
Alors qu’ils n’avaient pas encore publié ni même terminé leur toute première bande dessinée, nous avons eu la chance, lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en mars 2022, de rencontrer David Furtaen et Pauline Pernette, respectivement scénariste et dessinatrice du Temps des Ombres aux éditions de la Gouttière, paru au mois de mai.
Bonjour à tous les deux. Première question, comment êtes vous arrivé à la BD ?
David Furtaen: Je vais encore raconter mon histoire préférée ! Mais honneur aux dames.
Pauline Pernette : Allez donc, moi, à la base, j’ai une formation en illustration de bande dessinée. J’ai fait en première école en études sup. Dans cette école, tous les enseignants étaient des professionnels qui faisaient des albums de bande dessinée, dont un de mes profs qui m’a dit « la BD, c’est bien, l’animation, ça paie plus. Donc fais peut-être aussi une école d’animation parce que tu auras deux cordes à son arc. » Après ça, j’ai fait une école d’animation. Qui m’a fait décrocher mon premier travail en animation. J’ai travaillé pendant deux ans comme décoratrice dans des films et séries. Et au bout d’un moment j’en ai eu marre, parce que finalement la BD ça me manquait et que je préférais ça. En plus, j’étais à Angoulême, donc j’étais là. Il y avait un truc à faire quand même.
Du coup, pour travailler en animation, c’était sur Angoulême ?
PP : J’ai travaillé au Luxembourg et à Angoulême, j’ai fait ma formation au Luxembourg. Ma première production s’est faite là-bas. Finalement, j’ai voulu rentrer en France donc je suis venue à Angoulême. S’il y avait quand même la BD, je voulais me rapprocher un peu. Et puis, il y a beaucoup de studios d’animation. J’avais le choix entre Angoulême ou Paris. J’ai fait une prod à Angoulême et puis j’ai arrêté. Je me suis lancée en freelance et j’ai commencé à travailler pour la presse jeunesse. Parce qu’au moment où on s’est rencontrés avec David… enfin rencontrés, « établi le contact » serait plus juste…
DF : Eh oui, c’est la première fois qu’on se voit en fait.
Ah oui ?
DF : Il y avait eu déjà deux autres tentatives. Mais il y a eu confinement et re-confinement.
PP : La toute première fois, c’était début mars de l’année 2020 et, deux semaines après, il y a le confinement. Et la fois d’après, je ne sais plus ce que c’était…
DF: C’était la même chose.
PP : Ça a été la même chose, au moment de la mise en place du pass vaccinal. A chaque fois, c’était vraiment un timing de rêve.
DF: C’est vrai que ça a été folklorique. Pour moi, le lien avec le monde de la BD est beaucoup plus ténu. J’ai fait du droit. J’ai juste eu une première occasion de toucher au scénario, je me suis dit « bon, allez fait un truc rigolo pour voir ». J’ai participé à un concours de scénario audiovisuel au festival de Montreux et, dans le jury, il y avait le producteur d’une série au format court qui est sur M6 et j’ai reçu un message. Je ne connaissais pas du tout la série mais il m’a dit « Écoute, viens à telle date, on fera des essais ». Du coup, j’ai regardé vite fait, j’ai cherché ce que c’était, j’ai participé et ça s’est bien passé. J’ai pu faire des premiers scénarios, c’était chouette. Et j’ai fait ensuite du jeu de rôle. Là, c’est le côté passion, donc je fais des scénarios et j’ai une chaîne YouTube qui s’appelle Grimoires et tentacules. Le lien avec Pauline va apparaître à travers ça d’ailleurs. Un jour, je faisais donc des aventures vidéo ou des jeux de rôles avec des copains. Et Pauline, qui travaille en écoutant des aventures de jeux de rôle, est tombée sur cette chaîne. Un jour, j’ai fait une publication sur un réseau social, j’avais trouvé une image de petits chiens, des corgis sur la plage avec quelqu’un qui leur avait rajouté des épées en mousse. Ça m’a fait rire. Je l’ai mise en disant « Ah là, là, c’est rigolo, il ne leur manque que la cape. » Pauline a vu ce message.
PP: J’ai récupéré la photo, j’ai dessiné des capes. Cinq ans d’études pour pouvoir dessiner des capes ! Mes parents sont tellement fiers.
