Arrivé depuis peu dans la cité malouine pour participer à Quai des Bulles 2017, Olivier Boiscommun nous offre sa première interview. Ensemble, nous avons bien évidemment parlé de sa série Le Règne dont le second tome est sorti le jour de l’ouverture du festival (le vendredi 27 octobre 2017). Le scénariste Sylvain Runberg nous a d’ailleurs fait l’immense plaisir de se joindre à nous pour finir en beauté cet entretien. Dépêchons-nous car la saison des démons gronde de plus en plus fort !
Bonjour Olivier. Tu as travaillé avec de grands scénaristes : Dieter (Anges), Jean Dufaux (Meutes), Denis-Pierre Filippi (Le livre de Sam et Le livre de Jack), Alejandro Jodorowsky (Pietrolino), Jean-David Morvan et Joann Sfar pour les débuts de Troll, et aujourd’hui Sylvain Runberg pour Le Règne. Une fierté pour toi et ton travail ?
Bonjour. C’est une fierté, oui. C’est un plaisir en tout cas. Je crois que c’est super enrichissant de bosser avec des mecs qui ont des univers aussi variés et aussi affirmés. C’est un vrai plaisir et une belle découverte à chaque fois.
À chacune de ces collaborations, que sont-ils venus chercher dans ton dessin ?
Ça, je ne sais pas ! Il faudrait peut-être plus leur demander. D’ailleurs, ce n’est pas forcément eux qui sont venus me chercher. Ça peut être moi, suite à une rencontre ou bien par l’intermédiaire de l’éditeur comme cela est déjà arrivé. Justement, ce qui est intéressant c’est la découverte de ce que l’on pourrait faire ensemble. De ce que le scénariste peut apporter aux univers que j’ai déjà développés et ce que moi je peux apporter aux siens en termes de personnalité, de savoir-faire. C’est toujours tellement riche, une rencontre avec un scénariste.
Tu es autant à l’aise dans les séries en solo (Joe, La Cité de l’arche, Lueur de la nuit) que dans celles avec scénariste. As-tu malgré tout une préférence ?
En fait, l’essentiel pour moi est de raconter des histoires. Ce qui m’a amené à la bande dessinée, c’est l’envie de raconter des histoires, de donner vie à ces mondes, ces personnages. C’est vraiment l’essence de ma passion et ce qui la nourrit en fait au fil du travail. Après, les collaborations avec les scénaristes sont des ouvertures et des possibilités sur des chemins où je ne serais jamais allé tout seul en fait. Donc du coup, cela m’enrichit énormément parce que je découvre à travers leurs personnalités ou leurs mondes ou leurs univers ou leurs intentions, ce qu’ils voient et ce qu’ils pensent que mon dessin pourrait donner sur leurs histoires. Cela élargit le champ des possibles et les différents chemins que je peux emprunter. C’est très enrichissant pour moi en tant que raconteur d’histoires que de vivre celles des autres aussi. Donc, j’ai besoin des deux. J’aime vraiment les deux et c’est très complémentaire. Et j’ai donc régulièrement besoin de revenir à la source et de raconter mes propres histoires. Et là, je m’immerge en totalité dans mon monde.
Pour revenir à ton actualité, Le Règne #2 est sorti hier, quels sont les points qui t’ont attiré dans l’histoire proposée par Sylvain Runberg ?
Alors, dans un premier temps, cela m’a fait un peu peur. Je ne voyais pas du tout où aller… alors que Sylvain l’avait vu dans mon dessin. C’était au cœur d’une séquence dans Le Livre de Jack où le personnage de Jack se transformait en créature, en loup-garou. Ce n’est jamais dit dans l’album mais cela y ressemble. En fait, au milieu de cette transition, de cette mutation, le personnage est à moitié homme, à moitié animal. Et c’est cela qui a donné à Sylvain l’idée de me proposer une histoire anthropomorphe. Par contre, je ne l’avais pas du tout envisagé, en tout cas pas sous cette forme, et cela m’a un petit peu perturbé. Je n’étais pas du tout sûr de pouvoir être compétent dans cette démarche. Il a donc fallu que je me rassure dans un premier temps par rapport à ça. Et une fois que c’était fait, ce qui m’a intéressé ce sont plusieurs choses. D’abord le défi d’avoir à me coller à cet exercice car c’était très nouveau pour moi, et puis il y avait l’univers. Avec des choses auxquelles on est attaché, l’écologie, la manière dont les choses évoluent, la manière dont les hommes font évoluer les choses, la manière dont ils respectent les animaux, la Terre. Des sujets abordés qui me plaisaient bien et qui me motivaient. Un univers totalement fantasmé sur les ruines de notre civilisation, un univers d’animaux. Et puis le pitch aussi : trois mercenaires qui vivent des aventures, que Sylvain m’avait expliqué comme ça. Voilà, je trouvais cela très motivant !
