Dans la bulle de… ‘Fane

Par | le 1 décembre 2017 | 1 Commentaire

Gros coup de cœur de la Ribambulle cette année, Streamliner a déboulé en librairie dans un tonnerre rugissant. A son volant, ‘Fane a fait preuve d’une maîtrise absolue de sa trajectoire, dévoilant un talent d’auteur complet impressionnant. Invité au festival malouin Quai des Bulles, nous avons profité de l’occasion pour le rencontrer et revenir sur la conception de ce titre hors-norme qui en appelle déjà d’autres.

© ‘Fane

Bonjour ! Il y a une énergie complètement dingue dans cette série. Est-ce que c’était un des défis ?

Oui et non. Ce n’était pas cadré, ça s’est fait instinctivement. Je m’en suis remis aux personnages. Ce sont surtout eux qui ont fait le travail pour moi en fait. A partir du moment où ils étaient campés en amont dans ma tête, quand je les ai fait arriver les uns après les autres, quand je les ai confrontés les uns aux autres, la cohérence vient d’eux, de leurs traits de caractère et de leur façon de se comporter les uns envers les autres. L’histoire a cette cohérence naturelle parce que les personnages sont cohérents vis-à-vis d’eux-mêmes, ils ont un comportement cohérent par rapport à leur historique et par rapport au respect qu’ils ont les uns envers les autres. Il y a une hiérarchie, chacun a sa place, son objectif, ses motivations, ses craintes, ses rancœurs. Moi mon seul travail a été d’orchestrer ça, mais de l’orchestrer dans la mise en scène. L’écriture en elle-même s’est faite grâce à eux, c’est eux qui ont écrit l’histoire car j’ai avancé de manière un petit peu instinctive en story-boardant et en écrivant l’histoire comme si je tirais sur un fil. Je ne m’étais pas limité en pages donc je n’avais aucune limite. Quand je voulais revenir en arrière, calmer un peu le jeu ou m’attarder sur l’histoire ou le passé d’untel ou untel, je pouvais me l’autoriser parce que j’avais décidé de chapitrer ça un peu à la Tarantino et donc je pouvais à ma guise, quand j’en sentais le besoin, ouvrir un tiroir et y rester un peu, une dizaine de pages, avant de revenir à l’histoire en cours. C’est un système de narration très confortable en fait, je ne sais pas si Tarantino le fait par confort comme ça aussi… j’évoque Tarantino parce qu’on pense à ça immédiatement, avec cette histoire de chapitres qui permet d’aller à droite à gauche, en avant en arrière. C’est très commode pour écrire une histoire. Ce n’est pas une espèce de grande courbe, ce sont plutôt des branches qui communiquent entre elles et tu peux revenir à la branche principale quand tu veux. C’est comme ça que ça m’est venu.

© Rue de Sèvres, Paris, 2017

On voit assez rarement ça sur un « simple » diptyque même si les deux volumes sont imposants.

Oui. Mais d’un autre côté la trame principale tient sur un post-it. Des mecs qui débarquent dans un désert pour faire une course, le pitch de départ est très très simple. Ce qui peut nous faire croire que l’histoire est compliquée, c’est parce que tous les personnages mis en présence ont cette complexité, ça se multiplie parce qu’ils se confrontent et que ça fait encore des complications, etc. Mais à la base l’histoire est toute simple.

Justement, comment a été imaginée cette galerie de personnages ?

J’avais mes principaux personnages ou acteurs en tête… je parle d’acteurs parce que je réutilise des personnages récurrents à moi. J’ai des personnages qui me sont récurrents et à qui je vais attribuer un rôle similaire d’une BD à l’autre parce que ça me permet d’utiliser quelqu’un qui pour moi existe déjà, qui a des traits de caractères très définis, etc. Du coup, quand il déboule dans l’histoire, il est déjà très clair, très fort. Et avec un positionnement très clair. Donc ça en effet c’était un travail en amont… si on peut parler de travail, parce que que je me fais plaisir à imaginer l’ex de Billy Joe qui va débarquer, qui aura énormément de rancœur parce qu’il l’a plaquée il y a quelques années et elle vient un peu se venger et foutre la merde, tel autre qui est en rivalité permanente, le sous-chef qui voudrait être chef… Ce sont un peu des ingrédients classiques, très western. Il y aussi la gentille, fragile, qui s’avère être une nana qui se découvre un caractère et une force confrontée à tout ça. C’est du western classique donc j’ai été puiser un petit peu dans mes sources de petit garçon qui regardait les John Ford et les westerns spaghetti.

C’est ce qui explique un peu le cadre.

