En 2018, le dessinateur Gijé a fait une entrée remarquée dans le milieu du 9e art. La Boîte à musique, scénarisée par Carbone, a rencontré un joli succès auprès, entre autre, du jeune public. Près de quatre ans et quatre albums plus tard, il est de retour avec le tome 5 au 40ème festival Quai des bulles de Saint-Malo. La Ribambulle a voulu faire connaissance avec ce jeune auteur de bande dessinée.
Bonjour Gijé. Comment en es-tu venu à travailler avec la scénariste Carbone sur la série La Boîte à musique ?
C’est venu complètement au hasard. À la base, je n’avais pas prévu de faire de la bande dessinée. Je travaillais dans l’animation et, à mes heures libres, je faisais quelques dessins pour moi. Un de ces dessins, qui représente la dernière case de la première planche du tome 1, a été vu par Carbone sur les réseaux sociaux alors qu’on ne se connaissait pas du tout. En le voyant, elle a tout de suite imaginé une histoire avec une boîte à musique. Elle m’a alors proposé de créer un dossier d’abord, avec son histoire, ses personnages. Très vite, ça s’est enchaîné. C’est parti vraiment par pur hasard.
C’est incroyable qu’en une image elle ait été conquise par ton dessin.
Beaucoup de choses sont incroyables quand je repense à ça. Je me dis que ça jouait vraiment sur pas grand chose. Il y a pleins de petits trucs qui font que, si je les enlève, je ne ferais absolument pas de la bande dessinée. Déjà le fait que je fasse ce dessin-là par hasard ; le fait que Carbone le voit ; le fait qu’elle m’envoie un message ; le fait qu’elle insiste parce qu’au tout début, j’avais refusé. J’avais déjà un travail dans l’animation et je ne me voyais pas du tout faire de la BD vu que c’est un travail vraiment compliqué et que c’est dur de se faire une place. Du coup, toutes ces petites choses-là, c’est un enchaînement de bonnes ondes.
Continues-tu à travailler dans l’animation en même temps que la BD ?
Non, plus du tout. C’était mon but au début. J’ai essayé sur le tome 1 parce que je voulais quand même garder cette « sécurité » à travailler dans l’animation. Mais cela me demandait beaucoup trop de travail à me consacrer à la bande dessinée. Je me suis alors dit que j’allais m’y consacrer à 100%. Depuis ce tome 1, je ne fais plus que de la bande dessinée.
Remarques-tu des similitudes et/ou des différences entre l’animation et la bande dessinée ?
Il y a beaucoup de similitudes. Je ne pensais pas qu’il y en avait autant parce que, n’ayant eu aucune formation en bande dessinée, j’étais en panique sur les premières planches de La Boîte à musique. Je me demandais comment faire une BD. Je n’en avais jamais fait. Je suis allé puiser dans ce que j’avais appris en animation et en illustration qui sont à peu près le même principe. En animation, il y a quand même une base : créer un story-board, un découpage de toutes les scènes, comme des petites cases de bande dessinée. J’ai aussi appris en illustration en terme de couleurs, de peinture, etc.
L’animation est donc une bonne école pour aider à faire de la BD ?
Oui, vraiment. La plupart des conseils que je donne à des gens qui veulent se lancer en BD, c’est de puiser dans leur envie, dans ce qu’ils aiment. C’est-à-dire que l’animation est aussi une façon de raconter une histoire qui a comme différence d’être un autre média. Mais qui a cette force aussi de raconter des choses avec des images. Donc il y a beaucoup de similitudes.
Comment s’est déroulée ta collaboration avec Carbone ? A-t-elle eu un regard sur ton travail de création graphique ? Et vice versa avec toi sur son scénario ?
Nous n’avions jamais fait de bande dessinée. Elle était institutrice à l’époque. Donc, nous découvrions le métier ensemble à vrai dire. Elle avait sa méthode de travail qui consistait juste à me proposer l’histoire, des dialogues, un découpage. Avec ça, elle me disait de faire ce que je croyais être le mieux. C’était carte blanche. J’avais déjà la chance de partir sur des personnages que j’avais déjà créés, comme l’héroïne. Il fallait après créer, broder autour. La liberté que j’ai eue était quand même assez grande, que ce soit de la part de Carbone et de l’éditrice qui me disaient vraiment de faire ce que j’avais envie de faire et de voir. Cela m’a beaucoup aidé dans mon épanouissement sur cette série.
