Toujours aussi bien installés à la terrasse du festival BD Aix 2014, nous visitons l’envers du décor de Médée avec Nancy Peña, sa dessinatrice. Un autre moment convivial et agréable que nous vous faisons partager avec plaisir.
Bonjour Nancy, tu es passée de l’enseignement des Arts Appliqués à la BD de quelle manière ? Tu avais déjà cette passion en toi ?
Bonjour. Mon père est collectionneur de bandes dessinées. Donc, j’ai lu beaucoup de bandes dessinées des années cinquante plutôt, Milton Caniff, Will Eisner et beaucoup de franco-belge aussi. Par la suite, j’ai fait des études en Arts Appliqués pour obtenir une agrégation et devenir professeur. Et au même moment, j’étais avec quelqu’un qui faisait de la BD et j’ai voulu essayer de faire deux planches pour voir ce que cela allait donner. Á l’époque, le site bdselection.com proposait que l’on puisse envoyer ses planches et ensuite que les lecteurs ou les journalistes réagissent dessus. J’ai donc envoyé ces deux planches et il se trouve qu’un journaliste, Vincent Henry, était en train de monter La Boîte à Bulles. Il m’a dit, que si ces deux planches faisaient partie d’un projet, il était prêt à éditer. Donc évidemment, j’ai dit que oui, cela faisait partie d’un projet. J’ai pondu un synopsis dans la nuit et c’est comme cela que ça a démarré. En fait, c’est un pur hasard !
Médée marque un peu une rupture avec ce que tu faisais précédemment (Le chat du kimono, production jeunesse, etc ….). Comment en es-tu venu à travailler sur ce projet ?
En fait, c’est Casterman qui cherchait à mettre en relation des auteurs de Littérature et des auteurs de bandes dessinées. Et, Blandine Le Callet avait ce projet-là de Médée, qui devait à l’origine être un roman, et qui, finalement, avait développé un univers trop visuel pour que cela fonctionne uniquement à l’écrit. Elle a donc proposé ce projet à Casterman. L’éditeur lui a alors proposé un choix de dessinateurs. Á cette époque, je travaillais sur un bestiaire de l’Olympe pour les éditions Milan. Elle a remarqué mon travail et cela s’est fait comme cela finalement.
Tu avais un attrait pour la mythologie grecque ou cela n’a aucun rapport ?
Et bien, non seulement mon père est collectionneur de bandes dessinées mais il est également féru de mythologie gréco-romaine. Donc, c’est vrai que j’ai grandi un peu dans cet univers-là. C’est un univers familier.
Médée est présentée en général comme celle qui apporte son aide à Jason pour voler la Toison d’or à Aiétès son propre père. Avec Blandine Le Callet, vous commencez par la fin pour remonter le temps et quelques mille ans afin d’aborder sa jeunesse. Une période qui te convient bien ?
Le premier tome, c’est effectivement la jeunesse de Médée qui se passe en Colchide. Colchide qui était déjà un pays mythique pour les grecques eux-mêmes. Ce qui fait que cela m’a laissé pas mal de libertés finalement car on n’a aucune source ni sur la jeunesse de Médée, ni sur la Colchide. C’était vraiment agréable de travailler cela avec différentes sources antiques mélangées d’Assyrie, de Perse, de Grèce.
Au niveau graphique, il y a tout ce décorum et cette architecture que tu retranscris. Tu as fait beaucoup de recherches pour être en accord avec l’époque ?
Oui, quand-même. Beaucoup de recherches mais finalement comme il n’y a aucune source historique, c’est vraiment un gros mix entre toute la documentation que j’ai pu amasser sur cela.
En combien de tomes est prévue la série ?
En quatre tomes qui s’étalent sur plusieurs périodes. La jeunesse pour le premier et là, je travaille sur le tome deux qui traite de l’arrivée de Jason et des Argonautes en Colchide. C’est vraiment l’épisode de la Toison d’or. Ensuite, Blandine me réserve la surprise. Je ne sais pas comment elle découpera les tomes suivants.