Je n’ai pas été chercher loin la réflexion. C’est plus un gros plaisir que je me fais. De gamin. Gamin, j’aurais voulu écrire cette histoire et la dessiner, je l’aurais faite comme ça mais je n’en avais pas les capacités techniques. Sauf qu’aujourd’hui le gamin que je suis toujours, maintenant il sait tenir un crayon à peu près à l’endroit, du coup je me suis fait ce plaisir. J’ai fait ma BD de gosse. Même quand j’étais gosse, j’adorais déjà la mécanique et donc les BD mécaniques. J’étais toujours frustré car il n’y avait pas grand chose à se mettre sous la dent dans le registre. A cette époque-là, déjà, je dessinais des bagnoles et des motos qui allaient vite, j’avais déjà une vision de la BD que j’aurais voulu lire à l’époque. C’est un petit peu la BD que j’aurais aimé lire à l’époque.

© Rue de Sèvres, Paris, 2017

Est-ce que c’est donc une idée qui traînait depuis très longtemps ?

Depuis très très longtemps, comme un petit fantasme de gamin. C’était un truc récurrent, cette espèce d’histoire d’amour dans un cadre un peu violent. Tout ça c’est pareil, c’est certainement des petits résidus de ma jeunesse quand je regardais L’Équipée sauvage ou les westerns. J’ai tout mélangé, j’ai mis tout ça et je me suis fait plaisir.

Pourquoi maintenant ?

Je pense que c’est parce qu’en ce moment la vie ne fait plus tellement rêver. On a de moins en moins de liberté, on est de plus en plus cadré, normé. J’avais envie de raconter une histoire avec des rebelles gentils qui coûte que coûte essaient de faire ce qu’ils veulent. Il y a une présence de l’autorité, des flics, qui est vraiment pesante et ce n’est pas pour rien, parce que ces mecs-là, coûte que coûte, veulent vivre comme ils l’entendent. Quelque part c’est une espèce d’envie que j’ai, moi. Mes voyous font ce que je ne suis pas capable de faire, ce que je rêve de faire tous les jours, péter les plombs. Ça a été une espèce d’exutoire, ça fait du bien même si c’est par procuration. Quand tu ne peux pas le faire dans ta vie, ben tu envoies tes personnages le faire. Ça fait du bien, c’est toujours ça de pris. J’avais un personnage comme ça dans le temps, qui s’appelait Tunny Head, c’était ça, un gros défouloir. Quand tu as envie de casser la gueule à un mec mais que tu n’en es pas capable, tu envoies ton héros de papier, ça fait du bien ! (rires) Je pense que Streamliner est né comme ça.

C’est aussi un nouveau format et un nouveau style.

Dans Tunny Head, c’était déjà une envie à l’époque de lorgner du côté des comics, ça me fascinait. Je trouvais ça tellement bien ce que faisait les Américains que j’avais envie de faire un truc un peu mâtiné. J’ai essayé de faire un peu comme eux graphiquement et même au niveau narratif. Sauf que Tunny Head était beaucoup plus désinvolte au niveau de l’histoire, c’était du gros n’importe quoi. Là, à la limite c’est plus classique, plus réfléchi, moins n’importe quoi.

© ‘Fane

On sent aussi une grosse liberté graphique.

Oui, quel bonheur ! C’est tout l’inverse, tu as de la place, tu peux prendre ton temps. En BD d’humour, c’est tout le contraire, c’est très cadré, tu cours après le temps et la place sans cesse. C’est au centimètre près. Le format de Streamliner est hyper plaisant pour moi, c’est une grande liberté.

Le format a-t-il été facile à présenter chez Rue de Sèvres ?

J’ai vraiment cherché un éditeur après, quand j’ai eu fini. Et je ne m’étais pas rendu compte que la problématique viendrait plus de la pagination, que le bouquin était trop gros. Et puis en plus la thématique faisait un peu peur, les gens se demandaient qui ça allait intéresser. Et puis une fois qu’ils l’ont lu, ils se sont dits que ce n’était pas que de la bagnole, en fait, c’est presque une chronique humaine. Ils ont commencé à se dire qu’il y avait un truc à faire mais en revanche il n’y avait pas à tortiller, le bouquin était trop gros, à 30 euros ça n’aurait pas été possible. Donc on l’a coupé en deux, sinon ça devait être un one shot. Par contre, la parution rapprochée, c’est génial. D’ailleurs, pour le prochain projet que je fais, je vais faire pareil. Je vais tout faire d’un coup et seulement après on va sortir le tome 1 parce qu’on sait que le 2 est fait. Il faut pouvoir le faire car je vais passer deux ou trois ans sans rien sortir, mais au moins après le lecteur s’y retrouve parce qu’il ne va pas attendre la suite un an. Il faut que ce soit tiré en rafale. Il faut que l’énergie soit aussi dans la parution. Je suis sûr que ce principe est bien pour les BD quelles qu’elles soient.

Les dessins pleines pages, c’est un plaisir ?

C’est le bonheur ! (rires) C’est une libération par rapport à du Joe Bar Team, où tu dois mettre dix informations dans des cases de cinq centimètres carrés. Tu te fais ton cinéma ! Si tu veux un panoramique, bam, c’est hyper plaisant.

© Rue de Sèvres, Paris, 2017

Est-ce que ça change la manière de dessiner ?