Quelles ont été tes inspirations pour créer cet univers assez foisonnant et fantastique ?
Très bonne question. Je n’ai pas de références vraiment précises. À vrai dire, j’ai l’impression que les inspirations se font à partir du moment où j’ai commencé à dessiner en fait. Les premiers dessins que j’ai essayés de faire sont des dessins de comics et de manga. Notamment Dragon Ball que j’ai beaucoup dessiné, à essayer de comprendre pourquoi ce dessin, ces expressions me plaisent tellement. Et plus j’ai grandi, plus j’ai essayé de varier mes inspirations, que ce soit en animation, en dessin animé comme les studios Ghibli où il y en a beaucoup. En fait, dès qu’il y avait quelque chose qui me faisait voyager et qui arrivait à me toucher rien qu’à l’image, j’ai tout de suite eu cette mécanique d’essayer de comprendre pourquoi. Pourquoi ces beaux paysages me plaisent plus que ceux-là, etc. C’est pour ça que c’est dur à expliquer. C’est un tout.
Chaque tome traite d’un thème accompagné du fil rouge qui traite du deuil de Nola. Ces thèmes t’ont-ils parlé et inspiré pour créer cet univers ?
Oui. Tout simplement il faut que ça me touche avant de pouvoir transmettre cela aux autres. S’il y a certaines scènes où je ne le sentais pas ou je me disais que ce n’est pas comme ça que je réagirais, j’essayais de modeler ça pour que ça me parle plus. Donc forcément, tout ce que j’ai dessiné à travers les thèmes, ce sont vraiment des aspects qui me parlaient, qui me touchaient vraiment. J’ai essayé de transmettre ça aux autres pour que ce ne soit pas juste une BD personnelle en me disant que je vais dessiner ça parce que ça me fait plaisir. Non. Il y a d’autre gens qui vont lire la BD donc il faut que ça leur parle aussi. Il faut que ça parle à tous. Et avant d’arriver à ça, il faut y croire un peu.
Alors ce n’est pas qu’une BD jeunesse, elle peut être considérée comme du tout public ?
Clairement, c’est du tout public. Je ne suis pas du genre à classer dans tel ou tel âge. D’ailleurs, très vite, je sentais que le tome 1 se dirigeait vers quelque chose dont je n’avais pas trop envie. Le fait qu’il y ait une petite fille sur la couverture avec des tons un peu rose et violet, les gens se disaient que c’est une BD pour filles. Et je leur disais que non, pas du tout. C’est pour ça que l’idée d’avoir un deuxième tome avec un petit garçon sur la couverture était assez importante pour montrer que c’est vraiment une BD pour tout public, n’importe quel sexe, n’importe quel âge.
La couleur a une place importante dans la série, elles sont très attrayantes. Comment travailles-tu avec ?
Pour moi, la couleur était le truc le plus important de cette BD parce qu’il y a énormément d’émotion qu’on peut transmettre avec la couleur. Vu que c’est une série qui parle à la base de choses sensibles et graves comme le deuil, il y a certaines émotions que je vais vraiment amplifier avec la couleur. Le problème est que je devais être assez rapide vu que c’est une série et que les tomes devaient s’enchainer assez rapidement. La technique que j’utilise est l’ordinateur mais en essayant de donner l’impression que c’est de la vraie peinture. En fonctionnant avec des tâches, que les couleurs se mélangent d’elle-même, qu’on sente quelque chose de plus humain même à travers la couleur. Que chaque couleur transmette une émotion précise et que ça fasse partie d’un tout. Le dessin, la couleur, l’histoire.
Quels sont les différents retours du public ?
Dès le premier tome, on a reçu énormément de bons retours, que ce soit de l’éditeur, du public. J’insiste sur l’éditeur car il y a eu un énorme boulot pour pousser la série en avant alors que les éditions Dupuis ont quand même déjà des titres solides dans leur groupe. Le tome 1 est sorti à Angoulême en 2018 et la série était affichée partout dans la ville.
C’est peut-être aussi une volonté de renouvellement de la part des éditions Dupuis ?
