
Cab et Federica Di Meo © La Ribambulle
Cette année, les éditions Kana étaient présentes au Festival International de la Bande dessinée au pavillon manga et avaient convié une partie de leurs auteurs. Nous avons donc profité de l’occasion pour prévoir une interview de Cab et Federica Di Meo, respectivement scénariste et dessinatrice du manga Oneira. Mais Federica étant accaparée par ses séances de dédicaces, c’est finalement Cab qui nous a rejoint le temps d’un repas pour nous parler de leur œuvre commune.
Bonjour Cab, tout d’abord, merci pour avoir accepté cette interview. Il y a peu de manga fait par des Français…
Oui, c’est vrai. Et c’est cool pour nous d’avoir une tribune. Il y a de plus en plus de manga fait en France, mais je trouve toujours ça intéressant que les gens commencent vraiment à comprendre qu’on peut le faire. Le manga est un medium qui est de plus en plus sur le devant de la scène. C’est compliqué maintenant pour les journalistes d’ignorer le manga, il est en train de concurrencer la BD. C’est même étonnant d’ailleurs que le corps journalistique de manière générale ne s’y intéresse pas plus.
Du coup, Oneira aurait très bien pu être faite en franco-belge. Pourquoi le manga?
Justement parce que je ne pense pas qu’elle aurait pu être faite en franco-belge. Déjà parce qu’en terme éditorial ce n’est pas possible. Signer un triptyque en BD quand on commence, c’est infaisable, ça coûte extrêmement cher à faire, donc ça n’aurait de toute façon pas pu se faire. Mais surtout moi, ce que j’aime dans le manga, c’est le côté séquentiel. En BD, un personnage va donner un coup de poing, on va le voir charger son coup de poing, case d’après le coup de poing va probablement déjà être parti, on voit l’autre qui l’a pris… Dans le manga, si je veux faire quinze pages entre ces deux actions je peux, là où la BD est très elliptique. En manga, ça va être très dilué dans le temps. C’est un truc que j’aime bien, non seulement en terme de forme, pour l’action de manière générale, mais aussi pour le travail des personnages qui est peut être plus subtil. Les personnages de BD sont en général caractérisés très vite parce que tu n’as pas forcément le temps de tout expliquer. En manga, tu as vraiment un truc où tu vas apprendre à les comprendre, à les appréhender. Je trouve ça plus intéressant de diluer des trucs dans le temps, que ce soit en terme d’histoire ou de forme.
Peut-être que tu préfères aussi le manga?
Je ne suis pas un grand fan de manga, je ne suis pas un grand fan de BD non plus. Mais le manga, je l’ai abordé, produit plus de manière professionnelle que passionnelle. Pour moi, c’est le médium le plus adéquat pour raconter des histoires. J’ai quand même une assez bonne culture manga parce que je m’y intéresse de manière générale. Mais je ne fais pas de collection. Ce n’est pas l’objet qui me plait, mais je trouve que le médium est très intéressant. Je trouve que le manga, c’est probablement de tous les médium possibles celui qui se rapproche le plus du cinéma. Le manga, c’est très cinématographique. Même un séquentiel manga en général tu le scriptes comme un film. Donc c’est plus un intérêt personnel. Je me suis jamais dit par exemple que j’avais envie de faire du manga.
Tu avais juste envie de raconter des histoires des histoires en fait?
Oui c’est ça et, si tu me donnais le choix entre à l’heure actuelle d’être scénariste de n’importe quoi, je pense que je choisirai le manga. Un film, je trouverai ça cool. Mais une fois. Si je dois raconter une histoire, le manga c’est vraiment le plus adéquat pour moi.
Revenons un peu à ton parcours, qu’as-tu fait avant Oneira ?
Avant j’ai fait un truc chez H2T, un petit éditeur qui est maintenant chez Pika, qui s’appelait D’encre et de feu, il y a six ans. Et c’est tout.
Et du coup tu travailles à côté ?
