A quelques jours d’Halloween, nous avions la chance de pouvoir rencontrer Frédéric Pham Chuong, un jeune auteur français dont le rêve de percer sur le marché américain s’accompagne d’un enthousiasme débordant et communicatif. Invité sur le festival Quai des Bulles, il est revenu avec nous sur sa récente collaboration avec un fameux scénariste, Boulevard des monstres, parue presque simultanément aux Etats-Unis et en France, un projet qu’on lui souhaite déclencheur de beaucoup d’autres.
Bonjour Frédéric ! Comment s’est nouée cette collaboration avec Paul Jenkins ?
Déjà je suis un fan de comics et de son travail en particulier. Il y a beaucoup de titres qui me touchent chez lui. J’adore son Hulk, j’adore son Logan, j’adore son Spider-Man… Et en fait, j’ai fait un bouquin avant, qui s’appelle Intertwined, avec Fabrice Sapolsky…
Qui est d’ailleurs toujours inédit en France alors qu’il est fait par deux auteurs français.
C’est vrai, mais il faut séduire les éditeurs français. Pourtant je pense qu’il a clairement sa place dans le paysage français. Et puis je rencontre plein de gens, comme ce week-end, qui me disent qu’ils aimeraient voir ce que j’ai fait avant. En plus, c’est une lettre d’amour à Bruce Lee et à tous ceux qui ont grandi avec lui. Bref, j’ai fait ce bouquin et je ne sais pas comment Fabrice a fait mais Paul s’est retrouvé avec Intertwined dans les mains. Du coup, la première fois qu’on a échangé, il m’a dit qu’il me connaissait, qu’il savait ce que j’avais fait et qu’il avait adoré. Déjà là, whaou ! (rires) Paul Jenkins qui kiffe mon boulot ! Une des premières BD de lui que j’ai achetée, c’était un petit format poche, édité par Semic, et c’était encore en francs, tu imagines… Donc un jour, Fabrice, qui travaille pour les Humanoïdes Associés à Los Angeles, m’a dit qu’il avait peut-être un projet pour moi. Avec Paul Jenkins. J’ai dit oui tout de suite ! (rires) J’étais étonné que ça soit un truc tout public, je m’attendais à quelque chose de bien noir ou dans le style de Révélations avec Humberto Ramos. Finalement c’était quand même un challenge pour moi.
Te l’a-t-il écrit sur mesure ?
Je ne pense pas, mais je crois qu’il aimait mon dynamisme. Je suis fan d’animation et je pense que l’approche que j’ai eue pour ce bouquin allait dans ce sens-là. Il aimait aussi l’expressivité que j’arrivais à mettre dans les visages. Je n’ai pas retenu son mail – et pourtant je l’ai relu ! – mais en gros il valorisait beaucoup certains des aspects de mon travail. Oui, ça fait bizarre à dire ! Bon, peut-être qu’il avait d’autres auteurs en tête mais quand on a échangé, j’ai senti que je pouvais apporter un truc à son histoire. C’était une super collaboration. De bout en bout, ça a été très agréable.
As-tu ressenti un peu de stress sur les premières planches ?
Oui, des fois, et c’est normal. Faire un bouquin avec Paul Jenkins, c’est pas rien. Quand j’ai annoncé le projet, des potes m’ont dit que j’étais le nouveau Humberto Ramos, mais non ! A mon niveau, j’ai encore énormément de boulot. Mais je me dis si lui me fait confiance, il faut que je me sente à l’aise et c’est ce qui m’a permis de travailler sereinement. Peu importe avec qui on bosse, ce qui compte c’est de faire une bonne histoire. Et puis dans les échanges qu’on avait, c’était toujours hyper positif, hyper encourageant. Cette façon de bosser, c’est dynamique et motivant. En plus, j’ai proposé pas mal de choses et il n’a jamais dit non. Au tout début, on n’était pas sûr que Gina doive être un zombie. Enfin, Paul voulait qu’elle soit un zombie, mais moi j’avais essayé de proposer une gargouille. Mais finalement je lui ai dit que zombie c’était très bien. Je ne voulais pas à cause de toutes les autres histoires de zombies. Mais là ça passe parce que c’est au milieu d’autres monstres. Et puis une gargouille, ça aurait moins bien fonctionné. Dans la scène de fin, il y a un truc que j’aime bien, quand Gina décroche sa tête. J’adore, j’en aurais bien fait plus mais elle ne se bat pas beaucoup. Quand j’ai proposé ça, il m’a dit « on le fait ! »
Est-ce que la sortie aux États-Unis est simultanée ?
Non, je crois qu’il va sortir la semaine prochaine (NDR : fin octobre). En fait, ils ne voulaient absolument pas louper Halloween.
C’est une fierté d’avoir un album qui sort sur le marché américain ?
