Durant le festival international de la bande dessinée à Angoulême, nous avons eu la chance de rencontrer Elodie Garcia. Mais surtout, elle n’est pas venue seule ! En effet nous avons la belle surprise que Xavier Bétaucourt, scénariste du Silence de l’Ombre, et Mélanie Rouzière, éditrice de l’album, se joignent à nous pour une discussion passionnante et passionnée !
Bonjour Elodie, merci d’avoir accepté de nous rencontrer ! Pour commencer, pourrais-tu nous dire comment tu es venue à la bande dessinée. Car si nous ne nous trompons pas, Le Silence de l’Ombre est ton tout premier album ?
Elodie Garcia : Oui, tout à fait, c’est le premier. Au départ, j’étais graphiste mais j’en ai eu un peu marre de ce métier. J’ai toujours dessiné, créé des choses et donc j’ai commencé à créer une histoire qui parlait du deuil. C’était un peu la trame, quand Echo part de l’autre coté, avec l’ours, la boite… Et je suis allée au pavillon Jeunes talents il y a deux ans pour présenter mon projet. J’ai rencontré Mélanie et aussi Estelle, l’autre éditrice, qui ont tout de suite aimé. J’étais un peu étonnée mais ravie ! Et derrière moi, il y avait quelqu’un, et c’était Xavier que je ne connaissais pas…
Xavier Bétaucourt : Le hasard complet ! J’ai été aux Jeunes talents, j’allais voir Estelle à ce moment-là et Estelle me dit « hey Xavier, il y a une dessinatrice là, c’est super ce qu’elle fait ! », donc j’ai regardé par dessus l’épaule d’Elodie et je me suis dit oui, effectivement c’est bien ce qu’elle fait !
Donc hasard total ! Elodie, vous aviez déjà votre histoire et si je ne me trompe pas, Xavier, vous êtes intervenu sur le scénario ensuite ?
EG : Oui, c’est exactement cela. On s’est complété. J’avais le début et après on a travaillé ensemble.
XB : Voilà, il y avait une base, tout était là et en même temps je voulais aussi apporter quelque chose. On a beaucoup échangé sur ce que l’on voulait raconter et ça s’est créé comme ça en fait. En parlant. On avait l’envie commune d’aborder ce thème. Et aujourd’hui c’est la première fois qu’on se voit en vrai en fait ! On a échangé pendant deux ans au téléphone et sur messenger. Et ça a marché !
EG : J’avais Mélanie au téléphone au début, on a démarré le projet et ensuite on a fait rentré Xavier dans la boucle. C’est donc comme ça que ça a commencé.
Donc très naturellement ! Rien de calculé au départ…
EG : Oui, c’est ça. J’y suis allée comme ça un peu sur un coup de tête…
XBr : Non, c’est ton chéri qui t’a forcée !
EG : Un peu, oui. Ca faisait longtemps que je travaillais dessus. A la base, ce n’était pas prévu pour être une BD. J’étais allée à Montreuil et je m’étais dit que j’allais rencontrer des éditeurs. Mais en fait il y avait des rendez-vous et je ne le savais pas. Donc je n’ai rencontré personne. Par contre, il y a un auteur à qui j’ai montré mes dessins et c’est lui qui m’a dit « tu devrais plutôt faire une BD ». Alors que moi j’avais plutôt imaginé ça comme un livre jeunesse. Quand il m’a dit ça, j’ai d’abord pensé « mais je n’ai jamais fait de BD, c’est pas possible ». et puis finalement, j’ai mis en forme pour que ça ressemble un peu à une BD et je l’ai présentée.
Ce qui explique que le dessin soit plus un dessin d’illustration qu’un dessin de BD classique.
EG : Tout à fait. Je ne l’avais pas imaginé comme une BD. Mais finalement le thème ne se prêtait pas vraiment à un album illustré jeunesse…
Justement, pourquoi ce thème du deuil ? C’est un thème dur, que l’on voit quasiment jamais en bande dessinée.
EG : Alors je n’ai pas perdu ma sœur comme dans la BD mais j’ai perdu des membres de ma famille. J’ai eu envie d’exprimer ça d’abord en dessinant. Et puis je me suis rendue compte qu’on n’en parle jamais, même dans notre famille on n’en parle pas. C’est dur, donc c’était aussi une manière de raconter l’histoire comme moi je l’avais ressentie. Et après Xavier est intervenu…
XB : Oui c’est ça, en fait. Dans ma famille aussi il y a eu un décès avec un enfant et à cette époque j’avais cherché un support pour l’aider, et il n’y avait rien. Donc l’idée n’était pas de se dire « tiens, on va faire un support pour parler de ça » mais en même temps l’idée de se dire qu’il n’y avait rien, ça peut avoir une certaine utilité. Mais il n’y avait pas que cela bien évidemment mais l’envie de raconter cette histoire.