Là, franchement, c’est une histoire d’auteur. Moi je préfère l’atmosphère et la présence au souci du détail. C’est une histoire où la mécanique est omniprésente, j’aurais pu m’attarder sur les détails mécaniques des véhicules. Il y en a qui font ça très bien, pour moi ça ne sert à rien, j’en suis incapable. Être aussi soigné et détaillé, je ne saurais pas le faire et je ne vois pas l’intérêt alors que d’autres le font mieux que moi. Je m’attarde plutôt, parce que c’est ce que je préfère, sur la présence des véhicules, leur force, sentir leur puissance, la chaleur, le côté inquiétant des engins. Et ça les rend presque plus vivants. C’est ce qui m’importait là-dedans. En plus il y a un lien étroit entre les bolides et leurs propriétaires, un peu comme un cowboy avec son cheval. Pour moi c’est une entité, son véhicule. Il est directement rattaché à son pilote. Et à son propriétaire. Généralement dans l’histoire c’est même eux qui l’ont façonné. Donc il faut que ça soit vivant. Et puis dans le mouvement, je suis désolé, t’as pas le temps de voir les boulons quand la bagnole déboule à 200… tu vois une forme, une masse, une présence… mais en aucun cas des détails techniques, tu n’as pas le temps de les voir. En revanche tu vas sentir le souffle, c’est tout ça que j’essaie de traduire le plus. Comme je voulais essayer d’en faire une espèce de film, il faut que ça ressemble à des images de films. Si tu fais un arrêt sur image sur une bagnole qui passe à toute vitesse, l’image est floue. C’était ça qui m’importait. Si j’ai réussi à traduire ça, je suis content parce que c’est quelque chose qui est pas mal négligé dans ce registre-là. Le registre mécanique est toujours associé aux détails parce que les lecteurs veulent ça. Mais moi je ne voulais pas faire un documentaire.

Les albums bénéficient en plus d’une super maquette.

Olivier Vatine m’a beaucoup aidé sur les couvertures. Il a un bon sens des couvertures et il m’a bien dépêtré la couverture. Autant j’avais mes visuels, autant je ne savais pas comment j’allais les mettre en place. Les deux albums se répondent, ils se regardent quand tu les mets côte à côte, c’est super.

© Rue de Sèvres, Paris, 2017

Et les couleurs sont aussi particulièrement réussies.

Alors que moi je l’avais pensé en noir et blanc ! Et en fait, Isabelle Rabarot a fait de super couleurs. Mettre la série en couleurs, moi ça me rendait malade, du coup je lui ai demandé de faire un truc très minimaliste, mais elle s’est moulée à mon truc et a fait un travail super chouette. Elle fait de ces séquences qui montent en puissance, le ciel devient rouge… des trucs de fou ! Et quand on revient un peu dans le passé, elle utilise des teintes en sépia, on n’est jamais perdu.

Comment sera le prochain projet ?

Il sera beaucoup plus classique mais en revanche j’ai envie de continuer à raconter des histoires humaines. Ça va être un autre milieu, un autre univers, mais j’ai toujours envie d’être en intimité avec les personnages. Je travaille là dessus. Mais il n’y aura plus de bagnoles pour l’instant, j’ai envie d’essayer de sortir du truc.

Avez-vous envie de sortir de l’image du dessinateur d’humour et de mécanique ?

Oui, nécessairement. Ça faisait des années que les gens me connaissaient pour Joe Bar Team, les gros pifs, quoi. Ce n’est pas dévalorisant mais c’est vrai que ce n’est pas le même raconteur d’histoires. Tu fais des gags, ce n’est pas pareil. Moi en tant qu’auteur, j’aime raconter des histoires. Il y a cette frustration au bout d’un moment, quand tu fais de la BD d’humour, c’est que tu ne peux pas développer la psychologie, tu ne peux pas aller dans le dramatique et tout ça, tu n’es pas là pour ça. Des fois j’ai envie de raconter des trucs un petit peu tristes ou un petit peu tendus, des rapports humains un petit peu plus réalistes.

Merci beaucoup !

Propos recueillis par Arnaud Gueury.

Interview réalisée le 28 octobre 2017.

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Description de l'auteur

Arnaud Gueury

Département : Mayenne / Séries préférées : Tintin, Gaston, Léonard, Garfield, Les 4 As, XIII, Largo Winch, La Quête de l’Oiseau du Temps, Sillage, Valérian, L’Incal, Le Vagabond des Limbes, Michel Vaillant, Lefranc… / Auteurs préférés : Jean Roba, Dupa, Luguy, Moebius, Alan Moore, Mike Mignola, Tim Sale, Marc Wasterlain, Leiji Matsumoto, Buichi Terasawa, Charlie Adlard, Christophe Bec, Terry Dodson, André Taymans, Philippe Berthet, Silvio Camboni… / J’aime aussi : ma famille et mes chiens, la forêt, le Dr Pepper, le retrogaming et les tartes aux cerises.

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