Non je travaille sur Oneira, de manière générale. Je travaille aussi sur d’autres projets dont je peux pas encore forcément parler, dont certains liés à Oneira. Et je fais du script doctoring pour des auteurs. Je n’ai pas vraiment de diplôme mais c’est un truc qui m’intéresse. J’aime bien décortiquer, essayer de trouver des idées. C’est chouette.
Pour Oneira, tu connais déjà toute l’histoire, tu sais en combien de tomes tu veux le faire ?
Oui, en fait j’ai une marge, j’ai prévu entre dix et treize tomes. Quinze si vraiment je voulais pousser le truc très très loin. Et oui, c’est prévu. En fait, c’est même prévu avant signature. Parce que, à la base, quand j’ai présenté le projet à Timothée, l’éditeur chez Kana, je lui ai fait un dossier. Et il a adoré le pitch. On s’est vus et je lui ai dit que ce n’était finalement pas que j’allais faire parce que ça ferait entre dix et treize tomes, et il m’a dit que ce n’était pas possible. Je lui ai répondu « oui je sais, on ne peut pas signer plus de trois ou quatre tomes ? » Donc je lui ai proposé un compromis : faire un premier arc que je n’avais pas encore créé en quatre tomes, on considère que c’est un prequel et, si ça marche, on signe pour la suite. Et donc là, ce que les gens sont en train de lire, ce n’est pas l’histoire que j’ai pitchée à Kana.
Ah oui donc en fait, ce n’est pas l’histoire que tu avais prévue au départ…
Oui, ça je le dis rarement parce qu’il ne faut surtout pas que les gens le prennent comme une valeur étalon de quelque chose. C’est méga risqué de faire ça.
Mais là ça a marché !
Oui, mais ça aurait pu être game over. Il aurait pu me dire qu’il voulait cette histoire là, et à moi de me débrouiller pour la faire en moins de tomes. Mais je suis arrivé au bon moment parce que Kana cherchait des auteurs. Il y a eu plein de trucs qui se sont alignés. Finalement, je n’ai même pas eu à dire quoi que ce soit, Timothée m’a dit tout de suite « ok, je te donne quatre tomes ».
La “vraie histoire”, ce sont quand même les mêmes personnages que ceux qu’on a pu découvrir jusque-là ?
Alors oui. Mais on change de personnage principal. En fait, ce n’est pas Arane le personnage principal de l’histoire, mais Vénus. Arane continue à être là mais on va plus se centrer sur Vénus, ce qui est un peu risqué… enfin plus risqué maintenant qu’à l’époque, parce que les gens ont vraiment beaucoup aimé Arane, de manière générale. Moi, c’était ma grande peur, faire un personnage qui est archi antipathique.
C’est vrai qu’Arane est quand même spéciale…
Oui, et dans le troisième tome qui va sortir bientôt, on la voit vraiment dans ses pires travers. Et donc ça me faisait un peu peur parce que je ne savais pas comment les gens allaient réagir à ça. Mais là, étrangement, jusque là, les gens s’y attachent alors qu’elle n’est pas détestable mais qu’elle est très spéciale.
Et pourquoi avoir fait autant de flashback? Pourquoi ne pas avoir raconté l’histoire dans l’ordre ?
Parce que j’ai du mal avec les flashforwards dans le manga. Les grosses ellipses comme ça, je trouve ça un peu compliqué. Moi, ça me déplaît et je trouvais ça plus intéressant qu’on ait le flashback après avoir découvert le secret de Venus. En fait, ce que je trouvais cool, c’est qu’on suit une scène d’introduction qui n’est pratiquement pas liée à l’histoire, mais sert vraiment d’exposition. Dans le chapitre 2, on va distiller deux-trois infos, genre les paladins qui commencent à chercher des cauchemars, qui traquent un peu des gens. On va mettre cette info de côté, on ne sait pas trop où ça va mener. On sait qu’ils sont dans des coins reculés, on voit rarement qui rentre à l’abbaye. Et là début de flashback, on voit leur rencontre. Ensuite on a tout le truc avec la muse, qui pour moi n’était pas essentiel. Si j’avais dû faire sauter des scènes, ça aurait été ça. Mais ça aurait été dommage parce que ça permet de voir comment elle enquête sur les victimes. Mais surtout l’intérêt des flashbacks, c’est que Arane se plante à chaque fois. Elle n’a jamais bon. Au deuxième flashback ça s’est très mal passé, elle a foiré aussi. Et en fait, ce que je trouve intéressant, c’est que quand elle était jeune elle faisait des erreurs. On va la voir adulte, elle va faire d’autres erreurs. Et je trouvais ça plus intéressant de la découvrir de manière un peu fluctuante.