Ce n’est pas un livre éducatif, le thème n’a pas été choisi pour ça, mais effectivement ça peut quand même aider des enfants qui vivraient un deuil…
XB : Oui, il y a plusieurs niveaux de lectures. Ca peut être des gamins qui lisent ça et qui vont se dire c’est une belle histoire même s’ils n’ont jamais eu de décès dans leur entourage. Mais ça peut aussi être un support quand il y a eu un décès ou j’ai envie de dire aussi pour préparer, même si on ne peut pas se préparer réellement à ça. Quand j’avais fait un bouquin sur les soins palliatifs, j’avais discuté avec une psychologue sur le deuil chez l’enfant, comment les préparer. Donc tout ça a aussi nourri l’histoire. Il y a une telle richesse dans l’univers graphique d’Elodie.
Elodie, quand vous avez présenté votre projet, l’histoire était complète ?
EG : Non, en fait il y avait une trame. C’est à dire qu’Aiko perdait un membre de sa famille mais qui n’était pas encore défini. Je savais aussi qu’il y avait l’ombre. C’était vraiment dans les éléments principaux. Ce que j’ai dessiné en premier, c’était l’ours qui amenait la boite. Après il fallait créer ce qu’il allait se passer à l’intérieur et la fin, l’acceptation de la mort d »un proche. Donc non, il n’y avait pas tout le scénario. C’est là qu’on a travaillé ensemble avec Xavier
XB : Sinon j’aurai servi à rien ! Il y avait plein d’éléments et ensuite on les a mis ensemble. J’ai aussi apporté des choses plus personnelles.
EG : Oui, tu voulais des animaux ! Et moi j’ai fait les arbres !
XB : Oui voilà. C’est ce qu’on disait au départ, c’est beaucoup d’échanges entre nous.
EG : Pour savoir ce qu’on voulait. Et Xavier l’a bien compris dès le début, c’est pour ça que je me suis dit on y va. Il m’a tout de suite dit « je ne veux pas changer le fondement de l’histoire, mais reprendre ce que tu as fait pour en recréer autre chose en gardant le fond, le message et les dessins aussi », parce que j’avais fait quelques dessins.
XB : Certaines scènes ont été écrites à partir des dessins qu’Elodie me montrait et j’écrivais à partir de ça.
Pour vous Elodie, c’était plus simple de faire un premier album avec l’aide de quelqu’un, est-ce que ça vous a rassurée ou bien vous aviez un peu peur de perdre votre histoire ?
EG : Un peu des deux, en fait. Au début, j’avais un peu peur. J’en parlais à Mélanie. J’avais peur que le message soit dénaturé. Et finalement c’était très bien de travailler avec Xavier.
XB : On en a beaucoup parlé. Parce que moi c’est pareil, je me suis dit « est-ce que je vais rentrer dans cet univers ? ». Et au premier coup de fil, on a été convaincu tous les deux qu’on voulait la même chose. Donc ça a été très simple après.
EG : Et il m’a dit un truc qui m’a fait marrer. Il m’a dit « il va falloir que tu m’invites chez toi ».
XB : Et depuis deux ans, ça n’a toujours pas été fait !
D’habitude Xavier, en tant que scénariste, vous travaillez seul sur le scénario et ensuite le dessinateur intervient ?
XB : Ca dépend. Il y a plusieurs cas de figure. Je ne veux pas m’enfermer. Je travaille seul la majeure partie du temps. Mais il y a parfois des rencontres qui donnent envie de travailler ensemble. Je trouve ça très enrichissant. J’ai adoré quand on a bossé ensemble. On échange. Et quand je suis seul scénariste, le dessinateur n’est jamais un exécutant ! Je veux qu’il apporte des choses. Je ne me pose pas la question en fait. Je travaille seul, en collaboration… Là par exemple je travaille sur un projet avec une journaliste, donc on travaille ensemble et c’est sympa, c’est intéressant.
Combien de temps vous avez mis pour faire l’album ?
EG : Un an, un an et demi à peu près.
La réponse semble assez évidente à la vue de vos dessins, mais vous travaillez en traditionnel ou en numérique ?
EG : A la main ! Une case c’est un dessin. Donc une feuille en A4, parfois en A3 selon les dessins. Puis je les numérise et ensuite par contre je colorise sur Photoshop.
Et vous êtes perfectionniste ?
EG : Je travaille dessus. Au début, je l’étais vraiment. Mais à force, j’ai un peu lâché prise. Parce qu’au final c’est l’émotion qui compte, pas juste que le dessin soit beau. Donc pour certains, je vais mettre 2h, pour d’autre 6h, ça va dépendre en fait. Il n’y a que l’ombre que j’ai fait à la main.
Mélanie Rouzière : Mais le projet était déjà très beau en noir et blanc en fait !
EG : A la fin, c’est en noir et blanc d’ailleurs, à part Aiko en rouge, mais sinon on a laissé en noir et blanc.
