Cette deuxième interview réalisée lors de BD Aix 2016 était prévue à l’avance mais elle s’est déroulée avec un petit bonus. En effet, Romain Renard s’est prêté au jeu des questions/réponses avec plaisir sur l’univers foisonnant de sa série Melvile mais il était accompagné par Jean-Christophe Carrière qui compose avec lui les musiques du concert des Chroniques de Melvile. Comble de bonheur, votre serviteur a eu la chance d’assister aux balances ainsi qu’à la prestation des musiciens planifiée lors de la treizième édition des Rencontres du 9ème Art d’Aix-en-Provence. Une expérience unique et magique !
Bonjour Romain. Après Samuel Beauclair, Saul Miller vient enrichir l’univers de Melvile. D’où vient cette idée de créer une ville et de raconter les histoires de personnages y habitant entre réalité et fantastique ?
Romain Renard : Bonjour. C’est venu petit à petit. On avait un projet, déjà avec Jean-Christophe, qui s’appelait Melvile, qui était un projet musical et qui n’était pas encore de la bande dessinée. J’avais commencé un peu à « délirer » en disant que c’était le nom d’une ville. « Je vais chanter le nom d’une ville ». D’ailleurs, là on est en train de voir justement une exposition sur une ville inventée par quelqu’un (NDLR : l’interview s’est déroulée lors du vernissage de l’exposition Frandisco proposée lors la treizième édition des Rencontres du 9ème Art d’Aix-en-Provence) et c’est un peu – pas vraiment dans la même démarche – mais je m’inventais un cinéma, des lieux de rencontres, des choses comme cela. J’avais déjà créé une page Facebook à l’époque et j’annonçais : « Ce soir à Melvile, il y aura telle chose, il y aura tel morceau qui sera joué à tel endroit ». Et puis à partir du moment où j’ai pu enfin faire mon premier vrai scénario de A à Z, très naturellement le lieu s’imposait comme étant Melvile. Après, j’ai commencé avec Samuel Beauclair qui devait être un livre beaucoup plus grand et beaucoup plus choral. De manière beaucoup plus sage, mon éditeur m’a dit de me concentrer sur un seul personnage et d’explorer d’autres personnages dans d’autres livres, si déjà ce premier marchait. On en est au deuxième et il y aura donc un troisième album. Je suis pour l’instant sur l’écriture du troisième. Et, la ville est devenue de plus en plus concrète maintenant à partir de l’application Chroniques de Melvile (téléchargeable sur iTunes et Google Play) qui accompagne le deuxième album. Et qui n’est pas à confondre avec la première application qui s’appelait Melvile. Cette deuxième application, elle, raconte la ville. Elle raconte un lieu par ses habitants et par ce qu’ont ressenti, vécu ses habitants. Mais on raconte des choses qui se sont passées à la fin du 19ème/milieu 20ème ou à l’époque contemporaine des bandes dessinées. C’est un puzzle que le lecteur ou l’auditeur fait et au fur et à mesure – pièce par pièce, chronique par chronique – il commence à avoir une idée plus ou moins globale de l’histoire de cette ville. Cette histoire – cette para-histoire – en bande dessinée je vais l’utiliser pour le troisième tome. Il y avait déjà des indices dans le premier. Les indices sont beaucoup plus appuyés dans le deuxième et dans le troisième, ce sera vraiment l’histoire de la ville qui sera racontée par un personnage.
Melvile est une BD qui se lit, se ressent, se vit et c’est grâce aussi à tout ce qu’il y autour. Savais-tu dès le départ que tu allais mettre en place tout cet environnement transmédia avec une application, des vidéos et de la musique ?
RR : La musique faisait partie dès le départ du projet. Mais, une personne importante dans le projet, Lucas Chauvière qui est en fait le coproducteur de l’application avec l’agence Clap!, m’a poussé à aller plus loin. Il savait que je faisais des vidéos à côté. Il savait que je m’amusais à ça. C’est vrai que cela fait pas mal de temps que je réalise mes bandes annonces pour les livres. Et quand je faisais de la musique, je mettais ça en images. Il m’a dit qu’il fallait tout rassembler. Il a fallu que ce soit une personne extérieure qui me dise de tout rassembler et après de voir ce que cela donnait. Et, c’est ce que l’on fait maintenant avec Chroniques de Melvile. C’est ce que l’on fait avec le concert des Chroniques de Melvile – aussi – qui raconte la ville. C’est un ciné-concert où l’on diffuse certaines chroniques de l’application et sur lesquelles on joue la musique en live. On joue des morceaux qui sont chantés, pour le coup, et qui sont des résonances à l’histoire de la ville (Les liens vers les bandes originales sont disponibles sur le site Melvile).
Dans la phase de création musicale, comment faites-vous ?
RR : Il y a deux axes. Il y a l’axe des bandes originales et puis celui du concert « rock ». Pour les bandes originales, je pars un peu tout seul et ensuite je demande à Jean-Christophe – qui a un talent de guitariste que je n’ai pas – d’aller au-delà de ce je propose sur certains thèmes musicaux. Il m’envoie des propositions, on en discute ensemble, je réarrange ce qu’il m’envoie et on construit les choses de cette manière-là. Pour le concert Rock, il y a des morceaux qui sont de Jean-Christophe et d’autres de moi, avec des textes d’autres personnes. Là, c’est vraiment plus un projet musical toujours attaché à l’environnement « melvilien » si je puis dire.
Bonjour Jean-Christophe. Les dessins et les textes de Romain sont-ils le point de départ de ce que tu lui soumets ?
