La Ribambulle est partie à la rencontre d’Etienne Davodeau et Joub, deux talentueux auteurs, pendant le salon de Saint-Malo, Quai des Bulles, pour parler de leur dernier sortie commune, Il s’appelait Geronimo.
Bonjour. Vous êtes très actif ! Une sortie presque tous les ans ?
Etienne Davodeau : Non, Geronimo a un peu troublé le rythme mais, pour mes livres personnels, je mets à peu près deux ans. Le Chien qui louche est sorti l’an dernier, et le prochain avec Joub – peut-être, on verra ça à notre propre rythme – sortira l’année prochaine.
Lors d’une rencontre, vous aviez évoqué que vos prochains travaux seraient basés sur la BD presse ?
Etienne Davodeau : En effet, c’est publié sur la Revue Dessinée, ça sera une BD reportage sur le monde de la presse. Je travaille donc actuellement avec des journalistes. Ça sortira chez Futuropolis. Avec Joub, on travaille ensemble depuis très longtemps, nous avons fait un premier livre ensemble avant Max et Zoé chez Delcourt Jeunesse en cinq tomes. Le destin commercial de cette série a fait que notre éditeur ne l’a pas prolongée. Puis nous avons fait Geronimo chez Dupuis en trois volumes, le récit de cet adolescent coupé de tout. A la fin du troisième volume, nous l’avons laissé partir comme ça…
Joub : Ça devait se terminer là. Et puis j’ai eu des remords par rapport à notre personnage dont je trouvais qu’on l’avait franchement malmené. Mais pas par le fait d’avoir laissé l’histoire en suspens. Ça, ça ne nous dérangeait pas. Chacun imagine sa version finale. Mais moi, personnellement, en tant que créateur et auteur, il y a un moment, au bout de trois ans sur un livre, où on s’attache malgré tout au personnage, et je trouvais vraiment qu’on l’avait malmené, et qu’on lui offrait peu de possibilités de refaire sa vie convenablement. C’était plutôt une série d’échecs et de constats pour lui. C’était un peu difficile pour lui. J’ai soumis à Etienne l’idée qu’on fasse une autre conclusion.
Combien de temps entre le troisième volume et celui-ci ?
ED : C’était un peu compliqué. Ce sont des livres qui se sont échelonnés de façon irrégulière parce qu’on écrit et on dessine à des rythmes différents. Joub a beaucoup d’activités. J’avoue que le timing, je ne l’ai pas bien maîtrisé. On a mis longtemps à faire ce quatrième tome.
J : On l’a fait, mais on n’était pas satisfait de la façon dont Dupuis a exploité les autres livres. On a donc décidé de changer d’éditeur. Après, il a fallu le temps de le faire. J’ai un peu traîné sur le début car j’étais parti en Guyane, donc il a fallu que moi aussi je me recale. Il a fallu au moins 3 ou 4 ans. Pour nous, ça ne posait pas un vrai souci car c’était une conclusion à part. Après, pour la lisibilité du lectorat, forcément ce n’est jamais très bon d’y passer trop de temps.
ED : C’est qu’en même temps il y a un changement d’éditeur, de format, c’est un livre plus épais…
J : Par contre, là, c’est le dernier. On a dit ce qu’on avait à dire sur ce personnage et les thèmes qu’on voulait développer. On les co-signe sans déterminer les postes de chacun. D’abord, on peint le thème qu’on partage tous les deux, on bâtit l’histoire ensemble par des échanges de mails, etc.
ED : On s’est réuni quand même quelques fois autour d’une table.
J : Sur cette partie-là, on se réunit un maximum de fois.
ED : Après c’est un ping pong, l’un balance une idée que l’autre reprend ou pas. La partie écriture, on la fait vraiment ensemble.
J : Après, techniquement, Etienne prend en charge la partie découpage, c’est lui qui choisit le point de vue, avec toujours un échange là-dessus, mais Etienne assume plus cette partie, avec les dialogues, moi, la partie dessin avec toujours le retour. Et puis après je gère la partie couleur.
ED : Le dessin sur la page, c’est le dessin de Joub et sa mise en couleur.
Il y a beaucoup d’analogies entre vous deux !
ED : On s’est formé ensemble, on a des points communs. On dessine ensemble depuis qu’on est à la fac, donc cela fait trente… euh…
J : Non, on ne dit pas les années…
ED : Oui, donc depuis quelques années.
C’est une vraie surprise quand on ouvre la BD. Ne connaissant pas le coup de crayon de Joub, on se demande comment, du coup, vous avez fait pour avoir cette similarité ? Si vous avez bricolé ensemble ?
ED : Oui c’est ça, on a bricolé ensemble, c’est exactement ça le terme.
J : Mais, après, les cadrages sont ceux d’Etienne, même les places des bulles. C’est assez confortable pour moi, parce que le brouillon qu’il me présente est à 90% celui que je dessine. Je réinterprète de grands diaporamas, ce qu’Etienne ne va pas faire dans le détail au découpage. Mais pour le découpage, je le suis assez fidèlement donc forcément si Etienne le dessinait ce serait le même découpage, le même cadrage…
ED : Ça donne une singularité visuelle. Indépendamment de ça, pour Max et Zoé par exemple, Joub a un dessin très loin du mien. Là, il s’est calé sur un dessin plus réaliste pour convenir aux propos. Ça et le fait que les cadrages soient les miens et que visuellement la grammaire du récit est la mienne, ça fait que c’est forcément assez proche.
Pour le travail en tandem, est-ce qu’on peut vous comparer à Loisel et Tripp ?
