très peur, quand la BD a été finie.
Et alors ? Elle a été tout de suite enthousiaste ?
H-A : Déjà, comme elle ne lit pas de BD, elle a été agréablement surprise par la beauté de l’objet.
On a l’impression que les relations avec votre maman ne sont pas toujours très simples. Est-ce que le fait d’avoir passé du temps avec elle pour recueillir toutes ces anecdotes a modifié votre relation ?
H-A : Oui. Notre relation n’est pas simple, mais en même temps on est très proches. On est très fusionnelles en fait. Mais ma plus grosse surprise, c’est que je pensais que je la connaissais beaucoup et en fait j’ai été très surprise à de nombreuses reprises. Je connaissais ma maman mais pas la femme ou l’adolescente qu’elle avait été. Et ça a expliqué plein de ses comportements ou des événements qui m’avaient fait du mal à l’époque. Et ça fait beaucoup de bien. Je la comprends. Ma plus grande surprise est le chapitre qui s’appelle S’isoler, parce que pour moi c’était une réalisatrice très sociable, toujours entourée et je ne me suis jamais dit qu’elle pouvait se sentir seule.
Avez-vous maintenant un autre projet BD ? Voulez-vous retravailler ensemble ?
PG : Oui, je pense qu’on serait très contentes de retravailler ensemble. Sur de la BD ou sur d’autres formes de projets aussi. Mais on a chacune un métier de son côté. Ce qui me fait un peu peur, c’est qu’après un sujet aussi fort que celui-ci, c’est difficile d’en trouver un qui puisse porter autant. Donc pour le moment on digère déjà le fait d’avoir réussi à faire un premier livre. Mais la BD n’est pas notre métier à plein temps.
H-A : Mais ce n’est pas notre dernière BD ! Ca nous a vraiment donné envie d’en faire d’autres.
Pauline, n’avez-vous pas envie d’écrire votre propre scénario ?
PG : Ah si ! J’ai toujours voulu écrire mais je n’ai jamais eu la confiance de me lancer. C’est l’un de mes futurs challenges !
Merci beaucoup à toutes les deux d’avoir répondu à nos questions !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 27 janvier 2023
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