(Alors que cela n’était pas prévu, Sylvain Runberg nous fait la surprise de se joindre à nous pour la suite de l’entrevue.)
Bonjour Sylvain et merci de nous rejoindre. Nous parlions avec Olivier des points qui l’avaient attiré dans ton scénario et dans ces derniers, il y a l’écologie. Toi qui vis une grande partie du temps en Suède, un pays plus avancé que nous dans le domaine, c’est un sujet qui te tient particulièrement à cœur.
SR : Bonjour, c’est avec plaisir. Oui, la thématique écologique et les résultats de nos actions présentes sur le futur de notre planète est quelque chose qui m’intéresse et m’inquiète depuis longtemps. Dans Le Règne, ce que je voulais évoquer aussi, c’est que souvent, quand on parle des dangers qui menace la planète, on a une expression : « L’être humain est en train de détruire la planète ». Ce que je voulais donc mettre en évidence dans la série, c’est que la planète va nous survivre, la nature va nous survivre et que, ce que nous mettons en danger avant tout, c’est nous-mêmes. Dans Le Règne, le futur montre qu’il y a eu d’autres races animales qui ont pris le pas sur nous et que nous avons disparu en leur laissant un terrible héritage. Nous ne sommes plus là. Le souvenir déformé qu’ils ont de notre présence sur Terre s’est transformé en une espèce de mythe ou légende – ce qui arrive aussi avec de très anciennes réalités historiques, qui sont évoquées plus tard à travers les mythologies – où effectivement l’être humain est perçu comme un démon vivant dans les cieux, commandant aux éléments qui se déchaînent régulièrement sur ce qu’est devenue la Terre dans ce futur apocalyptique.
D’ailleurs, quel est ton personnage préféré, Olivier, par rapport au défi graphique évoqué ? Celui sur lequel tu as aimé le plus travailler ?
OB : C’est toujours une question compliquée parce qu’on est obligé de s’attacher à tous les personnages. Des plus intelligents aux plus stupides, de ceux qui ont les meilleurs sentiments comme ceux qui ont les pires. On est obligé de les comprendre pour pouvoir les retranscrire après, d’ailleurs que ce soit sous forme de dialogues ou de dessins, pour les faire vivre, exister. On est obligé de les aimer, de s’y attacher à tous en fait. Je suis bien évidemment attaché au trio de mercenaires, aux liens qui les unissent et que l’on découvre au fur et à mesure de l’histoire et encore un peu plus dans ce tome 2. Mais aussi au destin de ces enfants… Allez, je vais dire Isaac pour la relation qu’il a avec sa mère dans le tome 2.
Ta technique de colorisation est absolument extraordinaire. Pas de mise en couleurs informatique, pourquoi ?
OB : Merci. Oui, oui, tout simplement parce que j’ai un très mauvais ordinateur ! (Rires)
C’est une très bonne réponse ! En ce qui concerne les personnages, les passés d’Isaac et Octavia ont été abordés. Il reste celui de Pantacrius qui reste nimbé de mystère. Le découvrirait-on dans un futur troisième tome ?
SR : Pour l’instant, Le Règne est un diptyque prévu en récit complet. Il reste finalement encore beaucoup de choses à raconter. Cela va dépendre de l’accueil des lecteurs comme sur tous les projets. Pour l’instant, c’est pensé comme un diptyque.
Dans le cas où cela marche, qu’as-tu envie de raconter pour la suite ?
SR : J’ai envie de raconter plein de choses et je sais exactement quoi. Mais pour l’instant je ne vais pas en dire plus car ce n’est pas encore d’actualité. Je vais rester évasif ! (Rires)
Pendant la campagne de pub, Le Lombard proposait des « speed drawings » de certaines planches. Un exercice astreignant pour toi, Olivier ?
