La dernière création de Benoit Feroumont aura surpris à plus d’un titre. D’abord par son format, sa pagination et sa maquette, bien loin de ce qui avait pu se faire jusque-là. Passés quelques interrogations, la plongée dans les secrets les mieux cachés de son fabuleux Royaume se révèle magnifique et font de cet album une des plus belles idées pour offrir à Noël. Présent à Saint-Malo, l’auteur belge est revenu avec nous sur les coulisses du Royaume de Blanche-Fleur.
Bonjour Benoît. Beaucoup de lecteurs se sont demandés si ce nouvel album était une suite, une conclusion, une relance… Que pouvez-vous nous en dire ?
C’est vrai que c’est un peu désarmant, car ce n’est pas dans les habitudes. C’est un album qui est une succession d’envies, en fait. Moi je voulais faire une longue histoire. J’avais envie depuis très longtemps de faire un truc qui soit un peu plus large, qui sorte du cadre. J’avais prévu de faire deux albums à la suite et l’éditeur voulait faire quelque chose de beau. Donc on est parti sur un grand livre. Le graphiste s’est dit qu’on pouvait faire un truc à la Disney, comme ça s’y prêtait, et soigner l’objet. Moi j’avais envie de faire une grande fresque, un conte de fées moderne, avec des méchants, un personnage principal qui en bave… j’y vais vraiment fort au titre qu’on ne fait pas des histoires correctes avec des bons sentiments. Mon éditeur m’y a poussé en disant que plus Anne souffrirait, plus on serait content qu’elle s’en sorte. Pour Thorgal, c’est la même chose depuis 40 ans. Je voulais aussi assumer le fait que ça pouvait s’adresser aux petites filles, en racontant le destin d’une gamine pour que ça les fasse rêver. Globalement c’est plutôt mon public. Ce sont surtout des petites filles et des familles que j’ai en dédicace. Contrairement à mon album de Spirou, où le public était plutôt des hommes blancs d’une soixantaine d’années et nostalgiques. C’est très bien comme ça mais c’est un autre public. Et c’est justement après avoir fait mon Spirou que je me suis dit que mon public c’était quand même des familles et des petites filles, que je devais les soigner ou m’adresser à elles. Donc c’est devenu ce bouquin qui sort complètement du cadre. Comme je voulais faire un long métrage d’animation – sur lequel je travaille maintenant – je savais que ça allait prendre du temps et je voulais faire une histoire qui se termine, pas encore un truc à suivre que les gens auraient dû attendre trois ans avant que je puisse reprendre mon crayon. Je l’ai fait par respect pour le lecteur. Alors oui c’est le dernier… pour le moment. (rires) Et si effectivement je ne trouve pas le temps pour en refaire, personne ne m’en fera la remarque. J’avais vécu ça avec Fabien Vehlmann sur Wondertown – je viens de le relire car j’en ai dédicacé un – avec une fin pleine de promesses et c’est super frustrant de ne pas connaître la suite. Je ne voulais pas faire ça à mes lecteurs du Royaume. La dernière image du bouquin, j’espère que les lecteurs l’emportent avec eux dans leur imaginaire en disant « voilà, c’est clos, et si il y a une suite, tant mieux ! » Si il n’y en a pas, il n’y a pas de regrets ou de frustration, ni professionnelle ni artistique ni pour le lecteur.
Aviez-vous dès le début l’idée que ça puisse aussi se lire indépendamment des premiers albums ?
Oui, c’était un peu l’idée et aussi une demande. On s’est dit « OK, c’est la suite, mais comme ça va être un album particulier, on doit pouvoir le lire comme un objet isolé. » Mais on ne voulait pas piéger le lecteur qui ne connaît pas Le Royaume en le forçant à dépenser 80 euros pour comprendre la moitié de l’histoire. Ça aurait été dégueulasse, c’est une sorte de respect par rapport aux gens.
Même le format a changé.
Je voulais juste des pages un peu plus grandes. Je voulais un beau livre, qui soit grand, et Dupuis a suivi toutes mes demandes. Je voulais que ce soit large, dans ma tête j’avais tout le temps Johan et Pirlouit et Game of Thrones, je savais qu’il me fallait des armées qui allaient se déplacer. Et le scénario, ce sont deux histoires qui finalement se suivent et qui en font une belle, avec un milieu qui devait être un cliffhanger, pour séparer les deux albums.
Pensiez-vous déjà à tout ça quand vous avez commencé la série ?
J’avais déjà plein de choses, oui. Mais ça s’est vraiment lancé à partir du deuxième album. Je commençais déjà à raconter des trucs du passé, avec un flashback. A un moment donné – je crois que c’était à l’époque du troisième album – j’ai commencé à développer un projet de dessin animé. On avait choisi de raconter l’enfance des enfants, avec Anne quand elle était au château avec la méchante princesse… C’était complètement différent et j’avais dû réfléchir à une histoire, ce qu’on appelle une backstory. J’avais écrit plein de trucs que l’on retrouve ici. Beaucoup vient de là, en fait.
Ce qui est surprenant, c’est aussi l’évolution des personnages, avec de grosses surprises sur des héros secondaires qui se révèlent très importants.