Je rebondis sur ce tu viens de dire. Comment êtes-vous organisées avec Blandine Le Callet ?
C’est très facile. On a une façon quand même similaire de travailler. On sort toutes les deux de Normale Sup et je pense que l’on a des espèces d’automatismes de travail identiques donc c’est facile. Et elle, c’est une grande lectrice de BD donc elle a vraiment assimilé la narration et le découpage. En fait, elle écrit son scénario, on le découpe à deux et ensuite, je crayonne et j’encre. Mais par contre, elle est là vraiment à toutes les étapes du travail. On échange tous les jours finalement sur les planches.
Le fait d’avoir fait Médée, par rapport à ta production jeunesse comme Le chat du kimono, t’a-t-il donné envie de faire autre chose ?
Pour moi, la série du Chat du kimono n’est pas jeunesse. C’est clairement adulte. Il y a quand même beaucoup de références à la Littérature. Je ne sais pas si c’est vraiment accessible à la jeunesse. Et, c’est une série que j’aimerai continuer. J’aime bien écrire et dessiner en même temps. Médée, c’est chouette mais je suis un peu frustrée côté écriture. Donc, j’aimerai bien faire un quatrième tome. Mais quand ? Je ne sais pas.
Que préfères-tu ? Le travail avec un scénariste ou en solo ?
Ce que je préfère, c’est travailler en solo. Parce que, il y a le côté travail d’auteur que j’ai moins sur Médée. C’est agréable car je peux me concentrer sur des problèmes de dessin. Mais le côté écriture me manque.
Quelles sont tes influences BD, cinéma ou autres ?
En bande dessinée, c’est clairement Will Eisner qui m’a donné envie de faire de la BD. Il m’a fait comprendre la richesse du médium. J’ai lu ses ouvrages, j’aimais beaucoup Le Spirit, ainsi que ses ouvrages théoriques à l’adolescence et cela a été vraiment la révélation. Sinon, beaucoup les Beaux-Arts du tournant XIXème – XXème siècle, Art nouveau, Japonisme, et en Littérature c’est pareil, j’aime beaucoup cette période.
Quel est l’apport de ton expérience en Arts Appliqués dans ton travail d’auteur BD ? Est-ce complètement détaché ou bien étroitement lié ?
Non, ce n’est pas détaché. Il y a quand même une rigueur de travail qui vient des Arts Appliqués. Je ne trouve pas que ce soit détaché. D’ailleurs, j’ai un travail, à côté de la bande dessinée, d’objets. Enfin, je fais des images pour des boîtes à thé et ça, c’est quand même vraiment Arts Appliqués. Le dessin c’est très mental et ce n’est finalement pas manuel. C’est une écriture. Du coup, on est un peu frustré de ne pas fabriquer. C’est bien d’avoir des petits projets comme ça. Cela permet de se diversifier.
Tu l’as évoqué tout à l’heure, tu travailles sur Médée tome 2, peut-être la suite du chat du kimono, mais encore ?
Médée prend tout mon temps. Du coup, à côté j’ai quelques petits projets que je garde en édition pour les livres de poche, quelques couvertures de bouquins, ce genre de choses. Mais je n’ai guère le temps de faire plus. Donc, on verra. Ce sera l’après Médée.
D’un point de vue technique, sur Médée tu mets combien de temps pour faire une planche ?
Je mets deux jours pour encrer une planche. Enfin, deux à trois jours. Pour la couleur, c’est trop lourd. Je n’ai pas le temps de le faire. Et, je sens assez mal la couleur. C’est un travail que je trouve hyper contraignant. Du coup, il y a deux coloristes sur cet album : une qui met les aplats et l’autre qui vient mettre les ombres, les effets, etc. Et moi, je règle toutefois les harmonies colorées. J’ai vraiment du mal à tout déléguer quand même. Donc, j’ai malgré tout un travail sur la couleur en fin de chaîne.
Merci Nancy d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Stéphane Girardot.
Interview réalisée le 12 avril 2014
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