Le premier tome finit sur une belle révélation d’ailleurs !
Oui, quand on voit January la première fois, on se dit que Vénus lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Et du coup le lecteur se pose la question puisqu’on sait qu’elle est enceinte. On se doute bien de ce qui va se passer. Mais je trouve que la dernière page de Vénus est un cauchemar, le but pour moi, c’était que les lecteurs fassent « quoi? » Et là, stop ! Tome 2. Et c’est pour cela qu’on a voulu sortir le tome 2 vraiment pas longtemps après. Et au tome 2, full flashback. En fait, pour moi, les tomes 1 et 2 sont une énorme scène d’exposition et, à partir du tome 3, on part sur l’histoire. Donc où est l’intérêt des flashbacks ? Pour moi, c’était justement de découvrir Arane de plusieurs manières et de semer deux-trois indices par-ci par-là et surtout de lier tout ce qui se passe avec Vénus. Il y a un scénariste que j’aime beaucoup, John Truby, qui a écrit L’Anatomie du scénario qui est génial et qui dit qu’il y a plusieurs manières de faire un scénario. Il y en a une qui s’appelle la toile d’araignée. Il y a plein de points et tous les points vont devoir se rejoindre. Et c’est un peu ça que j’ai fait pour le début d’Oneira. Après on part sur quelque chose de bien plus linéaire.
Comment s’est faite la rencontre avec Federica ? C’est Kana qui t’a proposé de travailler avec elle ?
On a fait passer des castings, il y a eu plusieurs essais internationaux. Il y a eu des Italiens, des Espagnols, il y a eu deux Français. Mais en fait, à chaque fois, ce qui ressortait c’était bien. Mais c’était pas ça. Il manquait un truc. Et un jour Timothée m’a envoyé le dossier de Federica. On a fait des séquences test. Puis je l’ai appelée et je lui ai dit qu’il fallait que ce soit elle. Il m’a dit d’accord. On a signé avec Federica juste après. Elle avait une sensibilité dans son trait qui n’était pas un truc qu’on cherchait. On voulait quelque chose de dur et Federica avait un truc sensible dans son trait. Et je me suis dis “tu racontes une histoire d’amour entre une mère et sa fille.” J’étais parti sur une histoire de dark fantasy mais il y a cette émotion derrière. Et c’est ce que Federica a réussi à faire parfaitement.
Comment vous travaillez tous les deux? Elle est en Italie, toi en France. Vous échangez par mail, par téléphone ? Elle parle français ?
En fait, dès l’instant où on a signé Oneira, elle a pris des cours de français.
Elle n’avait jamais fait quoi que ce soit en France jusque-là ?
Non, jamais. En fait, on se parle tous les jours, on s’envoie tout le temps des messages, dès qu’on a des idées… Ce n’est vraiment pas purement professionnel, genre je lui envoie des séquentiels et elle se débrouille. On s’envoie deux milles idées… Des fois, quand elle fait un storyboard, elle me l’envoie en me disant “regarde, j’ai fait ce plan, il est trop cool”. C’est vraiment une dynamique. On est devenus amis au fil du temps. Mais déjà il y a eu un coup de cœur instantané. On a commencé à bosser il y a un peu plus de trois ans. Et je crois qu’il ne s’est jamais passé 48h sans qu’on papote. On papote tous les jours !
Ah oui, c’est un vrai coup de cœur, à la fois artistique et amical.
Oui, c’est un peu une grande sœur pour moi.
C’est chouette quand ça se passe comme ça, avec quelqu’un que tu ne connaissais pas du tout.