MR : On s’est posé la question au départ d’ailleurs de laisser en noir et blanc. Mais comme c’était pour de la jeunesse, il fallait de la couleur. Bien que l’album était vraiment très beau en noir et blanc ! C’était déjà très fort au niveau visuel. Donc c’est pour ça qu’on a travaillait la couleur de façon assez particulière.
Effectivement le fait que le début soit en couleur et la fin en noir et blanc va très bien avec le thème…
EG : Oui le sujet est déjà assez dur, donc tout faire en noir et blanc aurait sans doute était trop.
Parlons maintenant de la suite. Est-ce que vous avez déjà des projets, des idées ?
EG : Oui. Un projet qui se profile bien. On verra ce que ça va donner. Je ne sais pas si j’ai le droit d’en parler.
XB : Non, tant que ce n’est pas signé tu n’en parles pas ! Ca parle de loup !
EG : Des poissons ! J’en ai marre des poils d’ours ! (rires)
On imagine assez bien que ça restera dans le même style graphiquement ?
EG : Oui oui, je vais rester dans ce style.
Dans les thèmes aussi ?
EG : Oui, un peu fantastique. J’aime bien ces thèmes-là. Donc non, ça ne sera pas une enquête policière !
Il y a des dessinateurs qui passent du tout au tout. Mais votre univers est vraiment particulier, donc j’imagine que vous n’avez pas forcément envie de changer..
EG : Pour le prochain, j’aimerais bien rester dans cet univers, un peu fantastique.
XB : Elodie a une identité graphique très forte.
MR : Elle a énormément de potentiel. Elle peut faire plein de choses, elle a un gros point fort sur les émotions.
C’est sûr que, rien que sur ce premier album, il y a beaucoup beaucoup d’émotions !
Elodie : Je vous ai fait pleurer ?
Non, je suis très dure à faire pleurer, mais par contre gros pincement au cœur quand même à la lecture !
XB : On a fait quand même très attention à ne pas tomber dans le pathos !
Oui et c’est vraiment très très bien dosé !
XB : Je fais toujours très attention à cela dans mon travail, bien doser pour ne pas tomber là-dedans.
EG : Le projet de départ était beaucoup plus sombre. Parce que je n’avais pas vraiment pensé cela pour des enfants au début.
MR : Ce qui est fou, c’est que quand on voit l’album, on se dit c’est un album jeunesse. Mais quand on le lit, par contre, pas du tout.
XB : D’ailleurs ce matin, en dédicace, ce n’était que des adultes !
MR : La douceur de son dessin lui permet de tout aborder. Il y a peu de dessinateurs pour qui on va se dire qu’il y a tellement de générosité dans le dessin qu’on va pouvoir parler de tout les sujets et ça va passer. On peut passer des messages forts. Du coup, le fait d’avoir démarré sur un sujet dur à aborder, ça met la barre très haut.
C’est un album assez dur à classer et qui parle à chacun, en fonction de son vécu.
EG : Oui, chacun peut l’interpréter comme il veut.
XB : C’est vraiment ce qu’on voulait.
MR : C’est multigénérationnel. Les personnages font que l’on va pouvoir s’identifier. C’est universel, on passe tous par le deuil à un moment ou un autre.
EG : Et pourtant on n’en parle pas, ça reste un sujet tabou. Il y a quelques petits albums pour les tout petits, mais c’est tout.
MR : Et on a l’impression que c’est plutôt un prétexte. Et des BD qui déclenchent autant d’émotions, ce n’est pas courant.
Juste une dernière petite question : Vous aviez présenté ce projet à un autre éditeur ?
EG : En fait non, je devais avoir un rendez-vous avec Casterman mais qui a été annulé. Du coup Mélanie et Estelle m’ont dit non, ne vas pas voir Casterman.
MR : Ah oui, ça a été un vrai coup de cœur. J’ai flashé. J’ai dit tout de suite « Cette autrice, je la veux, c’est trop beau ce qu’elle fait, ça m’a touché ! » Ca va faire douze ans que je fais ce métier. J’étais aussi graphiste avant et, quand j’ai vu ce que fait Elodie, je me suis dit qu’on ne voit pas ça souvent. Ca m’a parlé tout de suite. Ses dessins étaient très forts, très beaux. Sa qualité graphique m’a touchée. Je suis très sensible à la qualité du dessin. Ca a été un vrai coup de foudre.
Merci beaucoup de nous avoir accordé du temps pour cette interview !
EG : Merci à vous, c’était ma première interview ! Tout est nouveau… Première BD, premier Angoulême, première interview, premières séances de dédicaces aussi !
Merci pour ce privilège alors, et merci aussi à vous Xavier et Mélanie, de vous être joints à nous !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 17 mars 2022
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Xavier Bétaucourt et Elodie Garcia”