OB : Ce qui est astreignant est de réaliser des pages. Ce n’était pas particulièrement plus astreignant de faire ces « speed drawings ». La seule différence est que j’ai une caméra devant moi qui limite un petit peu mes mouvements. Mais ce n’est pas vraiment encombrant. Le gros changement, c’est qu’il s’agit d’une performance en soi dans le sens où je ne m’autorise pas de pause, comme cela peut être le cas en temps normal. Des pauses de réflexion car ici l’image est pensée du début jusqu’à la fin avant de l’entamer. Il faut donc que cela s’enchaîne et aille très vite. Et cela jusqu’à ce qu’on me dise que je pouvais faire des coupures finalement, parce qu’il y avait un montage après. Mais tous les premiers ont été réalisés vraiment d’une traite. Cependant, il n’y a pas une grande différence car, une fois que je suis lancé, je ne m’arrête pas jusqu’à ce que j’aie terminé. En général, je mets de la musique, un album, quand je démarre ma journée, et puis j’oublie même que l’album s’est arrêté. En fait, il n’y a pas vraiment de pause.
Le Règne est temporairement fini. Olivier, quels sont tes projets futurs ?
OB : Eh bien, pour moi c’est pareil, c’est très flou ! Je ne peux rien dire. (Rires)
J’ai une dernière question sur l’expressivité que tu arrives à poser sur tes personnages. Le résultat est absolument époustouflant. Comment as-tu réussi cela ?
OB : Eh bien, c’est cool si ça fonctionne. C’était un des défis, outre le fait que je n’avais jamais dessiné de personnages anthropomorphes. C’était vraiment le point sur lequel je ne voulais pas me louper. Les personnages devaient être vraiment expressifs. Peut-être que ce qui diffère de ce que j’ai fait jusqu’ici est que le fait d’aborder l’anthropomorphisme m’a renvoyé aux origines des dessins animés que je regardais étant gamin et qui nourrissent mon dessin depuis toujours. Mais là, de manière plus significative encore. J’ai du coup réutilisé tous les codes qui viennent du dessin animé comme ceux mis en place par Walt Disney par exemple. Cela oblige peut-être aussi des expressions plus marquées, plus exagérées. C’est peut-être cela qui fait que c’est plutôt réussi. Il y avait une vraie recherche, un vrai travail, de vraies intentions par rapport à cela.
Justement Sylvain, avais-tu donné beaucoup d’indications par rapport aux personnages ?
SR : Oui mais les indications étaient avant tout psychologiques, culturelles, quel type de peuple, quel type de personnage, de manière d’être. Ensuite, j’avais proposé des pistes, ou même des propositions fermes, en ce qui concerne les liens avec des races existantes pour les personnages. Par la suite, cela a vraiment été une discussion avec Olivier. Il a retenu certaines de mes propositions et il en fait d’autres. Au départ, Isaac était un lion et Olivier a proposé un tigre. Et c’est vrai que le lion, c’est quelque chose que l’on a beaucoup vu dans d’autres fictions. Du coup, Isaac est devenu beaucoup plus intéressant. Pour le reste, il y avait une liste de races animales que je lui avais donnée pour qu’il choisisse parmi elles. Et lui aussi m’en envoyait. Cela a vraiment était un échange, une sorte de ping-pong permanent sur ce sujet-là.
Comme le panda qui est utilisé à contre-sens. Lui, en apparence si gentil, qui est dans l’histoire une véritable brute sanguinaire.
OB : Ça c’était voulu !
SR : Oui, ça c’est quelque chose que j’avais en tête. Je voulais avoir un panda sanguinaire. Il y avait un parti pris dès le départ pour moi qui était important. C’est qu’on ne devait pas lier les races d’animaux connues et les clichés qu’on peut avoir sur les types de caractère qu’ils ont à nos personnages. À savoir qu’un panda n’est pas particulièrement doux et paisible. Et le tigre qui est en réalité le pire des prédateurs terrestres reste ici un personnage assez posé, même si c’est un mercenaire. C’est un protagoniste qui a des codes, des valeurs.
Isaac est très humain finalement.
SR : Oui. C’est pour aussi créer des situations de surprise vis-à-vis du lecteur. C’est-à-dire qu’en voyant une race apparaître, il ne puisse pas s’attendre tout de suite à connaitre son comportement.
Merci beaucoup Olivier pour cette entrevue et à toi Sylvain pour avoir pris la peine de nous rejoindre.
OB & SR : Merci à toi.
Propos recueillis par Stéphane Girardot.
Interview réalisée le 28 octobre 2017
Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent être utilisées sans leur accord.
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Sylvain Runberg et Olivier Boiscommun”