Le seul défaut de cette dynamique là, c’est que maintenant je ne me vois pas travailler autrement que comme ça. J’aurais du mal, pour un autre projet avec un autre dessinateur, de me contenter d’un truc purement professionnel.
Pour revenir à Oneira, généralement les mangas japonais sortent très rapidement. Ce n’était pas un frein de se dire que ça allait être un peu plus espacé ?
C’est toujours un frein mais pour les auteurs, pour les éditeurs. Et Kana a fait un truc que je trouve cool. Ils ont fait ce qu’on appelle la stratégie frigo. Le tome 1 on l’a fini en janvier 2021, mais il est sorti en juin 2022.
L’éditeur l’a gardé de côté…
Le but était de sortir les 1 et 2 de manière très, très rapprochée. Déjà parce que l’histoire est liée, mais surtout parce qu’on savait que ces deux tomes allaient être l’accroche. C’était vraiment ça passe ou ça casse.
Il fallait que le lecteur ait les deux pour vraiment être accroché. Parce que c’est vrai qu’à la fin, on a vraiment envie d’avoir la suite. Même si on l’a pas tout de suite, on peut vite passer à autre chose…
Donc là, il y a six mois entre le 2 et 3. Et après malheureusement, on vient seulement de commencer le 4 . On part sur huit, neuf mois… Mais de toutes façons, le 1 et le 2 se sont bien vendus, donc on sait que le troisième va bien se vendre de manière générale. Là, c’est bon, le lectorat est accroché. En plus, entre les tomes 3 et 4, il va se passer plein de trucs pour Oneira…
Ah oui ?
On a créé un site internet Oneira… Et il y a un roman qui va sortir. Ce sera en fait un recueil de nouvelles qui parlent des événements qui se passent à Bar Tolmay. On va sortir une nouvelle par mois pendant huit mois. C’est à peu près 20 pages à chaque fois. Ça fait quand même un truc de 160 pages.
Et qui permet d’attendre avant la sortie du tome 4 ?
Exactement. Mais ce n’est pas tout, sur le site il va y avoir beaucoup de choses, il y a des fiches personnages, etc. Et on a fait un truc qui nous a pris du temps, on a fait la carte du monde d’Oneira. On a fait une carte interactive, en couleur. Tu vas avoir des points d’intérêts quand tu cliques sur le point d’intérêt, ça t’ouvre un journal de bord d’un personnage avec une anecdote.
C’est un sacré boulot !
On savait que, entre les tomes 3 et 4, il y aurait du temps. Et on s’est dit qu’au-delà de ne pas perdre les lecteurs, il fallait aussi leur proposer quelque chose de nouveau. Vu que la musique, quand on a pensé le projet, on s’est dit que ça n’intéressait personne, et ça a cartonné !
Oui cette idée de mettre un lien pour accompagner la lecture du tome 1 de musique, c’était extra !
On ne s’attendait pas à ce que ça plaise autant ! En fait, on s’est fait un gros kiff. Ce n’était pas du tout prévu au départ et ça a marché. A chaque fois, les gens nous en parlent. Et on l’a fait gratuitement !
Parce que ce n’était pas prévu au départ ?
En fait non. À la base, Alex, qui a fait la musique, est un pote. Il m’a dit « t’es chaud, on fait une musique pour Oneira ?” Moi je me suis dit ok, ça peut être marrant… Quand on l’a proposé à Kana, ils étaient un peu sceptiques. Et finalement on arrive à les convaincre. Mais eux comme nous, on ne s’attendait pas trop à ce que ça marche. Donc on s’est dit qu’apporter du contenu supplémentaire aux tomes, ça marche, ça plait aux gens. Et on a fait un test avec Kana. A la fin du tome 2, il y a une petite nouvelle de huit pages. On s’est dit que si ça marchait, c’était cool. On a eu énormément de retours positifs. Et on a décidé de faire le roman.
Certaines séries japonaises proposent ce type de nouvelles… Mais l’idée du roman est très sympa !
Le roman était déjà prévu en fait. Je l’ai proposé en 2020, Oneira n’était même pas sorti.