DF: Moi en tout cas j’étais très fier ! Je me suis dit quelqu’un qui a assez d’humour pour faire ça, il faut que je vois ce qu’elle fait ! J’ai regardé son profil Instagram, j’ai vu des images et ça a été assez rapide après ça.
Ca s’est vraiment fait par hasard.
PP: Oui, grâce à des corgis.
DF: Je pense qu’on peut dire quand même que c’est le truc improbable.
Il ne doit pas y avoir beaucoup d’histoires de ce style.
PP : Je me rappelle que, quand j’ai reçu ton message, j’ai dit à mon copain « David de Grimoires et tentacules veut faire une BD avec moi, oh mon Dieu, oh mon Dieu ! »
DF : Ça s’est déclenché tout seul, comme je disais. Et c’est allé très vite après.
PP : Le dossier, on a mis un peu de temps à le faire quand même.
DF : Oui, mais sur l’idée on s’est mis d’accord assez vite.
PP : C’est vrai que toi tu avais l’avantage de voir mon dessin sur Instagram, mais moi je savais aussi de quoi tu étais capable comme scénariste, par les jeux de rôle. Toutes les histoires, c’est lui qui les raconte. Ce ne sont d’ailleurs pas juste des histoires, c’est des scénarios écrits qu’il fait jouer. Je savais déjà le genre de choses qu’il racontait même si c’est dans des univers de jeu existants, mais au moins, sur la façon de raconter, ça m’a fait un bon aperçu.
Vous aviez chacun un aperçu du travail de l’autre…
PP : Oui, du coup quand j’ai reçu le mail, je ne me suis pas trop posé de questions. Je me suis pas demandé si ça aillait le faire.
DF: J’avoue qu’avec le recul maintenant, se dire qu’on est là, il y a un côté rigolo. On se dit qu’on a bien fait.
Est-ce que, dès le départ, quand tu a envoyé le mail, tu pensais à cette histoire ou est-ce après que vous en avez parlé ensemble et vous avez construit l’histoire?
DF : Il y a un personnage qu’elle avait déjà dessiné.
PP : On s’est appelé un soir, pas longtemps après le mail, On s’est dit « voilà, on veut faire une BD, alors on s’appelle demain. »
DF : En fait ça a été très fluide, parce que j’ai vu son personnage et je l’ai trouvé génial.
PP : En fait, ce qui s’est passé, c’est qu’on s’est appelés et on a discuté pour faire connaissance rapidement. On a discuté des thèmes qui nous intéressaient, de nos références, de l’univers graphique, de films. On avait beaucoup en commun, donc on savait que c’était déjà bon signe pour trouver un terrain d’entente. Il n’y en avait pas un qui voulait faire de la romance et l’autre du policier. On était allé sur mon Instagram et on a scrollé. On a retrouvé un dessin que j’avais fait pour un challenge. Et c’était un personnage que j’avais bien aimé. C’était un challenge où il fallait faire un dessin par semaine. Il y avait un thème et c’était autour de l’aventure d’un personnage dans un univers concret. J’avais créé ce personnage de Mycène et j’avais juste fait des dessins de ce personnage qui était dans des environnements sans histoire, juste un personnage qui se déplace dans la nature.
DF : Il n’avait pas de nom, ce personnage !
PP : Non effectivement, on a gardé PP1 comme nom pendant des mois avant de trouver.
DF : D’ailleurs, on s’est dit qu’il fallait trouver vite un nom parce qu’on était en train de l’appeler PP1 à chaque fois.
PP : Donc cette soirée-là au téléphone, on a vu ce personnage. Moi j’avais envie de mon côté de faire quelque chose avec. David m’a dit « attends quinze secondes » et quinze secondes plus tard il m’a dit « je pensais faire ça comme histoire » et c’était quasiment l’histoire du Temps des Ombres.
DF : Oui, la BD s’est construite autour de ce personnage. C’est le côté rôliste d’improviser très vite.
PP : Après, l’histoire a évolué. Le deuxième personnage, Roch, n’était pas dans la première version, celle au téléphone, mais les bases de ce qu’on voulait raconter, des thèmes en tout cas, y étaient .
L’histoire au sens large a été trouvée dès le premier coup de fil, donc assez vite en fait !