Alors, sans faire ma diva (rires), je l’ai vécu avec Intertwined. En fait, je m’en rendrais davantage compte si j’avais été sur place et que j’avais vu le bouquin dans les rayons. Là je suis super content, bien sûr, mais je ne suis pas là-bas, la distance me garde à l’écart de cette excitation. A la base, je ne pensais même pas que ça sortirait en France.
Impossible de prévoir une petite tournée sur place ?
Non, parce que les États-Unis c’est cool, mais ils n’ont pas les mêmes moyens qu’en France. A moins d’être Jim Lee ou Sean Murphy. Quand tu veux travailler pour le marché américain, tu sais comment ça fonctionne pour les conventions. Tu vas payer ta table, etc, ça fait partie du jeu. Mais c’est vrai que j’aurais bien aimé défendre le bouquin sur le sol américain. Par exemple, aujourd’hui je suis à Saint-Malo, c’est un super festival, mais c’est très différent d’une convention US. J’ai vu la différence quand j’ai fait Intertwined, là-bas je n’avais pas à dire qui j’étais, les gens venaient voir. Certains m’ont demandé pourquoi je n’étais pas à la Comic-Con qui a lieu en même temps à Paris… ben, je vais où on me demande d’aller. Pourtant on n’est pas beaucoup d’auteurs français, alors je ne sais pas.
Comment s’annonce ton avenir ? Plus ouvert sur le marché européen ?
Je vise toujours les États-Unis. Là, après Boulevard des monstres, deux scénaristes de Glénat et Delcourt m’ont approché. Mais ça ne s’est pas fait. Ils étaient à fond mais mon dessin est trop atypique. J’avais prévenu que je voulais bien faire un essai mais que mon style collait plus avec les comics américains. On verra bien plus tard ce que ça donne mais ils étaient un peu dégoûtés que ça ne marche pas. Un des deux ne voyait pas sa BD comme ça et imaginait ce que ça pourrait amener d’un peu neuf dans le paysage. J’ai beaucoup d’admiration pour la BD française, il y a des choses que j’adore mais j’aime le dynamisme et le rythme des comics. J’ai d’ailleurs fait des tests pour Marvel, pour DC, pour IDW, pour Chapter House…
C’est un sacré défi.
C’est du boulot. Souvent pour rien. On t’approche, on te demande du taf, et ça s’arrête là. J’ai aussi fait des tests pour UDON, l’éditeur de Street Fighter. J’adore ça aussi mais ça n’a rien donné. C’est l’effet iceberg : tu vois Boulevard des monstres mais en dessous il y a tout ce sur quoi j’ai bossé. Mais je ne me décourage pas parce que j’ai fait des tests pour Marvel et DC, et si ça ne marchait pas je m’en foutais. Comme pour les deux projets dont je parlais. Je travaille très vite, si ça ne se fait pas tant pis, j’avance et je suis assez confiant dans l’avenir. Si tu t’arrêtes au premier refus, c’est pas la peine. Avant, je n’étais pas du métier. Pendant 15 ans, j’étais cuisinier. Et puis j’ai sorti une première BD qui s’appelle Steam West, un truc fantastique avec des robots.
Tu rêves d’un genre, d’un super-héros ou d’une licence ?
J’adorerais travailler sur Transformers. C’est vraiment un truc qui m’intéresse énormément, c’est même une drogue un peu. Là, Boulevard des monstres n’est pas représentatif, mais si tu me demandes de dessiner des robots alors il n’y a pas de problème pour ça ! Maintenant, je suis un peu plus visible parce que c’est mon deuxième bouquin avec un scénariste reconnu. C’est pour ça que j’ai pu approcher Marvel ou DC.
Et une nouvelle collaboration avec Paul Jenkins ?
Je lui ai demandé, vers la fin de l’album, quand on parlait de faire une suite ou pas, s’il ne connaissait pas des gens qui pourraient bosser avec moi. Là j’ai eu l’impression qu’il ne voulait pas me diriger vers quelqu’un d’autre parce qu’il voulait qu’on garde le contact. Il est en train de discuter d’un projet – je ne sais pas chez quel éditeur – et j’ai avancé sur quelques recherches. Dernièrement il m’a dit de mettre ça de côté parce qu’il aimerait faire un tome 2. Ce n’est pas encore signé, c’est pour ça que je n’en parle pas trop. Je pense qu’il se fait plaisir et le fait qu’on soit papas tous les deux, avec des idées assez proches, nous a rapprochés. On était d’accord sur beaucoup de choses, notamment le fait que ça devait plaire aux enfants. D’ailleurs on m’a un peu freiné sur certaines choses en me demandant d’adoucir le trait, de faire un truc plus soft.
Merci beaucoup et bon courage pour la suite !
Propos recueillis par Arnaud Gueury
Interview réalisée le 26 octobre 2019.
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