C’était dans mon scénario mais on ne le fait pas toujours exprès. A un moment donné, j’ai fait tenir à Thibaud un rôle qui était destiné au roi, qui aurait dû être cette espèce de mec qui manipulait tout le monde. Mais ça n’allait pas, il y avait un problème de crédibilité. Alors je me suis demandé qui pouvait le remplacer et prendre ce rôle-là. Là, Thibaud le faisant contre l’avis du roi, ça marchait très bien. J’ai changé ça à la toute dernière minute, comme ce n’était pas un personnage important, ça lui allait hyper bien. C’est drôle car, pour les autres trucs, il a toujours eu un petit côté de bon sens, là où le roi est dilettante, bon vivant, voire macho et coureur de jupons, un gros imbécile un peu couillon. Du coup, Thibaud pouvait prendre cette place, il est toujours très discret, absolument personne ne respecte vraiment ce mec qui tire les ficelles. Je pense que c’est vraiment une surprise pour le lecteur. Et on peut revoir les autres albums différemment.
C’est une manière intelligente d’attirer de nouveaux lecteurs qui n’auraient pas été attirés par des tomes 7 et 8 et de leur donner envie de découvrir les premiers tomes .
Je crois d’ailleurs qu’ils se revendent pas mal. Et je pense que la méthode est un peu inhabituelle. Les gens en dédicace me demandent beaucoup ce que c’est que cet album. C’est la fin ? Un spin off ? Non, c’est simplement la même chose mais en plus grand, plus joli et indépendant. Mais c’est compliqué à expliquer.
Est-ce que ça a été simple à présenter à l’éditeur et à mettre en place pour la communication ?
Au niveau du marketing, ils ont vraiment fait un gros boulot. C’était un peu compliqué avec les libraires parce qu’ils sont comme tout le monde, ils se sont demandés ce que c’était et ils ne peuvent pas lire toutes leurs bandes dessinées. Par contre, il est partout, tous les libraires le mettent car c’est un bel objet et on sait qu’il va rester assez longtemps dans les librairies pour Noël. C’est un cadeau idéal, il a un beau format, il coûte une vingtaine d’euros…
En parlant de prix, j’imagine que le format n’est pas le plus intéressant pour vous financièrement ?
Pas du tout, il a vraiment fallu me convaincre ! (rires) Quand on m’a parlé d’un album au lieu de deux, je leur ai dit « hé les gars, merde ! » J’ai fini par être convaincu mais je vais avouer qu’il faut que les ventes décollent. C’est un risque, c’est comme ça. En tant qu’auteur, je préfère ça à deux albums. Après, au niveau du portefeuille, c’est presque 2 euros en moins.
Vous allez donc faire une petite pause au niveau BD pendant quelques années ?
Pas tout à fait. Là maintenant je mène un projet d’animation et une BD érotique. J’ai déjà fait Gisèle et Béatrice, qui a eu beaucoup de succès, et j’ai une idée, pas pour une suite, mais pour un autre conte érotique. Un conte rigolo érotique qui se passe à notre époque, un truc moderne. C’est assez amusant à faire, ça fera une centaine de pages, avec un dessin un peu plus jeté que ce je fais sur Le Royaume et un discours féminin, en tout cas ça part d’un fantasme féminin. Je m’amuse avec ça.
Est-ce voulu de faire passer des discours un peu féministes ou en tout avec des femmes fortes ?
Je ne me dis pas que c’est pas féministe. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas d’où ça vient. D’ailleurs, dans le prochain conte, c’est l’histoire d’un mec, on va suivre un homme. Mais je ne sais pas pourquoi je m’intéresse aux femmes.
Même le Spirou a exploité des personnages féminins dans un univers qui n’était pas connu pour ça.
J’avais très envie de placer Spirou face à plein de femmes, mais sans qu’il y ait une relation amoureuse, notamment Seccotine qui n’est qu’une collaboratrice. Je voulais que chaque personnage face à lui soit une femme. Pour le reste, j’ai écrit une histoire assez classique autour d’un simple vol de bijoux. Comme c’est vraiment un héros, il allait devoir retrouver les bijoux. Mais s’il y avait un policier, c’était une policière, si c’était un gardien de porte ça devenait une gardienne. Et je l’ai placé dans un univers féminin, donc la mode. Ce qui pourrait être considéré comme un machisme total ! C’est quoi, un milieu féminin ? Ben, la mode (rires). Voilà. Alors, pourquoi les femmes, je ne sais pas. Je me suis déjà posé la question, je n’ai pas la réponse. Oui ça m’intéresse. J’ai envie de dialoguer avec des femmes, j’adore parler avec des femmes.
Vous aimez aussi beaucoup passer d’un projet à l’autre…
Je suis assez illisible ! (rires) Un de mes meilleurs amis est Pierre Bailly, le dessinateur de Petit Poilu. Depuis dix ans, il en fait deux albums par an. Il me dit « Benoît, il faut toujours enfoncer le même clou. » Moi je n’arrive pas à faire ça, je dois passer de l’animation à des croquis. J’adore la routine, je me lève toujours à la même heure, des trucs comme ça, mais pas dans mon travail, qui doit être très spontané. Ça me nuit un peu, il y a des gens qui sont complètement déconcertés par le fait que je ne fasse pas tout le temps la même chose. Je ne suis pas rassurant, je ne suis pas confortable.
Et pourtant vous travaillez sur Le Royaume depuis dix ans déjà.
Oui, ça fait dix ans, j’ai commencé exactement il y a dix ans. J’ai des tas de lectrices qui ont grandi avec la série. Certaines ont commencé à 7 ans, maintenant elles en ont 17… d’autres sont des femmes qui entrent dans la vie active et continuent à lire Le Royaume. Et c’est chouette comme tout de les voir vous dire que vous avez bercé leur enfance. C’est vraiment génial, des super rencontres.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury
Interview réalisée le 26 octobre 2019.
Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et éditeurs et ne peuvent être utilisées sans leur accord.
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Benoit Feroumont”