Oui, il y a eu ça. Je pense qu’on est arrivé au bon moment parce qu’ils voulaient se renouveler et, vu que nous n’avions jamais fait de BD, ça m’a beaucoup étonné qu’ils mettent en avant de nouvelles têtes.
Le tome 5 clôt un premier cycle ?
Oui, c’est bien ça.
Enchaines-tu sur le tome 6 et donc un nouveau cycle ou bien t’attèles-tu à d’autres projets ?
C’est un peu plus compliqué que ça. La fin de ce premier cycle marque beaucoup de choses. Déjà, de mon côté, j’ai la volonté de faire un autre projet entre les deux cycles de cinq tomes, ce qui représente beaucoup d’années de boulot. Très vite, je me suis dit qu’il fallait que je fasse une pause pour me sortir la série de la tête et en revenir un peu plus neuf pour éviter d’être épuisé et que cela se ressente dans le dessin. Donc, cette fin de cycle me permet cette pause, surtout que l’histoire marche très bien avec un premier cycle qui introduit les personnages et les enjeux. Le dernier cycle conclura l’histoire et fermera toutes les portes qu’on a ouvert au début.
Donc bientôt peut-être un nouveau projet pour toi ?
Pas peut-être. J’y suis dedans.
Est-ce que ça restera dans le même esprit « jeunesse » ?
Ce sera un mélange de plein de choses. Je resterai dans ce que j’ai appris à faire. Je ne me vois pas partir sur un truc qui n’a rien avoir et avec un dessin ultra réaliste. Non, je vais rester dans cette branche-là. Avec quand même quelque chose de magique mais assez différents de La Boîte à musique. Ce sera une autre façon de voir. Ça va toujours rester autour de la famille et de l’enfance.
Avec un(e) nouveau(elle) scénariste ou vraiment un projet entièrement à toi ?
Ah, alors un jour peut-être. Pour être honnête, le truc ultime en bande dessinée que je pourrais viser est d’avoir un projet de A à Z, de l’histoire au dessin à la couleur. Mais je suis vraiment loin de ça. Il y a tellement de gens qui scénarisent mieux que moi. Je préfère collaborer avec des scénaristes.
Tu viens juste d’arriver dans le monde de la BD, tu prends ton temps…
C’est ça. C’est vraiment un monde que j’adore. Je ne pensais pas adorer autant ce milieu. Et je veux apprendre. Je veux découvrir tellement de choses. C’est pour ça que je ne voulais pas directement être enfermé dans cette case de série « jeunesse » pour pouvoir faire d’autres projet et tester des choses.
Toi qui vient de l’animation, aimerais-tu voir La Boîte à musique adaptée en dessin animé ? Ou peut-être sur un autre support ?
Oui. Pourquoi pas ! Et peut-être… il y a des idées là-dessus… je vais rester évasif. Mais clairement, c’est le truc rêvé pour un dessinateur de BD.
Vu le graphisme de la série, une version animée serait appropriée !
J’adorerais. Comme je viens de l’animation, ce serait la boucle parfaite.
Et tu pourrais y apporter ton expérience.
Oui. La plupart des gens devinent que je viens de l’animation parce qu’il y a un espèce de mouvement dans mes personnages. Toute cette matière donnée à des réalisateurs et animateurs, je ne vais pas dire que le boulot est mâché, mais il y a peut-être plus de facilité à visualiser ce monde en animation vu qu’il y a déjà un peu cet esprit-là dans le dessin. Mais oui clairement ce serait trop bien.
Ce serait plus un rêve que de faire une BD entière.
C’est autre chose. Le fait de faire une BD entière tout seul c’est plus un défi de voir ce que je suis capable de faire de A à Z. Alors que l’animation, c’est un travail d’équipe avec plusieurs personnes. Forcément, s’il y a adaptation de BD, ça va rarement coller au produit de base, c’est pour ça qu’on parle d’adaptation. Il faut avoir très vite cela en tête pour ne pas être frustré de voir autre chose à l’écran. C’est pour ça que l’animation c’est autre chose. Voir son univers… prendre vie ! On va dire que c’est possible.
Merci Gijé d’avoir répondu aux questions.
Propos recueillis par Geoffray Girard
Interview réalisé le 30 octobre 2021
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