C’est un univers qui est énorme, qui peut s’étendre…
C’est ce que j’avais peur de ne pas savoir faire. En fait, le problème, c’est que cette histoire en quatre tomes se déroule dans des lieux tout petits. Par exemple, dans les tomes 3 et 4 , il n’y aura rien de nouveau. Les décors, vous les avez déjà tous vus. Il n’y aura rien de plus. Le but était d’intéresser le lecteur pour qu’il se dise que l’univers est vaste, qu’il ait envie d’en voir plus. Mais en même temps, il allait falloir patienter parce que ce n’était pas prévu pour maintenant. Il fallait susciter la curiosité, mais sans blaser.
Comment est venue cette idée des cauchemars?
D’une chanson !
Ah oui ?
J’aime bien les chansons d’un jazzman, Nat King Cole. Dans les années 50/60, il a fait une chanson qui s’appelle Nature Boy. Un jour, j’étais à Londres dans le métro, j’écoutais la chanson en boucle et Spotify fait des propositions. Là, je tombe sur la reprise de cette chanson, par une chanteuse qui s’appelle Aurora. Et les premières notes m’ont terrifiées. Ca m’a fait le même effet que quand je lis Lovecraft, il y a un malaise qui s’installe. Eh bien ça m’a fait ressentir ça. Je me suis dit que j’avais trop envie de raconter l’histoire de ce garçon. Et dans ma tête, il ne pouvait pas être humain. Il était trop mystique, il était trop étrange, il était trop irréel, intemporel. Je me suis dit que ça ferait vraiment cauchemarder. Finalement, ça me parait un truc intéressant et je fais des recherches sur les légendes un peu cauchemardesques. Je me penche beaucoup sur la culture amérindienne et les attrape-rêves.
Si la chanson était l’histoire d’un garçon, pourquoi une héroïne?
Parce que ce garçon là, on ne l’a pas encore vu.
Ton idée de départ, ce n’était ni Arane ni Vénus ?
Pour moi, ce n’est pas le personnage principal, mais ce sera lui le personnage central d’Oneira. C’est autour de lui que vont s’articuler plein de choses. Il y a eu une version du script que j’avais proposée à Timothée pour les quatre tomes où il apparaissait et on allait partir là dessus. Et finalement, en se concertant, on s’est dit qu’il fallait le garder. Parce que si ça ne marchait pas, et qu’on s’arrêtait aux quatre tomes, ça aurait été dommage.
Tu n’aurais pas pu faire tout ce que tu voulais autour de ce personnage…
Oui, il fallait raconter une histoire assez intime pour tenir sur quatre tomes. Mais vu la grandeur de l’univers, le choix était ou on en parle mais ça reste en surface et je ne trouve pas ça très intéressant, ou on attend et on peut le développer totalement. Je voulais raconter un truc intime qu’on pouvait approfondir beaucoup plutôt qu’un truc très large.
Et du coup, pourquoi une héroïne ?
La première raison c’est que ça manque !
Carrément ! Ce n’est pas courant, surtout dans ce genre d’univers.
Oui, c’est méga risqué ! Mais tout Oneira l’est. En terme de vente du livre. Je fais de la dark fantasy. En France. En manga. Ça parle d’une relation mère-fille. Et l’héroïne est une femme de plus de 40 ans, gay. Sur le papier, c’est game over direct. Mais c’est justement pour ça que Timothée l’a signé.
C’est osé de se lancer là dedans !