DF : Oui, ça marche bien, on s’entend bien, on peut se dire des trucs. Ça, c’est chouette.
PP : Oui il n’y a pas eu de souci.
Pauline, est-ce que tu interviens un peu dans le scénario aussi?
PP : Je n’ai pas tellement eu à intervenir parce qu’il y a peu de choses qui m’ont dérangée. De temps en temps, certaines formulations, des phrases que je préférais faire différemment.
DF : Ou tu nuances aussi parfois. Tu peux dire ça, « moi je n’aime pas ça », mais ça fait partie de l’échange.
PP : Et il y a aussi l’avantage qu’avant que tu écrives, on en avait quand même beaucoup parlé. Encore une fois, c’est l’influence du jeu de rôle, tu ne t’es pas lancé dans l’écriture du script tout de suite. C’était d’abord vraiment un plan. Donc on pouvait réintervenir pas mal dessus. Et puis notre manque d’expérience a fait que, quand Flavie a demandé le script, on s’est dit « bon, David, tu peux faire ça pour demain ? »
Et après ? Vous avez démarché des éditeurs, vous êtes allés directement vers les éditions de la Gouttière ?
PP : On avait un résumé de l’histoire, on avait des planches, on avait les personnages expliqués, donc on avait quand même l’histoire globale.
DF : On n’a pas pensé à un éditeur avant d’avoir fait le dossier.
PP : Là c’est une histoire en quatre tomes. Il me semble que pour le dossier, on savait déjà ce qui allait se passer dans les quatre tomes.
DF : Oui c’est ça, dans les grandes lignes, et on a fait un petit résumé.
PP : En fait, on a assez tôt prévu une histoire qui s’avérait être découpée en quatre tomes. Mais on avait aussi la possibilité en tête que, si on avait un de nos éditeurs disait « Non, on ne fait pas de séries, on préfère faire un gros volume », on avait déjà toute une histoire.
DF : Honnêtement, c’est vrai qu’on se disait aussi qu’une histoire en quatre tomes d’un coup, peut-être que ça faisait beaucoup. On débarque, on ne savait pas si quelqu’un serait partant. C’est vrai que c’est une charge aussi pour un éditeur de faire confiance comme ça.
PP : C’est s’engager sur potentiellement quatre ans.
DF : Surtout avec deux nouveaux, avec même pas un qui a un petit bagage.
PP : Moi aussi, au début, je me suis dis que quatre tomes dès le premier coup… un one shot, ça a l’air quand même plus rassurant.
DF : Et puis c’est vrai que ça voulait dire aussi être ensemble pour une sacrée durée aussi.
PP : Donc on avait le dossier, on avait déjà les personnages qui étaient en place. L’univers était assez bien établi. parce que sur la partie d’écriture, au début, on a fait un petit ping-pong entre dessin et proposition de scénario. Il m’a envoyé des premières idées. Moi je lui envoyais des dessins en lui demandant s’il pensait que ça pourrait aller quelque part.
DF : C’est vraiment agréable. Franchement je ne sais pas si on arriverait tout de suite à faire d’une autre façon.
PP : Et après, on a fait le dossier, on l’a envoyé à plusieurs éditeurs. La Gouttière, je les connaissais parce que je les avais vus en festival à Saint-Malo. Et j’avais vu une de leurs autrices qui m’avait dit beaucoup de bien de leur maison d’édition, que ça s’était bien passé avec eux et qu’il y a eu un bon accompagnement pour les auteurs. Donc tout de suite, comme c’est notre première idée, ça nous a rassurés. Quand ils nous ont répondu, ça s’est super bien passé. Comme ils font beaucoup de séries, une série en quatre tomes, ça semblait évident pour eux.
DF : Ils ont dit oui pour quatre.
Donc ça s’est fait assez vite de trouver l’éditeur aussi finalement ?
PP : Surtout qu’on était un peu inquiets parce qu’on a envoyé le dossier en mars 2020.
