Au cœur du festival d’Angoulême, nous avons fait la rencontre de Delphine Rieu. Cette femme souriante et pétillante nous a accordé de son temps pour discuter de son parcours ainsi que de toutes ses activités du moment, qui sont nombreuses.
Bonjour Delphine. Quel est ton parcours ?
J’ai commencé en 1996 par scénariser et mettre en couleurs des strips pour le journal de la ville d’Angoulême et mes premiers albums sont sortis en 1997. J’ai commencé en même temps le scénario et la couleur informatique. Je suis une des premières coloristes informatiques. Au départ, je n’avais pas trop de commandes car ce n’était pas une technique utilisée jusqu’alors. C’est Denis Bajram, un ami d’Angoulême, qui nous a montré comment faire un fichier pour de la mise en couleur informatique, lui non plus n’en avait alors jamais faite, mais il connaissait parfaitement Photoshop pour avoir fait de la maquette. Nous avons reçu l’ordinateur une semaine avant de devoir commencer la colorisation de l’album, dû acheter un scanner, s’auto-former sur Photoshop. On a commencé sur un album de communication publié chez Delcourt. Nous avons malheureusement fait tout ce qu’il ne fallait pas : dégradés dans tous les sens, du noir dans la couleur… On s’est donc fait la main sur cet album et nous avons vu tout ce qu’il ne fallait pas faire, et après c’était bon. En couleurs, j’ai commencé à travailler pour des amis qui vivaient sur Angoulême, je suis donc entrée chez Soleil comme ça. Mais au départ, c’était vraiment compliqué car la technique de colorisation n’était pas très connue et les auteurs avaient peur des rendus flashy. À l’époque, il n’y avait pas de tablettes graphiques, on faisait tout à la souris et je m’en sortais plutôt bien. Aujourd’hui, je travaille sur tablette et je me demande comment je faisais avant. J’ai commencé le scénario en même temps, en 1997. Deux albums sont parus chez Glénat : Hermine.
Est-ce que tu colorises les albums que tu scénarises ?
Non, car souvent mes albums sont en noir et blanc. Le seul album que j’ai scénarisé et qui est en couleur est Trum et l’œuf de Taï chez Soleil. Tiho, le dessinateur, s’est chargé des couleurs. J’ai retouché certaines cases avec son accord pour changer deux ou trois petites choses mais, étant donné qu’il s’en sortait très bien, je ne vois pas pourquoi j’aurais fait la colorisation.
Pourquoi ne mets-tu pas de couleur dans tes albums ?
À chaque fois, la collection a fait que le noir et blanc était la seule chose qui convenait : comics, manga… et j’aime beaucoup le noir et blanc.
En tant que coloriste, pour qui travailles-tu maintenant ?
Ce sont soit les dessinateurs qui me contactent soit les maisons d’éditions. Je fais un essai et puis, si cela leur convient, je travaille sur l’album. Cela a un peu changé avec le temps car avant, lorsque l’on faisait le premier tome d’une série, on savait que l’on ferait le reste de la série. Maintenant, les séries sont de plus en plus courtes, voire des one shot. Par ailleurs, une série n’est pas rattachée à un coloriste, il peut y avoir plusieurs coloristes sur une même série. Maintenant, avec tous ces changements, je suis sans arrêt en recherche de nouveaux albums sur lesquels travailler en tant que coloriste.
Comment gères-tu ton temps entre la colorisation, scénarisation et ta maison d’édition ?
Je n’écris plus de scénario depuis assez longtemps car mes scénarios ne rentrent jamais dans des collections prédéfinies. C’est pourquoi j’en ai dans les cartons mais, pour le moment, ils vont y rester. En ce qui concerne Lolita HR, cela fait très longtemps qu’il a été écrit, la trame surtout. Pour le quatrième tome, j’ai dû reprendre l’écriture mais, puisque j’avais déjà toute la trame, ça a été facile. C’est très long d’écrire un scénario : pour proposer son travail, il faut l’écrire en entier alors qu’un dessinateur fera un essai sur deux-trois planches. Par ailleurs, tout cela pour être refusé, donc au bout d’un moment on arrête. Depuis que j’ai ma propre maison d’édition, je n’ai plus le temps d’écrire.
Qu’est ce qui t’a poussé à créer ta propre maison d’édition ?
Lolita HR a été publiée à deux reprises chez les Humanoides Associés : en 2007 les tomes 1 et 2 dans la collection manga, puis en 2008 dans les romans graphiques avec un titre différent : A.Doll.a dont les deux tomes sont ressortis. Pour les lecteurs de mangas, Lolita HR n’avait rien à voir avec ce qu’ils avaient l’habitude de lire, donc le livre ne se vendait pas très bien. Puisque la maison d’édition ne voulait pas continuer la série et que nous ne pensions pas retrouver un autre éditeur pour sortir une troisième fois la série, nous avons décidé de faire cela nous-mêmes. J’ai monté ma maison d’édition notamment pour ça, pour finir ma série, avec du beau papier pour faire de beaux livres ; mais également car cela faisait 15 ans que je travaillais seule chez moi dans mon bureau et que j’avais envie de voir du monde. J’ai donc créé mon association, « Eidola Editions ».
