Lucienne ou les millionnaires de la Rondière aborde des thèmes qui parleront à bon nombre de lecteurs. Nous sommes allés poser quelques questions à Gilles Aris, le dessinateur, afin d’en savoir un peu plus sur ce one-shot édité par Grand Angle. Rencontre.
Il s’agit de ta seconde collaboration avec Aurélien Ducoudray, après La Ballade de Dusty. Comment est né cet album ?
A la base, on discutait d’un autre projet qui n’est pas encore écrit mais j’ai terminé un peu plus rapidement que prévu le tome 2 de La Ballade de Dusty. Je crois qu’Aurélien n’a pas imprimé que j’allais beaucoup plus vite et du coup il n’a pas eu le temps d’écrire le projet qu’on devait faire à ce moment-là. Par contre, en parallèle, il était en train de finir de travailler avec Hervé Richez. Ce scénario était Lucienne ou les millionnaires de la Rondière. Il n’y avait pas encore de dessinateur et vu qu’Aurélien était en retard sur notre projet initial, ils m’ont proposé celui-ci en pensant que graphiquement ça m’irait bien et qu’il correspondrait ce vers quoi je souhaitais m’orienter. C’était beaucoup plus léger que ce que l’on préparait et cela me permettait de tester graphiquement des choses un peu plus caricaturales
Aurélien explique en fin d’ouvrage que, même si l’histoire est une fiction, il a puisé dans ses souvenirs de jeunesse et chez des personnes qu’il a côtoyé pour construire son récit. C’était plutôt une bonne nouvelle pour toi d’avoir un physique précis pour les personnages ou aimes-tu plutôt imaginer ceux-ci lors de la création d’un album ?
En fait, quand j’ai commencé les recherches de personnages, j’avais demandé à Aurélien s’il avait des photos ou autre à me proposer mais lui ne voulait pas m’en montrer. Les photos, je les ai découvertes dans le cahier à la fin du bouquin quand on a commencé à monter le cahier graphique. Il m’a vraiment décrit les caractères des personnages et, à partir de là, j’ai fait quelques recherches. Il y en a certains qui sont tombés pile poil au point qu’Aurélien m’a demandé si je connaissais son grand-père (rires). Pour d’autres, c’était un peu plus éloigné de la réalité mais, vu que c’est une fiction, ça ne posait pas vraiment de problème. Même les caractères des protagonistes ne sont pas forcément réellement ceux de l’époque. Aurélien, je pense, s’est inspiré de son ressenti, ses souvenirs ne sont pas tout à fait justes mais c’est ce qui explique que les relations ne sont pas forcément celles du bouquin parce que ça reste une fiction. Parfois, il voulait mettre en scène ces personnages-là mais pas forcément dans leur rôle dans la vraie vie.
Y avait-il d’autres contraintes graphiques à respecter sur cet album ?
Non, avec Aurélien on se fait confiance. Au début de notre collaboration sur La Ballade de Dusty c’était différent car je n’étais pas en contact direct avec lui, j’échangeais plutôt avec Hervé Richez pour le côté graphique. Quand j’ai reçu le scénario de Lucienne, j’ai fait deux-trois tests dont un sur la première planche pour voir comment je pouvais essayer de faire ça. Je lui ai renvoyé et ça lui a plu de suite, cela m’a conforté dans l’envie de changer un peu le dessin.
As-tu apporté des idées ?
Je n’ai pas apporté d’idées sur le scénario en lui-même car Aurélien a tendance à écrire le scénario complet. Ceci dit, il avait prévu de le faire en 80 pages et cela me paraissait beaucoup en rapport avec ce que je voulais faire. Il a coupé pour que cela fasse un 70 pages, c’est donc ma seule intervention dans le scénario. Il y a souvent beaucoup de dialogues dans ses histoires et dans notre futur projet il va essayer de faire quelque chose avec plus de silence et de m’impliquer en n’hésitant pas à me demander s’il y a trop de dialogues à certains moments.
Qu’est-ce qui t’a plu dans cette histoire et qui t’a donné envie de la dessiner ?
Dans les histoires d’Aurélien, ce sont les dialogues que j’aime bien, cet aspect comédie c’est moins mon truc à la base mais ici c’est plus de la comédie de situation et j’apprécie cela. J’ai ainsi pu travailler sur les émotions et c’est un des aspects qui m’intéressait.