ED : Je ne sais pas trop comment eux bossent. Eux, sur le dessin, c’est plus en symbiose, parce qu’apparemment Loisel crayonne et donne un crayonné fini.
J : Et je pense que Tripp le réinterprète beaucoup ; ils doivent être sur le papier plus fusionnels que nous. Mais je pense qu’au résultat ça doit être à peu près la même démarche, parce qu’il suit à 90% ce que fait Régis et après il met juste sa « patte ».
ED : Sauf que ce n’est pas lui qui fait la couleur. Ils ont un coloriste. Alors que là, pour Joub, sa « patte » est plus forte parce qu’il y a le dessin et la couleur.
J : Et même sur la couleur, on s’est influencé l’un et l’autre pendant au moins les dix premières années où on a pratiqué la BD, où on apprenait un petit peu plus le métier de coloriste parce que c’est une partie qui nous plaisait. D’ailleurs, le tout premier livre qu’Etienne a fait, on avait réalisé chacun la moitié des couleurs, avec des choses qui lui plaisaient, moi moins, il n’est pas techniquement parfait, loin de là (rires), mais à partir de ce moment, il y a des choses que je faisais qui attiraient Etienne dans certaines directions et moi pareil. Je pense que la conception de la couleur, on l’a travaillée ensemble. Sauf que maintenant, Etienne fait plus du noir et blanc.
Par la suite, vous prévoyez un projet ensemble ?
ED : On commence à l’évoquer, mais c’est un peu tôt pour donner beaucoup de détails. On a des choses sur le feu lui et moi, donc ce n’est pas démarré. Il nous faut un peu de temps pour caler ça. J’ai des envies visuelles assez précises… Il se trouve que Joub ne fait pas que de la bande dessinée, il est aussi photographe, aquarelliste et j’ai envie d’utiliser le mélange de toutes ces choses-là. On commence à penser à ça. C’est assez formel, sur le fond on n’a pas encore arrêté quoique ce soit. On ne peut pas vous en dire beaucoup plus. Mais on aimerait faire un livre assez différent de ce qu’on a fait jusqu’ici. Il y a aussi le fait qu’on commence à accumuler les livres, qu’on a envie de changer parfois, de changer d’air, de changer de pratique, donc ça serait l’occasion de faire quelque chose d’un peu plus expérimental. On verra…
Ou peut-être pas, vous pouvez trouver une autre ligne qui vous conviendra ?
ED : Mais là, l’idée est d’utiliser des images de différentes natures : aquarelles, photos, dessins…
J : Textes, éventuellement !
ED : Oui, bien sûr !
C’est un peu ce qui a été fait sur L’Atelier de Fournier ?
J : Non, par exemple, pour les Nicoby , je suis en train d’en faire un dans l’affiliation de celui de Jean-Claude, avec le même duo, Nicoby et moi, « on vit une aventure » où on fait témoigner. Là, nous avons intégré un petit peu l’aquarelle, mais par contre, on ne peut pas intégrer la photo. Pour l’album sur Jean-Claude Fournier, on témoignait de son œuvre, donc il y a un moment où il fallait montrer aussi ce qu’il avait fait, ses productions à lui, et il fallait que ce soit aussi un petit peu distancié. Par contre, il y a un dossier à la fin.
ED : Dans une certaine mesure, le livre Rupestres!, qu’on a fait à six sur une balade dans les grottes dans l’ouest de la France, au départ, ce n’était pas un livre, c’était juste des balades de copains qui dessinent, on a mis tout ça dans un bouquin mais il n’y a pas de récit au sens propre, c’est juste la retranscription d’une balade. Ce qu’on aimerait faire serait plus constructif et structuré. En gros, vous en savez autant que nous ! Ce n’est pas un travail de commande. La phase de réflexion peut être plus ou moins longue.
J : Et chacun de nous a du travail à terminer.
ED : Ça prend un peu de temps pour réfléchir tranquillement !
Avant de vous quitter, Etienne, avez-vous des propositions pour de futurs films ?
ED : Je ne sais pas… Il y a La Chute de vélo qui est un peu dans les studios. C’est signé mais, par expérience, je sais qu’un contrat signé n’implique pas que le film sorte. Il y a tellement d’obstacles en cours de route que ce n’est pas sûr. Donc, on verra. Pour l’instant, il n’y a aucun tournage annoncé. Ça en est à la phase d’adaptation qui peut demander des années. Pour Lulu, femme nue, ça a demandé trois ans, presque quatre, ce qui est relativement court malgré tout pour le cinéma. Contrairement à la bande dessinée où, quand on a signé un contrat avec un éditeur, le livre sort dans 90% des cas. Au cinéma, c’est tellement plus aléatoire, c’est-à-dire que le contrat a beau être signé, l’argent trouvé , il y a un moment ou un autre où le film peut se vouer à l’échec. On vit dans un milieu beaucoup plus simple et beaucoup plus sain, je pense, en bande dessinée, même s’il y a des difficultés qui sont nombreuses.
Joub, vous faites partie de l’organisation de Quai des Bulles, revenez-vous tous les ans de Guyane ? Quel est votre rôle au sein de l’association ?
J : Oui, en effet, je reviens tous les ans. Je suis bénévole, prestataire, j’ai fait partie du C.A., du C.O., je m’occupe principalement de la communication avec Florian Aubin et, après, ponctuellement, soit sur une expo, soit sur la programmation en général. On est une dizaine à travailler là-dessus.
Merci beaucoup de nous avoir consacré du temps pour l’interview.
Propos recueillis par Florence Daubry et Joël Leroy.
Interview réalisée le 11 octobre 2014.
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