DF : Non, c’était plus tard, c’était en fin d’année. Au début, on s’était demandé si on devait attendre la fin du covid pour l’envoyer. Parce qu’on supposait qu’il y avait une surcharge qui s’était forcément mise en place, on se disait qu’il fallait essayer d’optimiser…
PP : Oui, et puis on s’est retrouvé avec une histoire qu’on avait écrit avant le covid. Et là, il y avait le covid, et cette histoire de maladie, de contamination. Et on s’est dit « Est-ce que ça va être bien perçu ? Est-ce qu’on a envie de parler d’une maladie comme ça à cette période-là ? »
DF: C’est pour ça que ça s’inscrit dans un cadre qui est différent. Et le terme choisi est le mal plutôt que la maladie. On est presque sur quelque chose de surnaturel, on va dire. Il n’y a pas cet aspect maladie qui serait mal tombé pour le moment. On ne voulait pas se dire qu’on faisait quelque chose en profitant de l’actualité
PP : Je n’avais pas envie que les gens interprètent mal et pensent que c’était fait en référence au covid.
DF : Le propos général n’est pas là dessus du tout en plus.
Même si le covid est partout, ça ne m’a pas du tout fait penser à ça, justement grâce à ce côté malédiction.
DF : Tant mieux.
PP : On a pas mal réfléchi. Au début, on disait les malades, je crois. Et puis on a changé pour dire les contaminés.
DF: Mais en plus, malade, on avait peur justement que la façon dont on percevait le truc soit différente. C’est pas forcément un truc qui a un impact caché derrière. Le mal au moins, on est dans cette logique.
Pauline, tu travailles comme en numérique ou au traditionnel numérique?
PP : Numérique.
Je m’en doutais un petit peu vu le dessin…
PP : Je pense que grâce à l’animation.
Vous êtes de plus en plus nombreux à en passer par l’animation parmi les dessinateurs !
PP : On est beaucoup à se dire qu’on va faire six mois d’animation, six mois pour la BD… C’est vraiment l’instant un peu pas cool du métier, mais c’est l’évolution du métier, c’est ça. On est de moins en moins bien payés. Il faut faire de la BD de plus en plus vite. A l’époque, on avait le temps de passer un an et demi sur un album parce qu’on était payé en conséquence. Maintenant, on ne peut plus. Même avec des éditeurs qui paient de façon très correcte, on n’a pas le temps.
Fais-tu vraiment tout au numérique ou tu as quand même quelques crayonnés qui sont faits sur papier?
PP : J’ai commencé à faire mon pré-découpage sur papier. Après j’ai découvert Clip Studio Paint qui est incroyable pour faire du storyboard. Et c’est tellement fluide de le faire dessus !
Si je ne me trompe pas, c’est ce que les Japonais utilisent pour faire les mangas ?
PP : A la base, c’était un logiciel pour faire du Webtoon, mais là ils ont ajouté un moyen pour faire de la BD, dont une notion qui fait qu’on peut avoir toutes ses pages à la suite, donc c’est très simple de faire son prédécoupage. Donc en terme de gain de temps c’est assez bien. Mais quand je suis bloquée sur une séquence, je passe sur papier, pour essayer de débloquer en travaillant différemment.
Combien de temps pour faire ce premier album alors ?
PP : J’ai du mettre 7-8 mois, sachant qu’au début je travaillais encore pour la presse. Mais là, pour la fin, j’ai travaillé uniquement sur la BD. Je pense que pour les prochains tomes, je ne pourrais pas non plus travailler sur autre chose en parallèle. Je trouve beaucoup plus plaisant de n’être immergée que dans la BD.
DF : Je pense que c’est un confort pour le scénariste de pouvoir faire plusieurs projets à la fois, ça permet de se dégager, puis de revenir dessus et de se décoincer éventuellement.
PP : On apprend aussi à évaluer le temps qu’on y passe.
DF : Oui, c’est le métier qui rentre. Le premier tome a été vraiment formateur, on a découvert au fur et à mesure comment ça marche. Et comparativement en temps passé, le tome 2 sera moins important.
PP : Je pense que pour moi ce sera plus tranquille, mais pour toi plus intense pour le tome 2.
DF : Peut-être oui. Parce qu’il faut être sûr qu’il n’y ait pas d’incohérence avec les précédents.
Pauline, tu as déjà quasiment tous les designs, donc pas besoin de recherches supplémentaires, sauf pour les nouveaux personnages…
PP : Oui, pour le tome 1, il y a eu toutes les étapes, quelle couleur, quelle plante, quel décor…
Et bien merci beaucoup pour ce moment à vous deux !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 19 mars 2022
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