Ce n’est pas le premier album que tu illustres qui se déroule à la campagne.
Et ce ne sera pas la dernière fois car le prochain se passe également à la campagne même si ça n’est pas forcément ce qui m’attire spécialement. J’ai vu Aurélien hier et c’est ce que je lui expliquais. Quand j’étais plus ado, mes lectures étaient plutôt orientées science-fiction. Quand j’ai débuté avec Christophe Gibelin, il me demandait ce que je voulais illustrer comme type de récit, sachant que lui en avait marre de l’heroic fantasy. Il venait de faire les Ailes de plomb et c’était le genre de récit qu’il préférait faire, je lui ai dis que ce qui m’intéressait c’était la science-fiction et le polar. Du coup, on est parti sur le polar avec cette histoire qui prenait place en campagne dans la région toulousaine parce qu’on habitait tous les deux à Toulouse à l’époque, la documentation n’était pas loin (rires). Je lui ai juste demandé de m’écrire une histoire contemporaine plutôt que dans les années 50 comme il était parti, pour éviter de faire redondant avec Les Ailes de plomb. Je n’ai rien contre la ville mais c’est vrai que je préfère la campagne. D’ailleurs le prochain projet que je prépare avec un autre scénariste, toujours chez Grand Angle, se passe dans la campagne, en France, dans un petit village aux alentours de Cahors.
Ton expérience dans le dessin animé t’est-elle profitable en BD ? Si oui, peux-tu nous dire ce qu’elle apporte au quotidien ?
J’ai travaillé huit ans chez Ankama dont cinq-six ans en dessin animé. J’ai travaillé sur Wakfu et sur Karubi, je gérais une petite équipe sur ces projets et certains étaient d’ailleurs eux aussi dessinateurs de BD. Il y avait notamment Nicolas Delestret, qui sort un album chez Grand Angle, Benjamin Loirat et Bertrand Hottin. A la base, je n’y connaissais rien à l’animation, j’avais des acquis en tant qu’auteur BD pour les décors et, quand j’ai commencé à bosser, ma chef de l’époque voulait vraiment du dessin technique. Je me suis pas mal remis en question mais elle avait totalement raison et j’ai beaucoup appris avec elle. En animation chez Ankama, on réalisait généralement un grand décor et on retapait dedans suivant les scènes, il y avait donc souvent une base commune qui permettait de réaliser des économies. J’ai utilisé cette technique dans Lucienne avec trois-quatre points de vue, cela permet d’être cohérent dans l’ensemble déjà. Lors de ma dernière expérience dans l’animation, j’étais assistant-réalisateur sur Wakfu. Là aussi, cela m’a beaucoup appris sur la vision d’ensemble, je m’occupais de la partie décor, mais du storyboard à la finalisation de la compo. Du coup, j’ai aussi vu les techniques pour la couleur notamment, ce que j’ai fait notamment dans Lucienne, sur les couleurs il y a une base où on retrouve les mêmes, cela crée une cohérence de procéder ainsi.
Du coup, tes projets pour 2020 ?
Le projet avec Aurélien est mis en suspens car il a essayé de se mettre à écrire le scénario mais il ne le sentait pas. Du coup on va patienter et le remettre à plus tard. De mon côté, Hervé Richez m’a proposé un autre projet avec Philippe Pelaez qui vient de sortir Puisqu’il faut des hommes chez Grand Angle. On va retourner en campagne française, à Douelle du côté de Cahors, dans les années 60, il s’agira d’un polar en un tome. J’ai beaucoup aimé justement sa façon de construire le récit et ses dialogues, ça se rapproche un peu de ce que j’aimais bien chez Aurélien. Mon dessin va un petit évoluer, ce sera entre La Ballade de Dusty et Lucienne, beaucoup moins caricatural mais quand même un peu plus carré. J’ai un autre projet plus personnel qui date de vingt ans et que j’aimerais concrétiser. Ça sortira chez Komics Initiative mais ça n’est pas du tout prioritaire dans mon planning. Si je peux le faire en parallèle ça serait bien mais je n’en suis pas certain. Ce serait un album au format comics d’une quarantaine de pages en noir et blanc.
Merci à toi d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau
Interview réalisée le 31 janvier 2020.
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de Gilles Aris”