Oui je lui avais dit que ce type de personnage, actuellement en France, on ne l’a jamais vu et ça me faisait peur. Et c’est ce qui lui a fait envie. Il y avait déjà le fait que ça manquait. Et puis je trouve ça intéressant de creuser des trucs que je ne connais pas. Ça m’a donné aussi l’occasion d’en discuter avec des gens. Je ne l’ai pas fait sur un coup de tête. La relation entre Vénus et Arane est tirée d’une relation presque vraie. J’avais pensé au départ à un enfant adopté. Quand je me suis mis à écrire, je me suis dit : je ne suis pas adopté, je ne suis pas une fille, je ne suis pas une mère, c’est compliqué. Et donc j’ai été traîner sur des forums de parents adoptants et d’enfants adoptés. J’ai papoté avec eux jusqu’à ce que je tombe sur Thérèse et Lila. Mère adoptante et fille adoptive, bénévoles sur le site. On s’est appelés sur Skype, elles m’ont raconté leur histoire, je l’ai lue individuellement et ensemble elles m’ont raconté leurs disputes, comment ça s’était passé. Je leur ai demandé l’autorisation de pouvoir piquer des trucs qu’elles m’avaient dit et les intégrer dans Oneira. C’est des trucs que jamais je n’aurais pu écrire parce que je ne connais pas.
Ce n’est pas quelque chose que tu as vécu toi-même…
Mais c’est aussi pour ça que c’est une femme. C’est parce que je ne connais pas et je trouve ça intéressant. Je n’écris pas un scénario pour flatter mon ego. Donc si je peux apprendre quelque chose en le faisant, c’est encore mieux. Et là Oneira m’a appris plein de trucs. Au-delà d’un simple apprentissage, je me suis senti grandir.
Arane est un sacré personnage, avec un très fort caractère…
Et gay ! Parce que ça manque aussi énormément. Je n’avais pas envie qu’il y ait une potentielle romance entre Bastione et Arane. Je n’avais pas envie que les gens se posent des questions.
Les lecteurs aiment bien les romances entre les personnages principaux…
Ca permet de clore ça aussi. Surtout, dans le monde d’Oneira, ce n’est pas un problème. J’aimerais bien que ça devienne un peu une valeur étalon. Il y a des gens qui disent “est-ce que ce n’est pas risqué ?”. Si, mais le fait que les gens posent la question, ça me pose déjà un problème. En fait, j’aimerais qu’on le normalise, qu’on s’en foute, ça ne devrait même pas être un argument. Petite anecdote, j’ai vu une critique qui disait qu’on voyait que c’était écrit par un homme, parce qu’il y a une scène de sexe entre deux femmes. C’est assez drôle car il n’y a pas de scène de sexe entre les deux femmes dans mon script. C’est Federica qui l’a rajoutée.
Ah oui ?
Oui, à la base on la voyait chuchoter à l’oreille, puis tu tournais la page, et on voyait la serveuse se réveiller nue dans le lit et Arane partir. Là Federica m’a dit non, si elles couchent ensemble, on doit le voir. Déjà parce qu’on peut, parce qu’on fait de la dark fantasy. Et parce qu’on doit le montrer, ça ne doit pas être un tabou.
Vous avez une grande liberté, Kana et Timothée ont dit oui quasiment à tout ? Ou il y a quand même des trucs que vous avez du adapter ?
Rien de rien. A chaque caprice qu’on a fait, que ce soit pour l’édito, les couvertures – et on a fait 2000 caprices pour que la couverture soit telle qu’elle est maintenant – jamais non. Il y a eu des changements dans le scénario, on ne l’a même pas prévu avant ça. Ca arrivait dans le storyboard, on lui expliquait, c’est tout. Il un truc que j’aime beaucoup avec Timothée, je ne sais pas s’il l’a fait avec les autres, mais sur Oneira, s’il a une réticence, il pose la question et, si la réponse le satisfait, c’est oui, du moment qu’il y a une explication. On n’a eu aucune reprise dans le scénario, il est tel qu’on voulait qu’il soit.
Tu avais démarché d’autres éditeurs ou uniquement Kana ?
Juste Kana.
Pourquoi ?
J’ai vu la carte de Timothée sur mon bureau et du coup je lui ai envoyé. J’aurais pu l’envoyer à d’autres après, mais il m’a répondu dans les 48h. On s’est rencontré sur Paris. On s’est vu 4h et c’était bon. Avec le recul, je ne signerais pas ailleurs. C’est très famille, c’est une toute petite équipe. Tu as vraiment l’impression d’être avec les copains.
Merci beaucoup pour ce long et passionnant entretien !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 28 janvier 2023
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