Reçois-tu beaucoup de projets ?
Pas trop. Tant mieux car je n’ai pas beaucoup de temps. Pour le moment, je travaille beaucoup avec des amis que je connais depuis longtemps.
Sur Lolita HR, comment as-tu fait pour travailler avec Javier Rodriguez qui est en Espagne ?
Ça n’a pas été un problème car des auteurs habitent rarement près l’un de l’autre. Le seul problème était la langue, tout en espagnol : je parle très mal espagnol mais il me comprend. Pour commencer à travailler, j’envoyais le scénario, il me renvoyait le storyboard pour voir s’il avait bien tout saisi, si les intentions étaient là, puis à partir de là il commençait le dessin. Javier n’a pas pu faire le tome 4 car il est très pris par un autre gros projet, donc j’ai travaillé avec Natacha Bustos avec qui cela s’est très bien passé, tant elle est rapide et efficace. La continuité graphique est bluffante.
D’où vient l’idée de Lolita HR ?
Au départ, l’idée était : est-ce qu’on peut faire d’un personnage qui n’a aucune conscience un héros de bande dessinée ? C’est l’héroïne mais Lolita est très passive dans l’histoire, c’est un pantin, malgré le fait que j’ai un peu triché en montrant au lecteur qu’elle acquiert une conscience à un moment donné. Ça fait 10 ans que l’on est sur ce projet.
As-tu des projets sur d’autres supports ?
Je réfléchis en ce moment à numériser Lolita HR en y rajoutant de nombreuses petites choses. Ce ne serait pas juste un PDF basique, mais des petites animations seraient ajoutées par exemple. Ce qui pose problème est le format qui est différent selon le support sur lequel il va être lu. Étant donné toutes ces difficultés, nous allons pour le moment essayer de créer un PDF enrichi sur une plateforme particulière qui a l’air de bien fonctionner. Pour Lolita HR, nous avons enregistré quatre morceaux de musique, nous sommes en train de faire les clips, on monte également une exposition, on fait des concerts dessinés. Pour la fin de l’année, nous allons peut-être faire un coffret avec les quatre tomes et un DVD agrémenté des clips et de bonus… Le Portugal a racheté les droits de Lolita HR et l’Espagne les a également demandés.
Quelques mots sur Eidola ?
Eidola est une maison d’édition d’auteurs car je suis auteur, pour faire de beaux livres. C’est faire ce que l’on a envie de faire et cela même si on sait que ce n’est pas commercial. En librairie, Lolita HR est difficile à placer car les libraires ne savent pas s’ils doivent le mettre en manga ou en roman graphique. Eidola est une maison d’édition qui vend très peu en librairie, mais plutôt en musée, festival, site internet, supermarché. Pour vendre, il ne faut pas spécialement de communication mais être présent en librairie. On fonctionne différemment des autres maisons d’édition qui vont avoir de très grosses ventes sur quelques semaines puis dont on n’entendra plus parler. Nous, nous préférons faire vivre le livre sur du très long terme. Pour moi, il n’est pas question de faire un livre sans payer l’auteur, on ne paye pas beaucoup mais pour le premier tirage on paie en avances et non pas sur les relevés de ventes un an plus tard. Nous avions sorti deux livres qui devaient être vendus dans les zoos mais cela n’a pas du tout fonctionné car les zoos ont leurs propres livres ou sinon ils préfèrent vendre des peluches et autres petites choses. Ensuite, nous avons fait un livre sur un site paléontologique en Charente, car les paléontologues qui étaient sur le site avaient besoin d’un livre pour faire de la communication afin de pouvoir obtenir le soutien des pouvoirs publics pour leurs fouilles. Mazan a fait ce livre qui a été subventionné. C’est un livre super qui se vend très bien. Là, nous allons nous axer sur des livres enfants qui se font assez rapidement. Nous ne pouvons pas nous lancer dans des bandes dessinées qui seront faites sur un an car nous n’aurons pas les moyens de payer les auteurs. J’essaye d’avoir des subventions pour pouvoir les payer. Les livres enfants paraîtront sous une collection que j’ai initié : la collection « Chouette », qui agite les idées, deux sous forme de textes illustrés et deux avec des bulles. Chaque livre aura un thème différent : le genre, l’anarchie, l’écologie, les planètes, etc. Ils seront au format portrait avec les deux coins arrondis (pour moins les abîmer), souples. Nous allons également sortir le tome 2 de Mimo mais aussi faire de la récupération de droits d’auteur de certains albums comme Les Gotozis chez Le Cycliste, que j’aimerais mettre en couleurs.
Propos recueillis par Priscilla Fouché
Interview réalisée le 31 janvier 2015
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