Jean-Christophe Carrière : Bonjour. Il y a de toute façon un univers graphique qui est partie prégnante de la musique. C’est quelque chose qui est indissociable. Même si ce n’était pas accompagné d’images, j’ai l’impression que les images sont toujours là. Il y a toujours cette ambiance qui reste, qui va donner une couleur à la musique et à l’ambiance que l’on a envie de mettre par rapport à cela.
Romain, tu es un « bidouilleur » et tu touches à beaucoup de choses.
RR : C’est naturel ! Je le dis souvent, et pardon si je me répète, mais on vit une époque où l’on passe d’un support à l‘autre tout le temps. Tu lis ton journal sur une tablette, un téléphone, la télévision ou sur du papier. Je ne suis pas le seul à le faire. Mais, c’est juste que j’utilise des outils qui sont là, à portée de mains. Moi, je me considère plus comme un narrateur, même plus qu’uniquement auteur de bandes dessinées. Ce qui m’importe le plus, c’est de raconter des histoires, des courtes nouvelles et des personnages. On le faisait déjà avec Jean-Christophe. On avait un groupe qui s’appelait Rome, il y a cinq/six ans, où déjà je racontais des histoires dans une tout autre ambiance. Pareil avec la vidéo, l’aspect multimédia, la réalité augmentée, très prochainement en jeu vidéo et bien évidemment la bande dessinée. La bande dessinée reste le corpus du projet.
Quand vous êtes en concert et que vous jouez cet univers, quel est votre ressenti ?
RR : Pour moi c’est un plaisir direct et je pense que pour Jean-Christophe aussi.
JCC : Tout à fait !
RR : Il y a un plaisir physique dans le dessin, mais c’est un plaisir solitaire. J’enfonce les portes ouvertes en disant ça, mais c’est le cas. Là, le fait d’être en live, de se mettre entre guillemets en danger à chaque date en disant : « Allez, on y va. On le refait et on essaie de le refaire aussi bien que la dernière fois ! », c’est quelque chose que je n’ai pas dans le dessin. C’est un complément. C’est autre chose. C’est une autre manière de raconter les choses. Après, c’est naturel. Je pense que si je n’avais pas fait les bandes originales de Melvile, j’aurais de toute façon fait la même musique. Même si ce n’était pas la bande originale. Puisque comme je travaille par humeur, je fonctionne – à moins d’être complètement schizophrène – dans les mêmes humeurs. Ce que je raconte, la manière dont j’ai envie de mettre en scène mes personnages, mes histoires et la manière de les mettre en lumière, de poser une atmosphère, une ambiance, c’est la même chose en musique. Je compose beaucoup en Ré mineur par exemple.
Graphiquement, comment procèdes-tu ? Quelle technique utilises-tu ?
RR : Il y a trois étapes. Il y a une étape de crayonné très poussée à la limite de l’hyperréalisme que je scanne une première fois et que je me réimprime sur le même papier en effaçant à cinquante pour cent. Du moins que j’imprime à cinquante pour cent. Ensuite, avec cette base très solide et hyperréaliste, avec mon crayon fusain, je peux lâcher le trait et choisir ce que vais garder de réaliste, laisser partir les choses dans le flou voire dans l’expressionnisme, voire dans l’abstrait même. Je travaille essentiellement aux feutres, à l’encre et au fusain pour les originaux. Quand j’ai fait cette partie-là, le principal du travail est fait. Il ne me reste plus qu’à mettre la couleur. Ça c’est une dernière étape qui est très rapide car je n’utilise que trois couleurs généralement et que je mélange à chaque fois. Mais, c’est trois couleurs pas plus et ce sont les mêmes pour les deux premiers tomes. En fait, là je colore ma matière. Je ne rajoute pas un calque de couleurs sur mes dessins. Ce qui peut donner cet aspect couleurs directes. En fait, c’est du noir et blanc direct. (Rires)
Dans Melvile, il y a des ambiances proches de celles posées par David Lynch, entre autres, et des cadrages très cinématographiques. Le cinéma est une grande source d’inspiration pour toi ?
RR : Mon inspiration est en fait plus littéraire que cinématographique. Après pour la manière de découper, j’ai une formation de story-boarder en fait. Donc, j’ai fait ça pendant des années. Je pense savoir découper un texte. Il y a tout ce background de story-boarder qui revient dans mes planches. Mais en gros ce que j’essaye de faire, c’est de restituer les images que j’ai en tête. Mais pas de les penser en termes de bande dessinée mais en termes d’image, en termes de succession narrative. C’est pour cela que ça peut – à mon avis – se rapprocher du cinéma. En revanche, je pense qu’il y a des choses qui sont beaucoup plus difficiles à faire passer au cinéma qu’en bande dessinée. Le côté réalité décalée qui est dans Melvile marche parce que j’utilise les codes de la bande dessinée. Et faire son adaptation au cinéma demanderait un tout autre travail.
Romain, tu travailles sur le troisième tome. Jean-Christophe, tu travailles également sur la musique qui l’accompagnera ?
JCC : On ne travaille pas sur le troisième tome mais on a de nouvelles idées qui vont sans doute l’enrichir. C’est-à-dire que ce n’est pas encore très précis ce qui va naitre au niveau musical pour la suite.
RR : En fait ce qu’on fait ensemble, c’est qu’on raconte les Chroniques de Melvile. C’est vraiment le pendant numérique de l’application. Et donc les morceaux que Jean-Christophe me propose et ceux que je lui propose amènent à des situations différentes. On se dit : « Tiens je pense que pour cette histoire-là, on peut partir dans cette ambiance-là ! » Parfois c’est l’inverse, une musique peut inspirer un texte. Parfois Jean-Christophe me renvoie sur des textes littéraires en me disant que cela peut m’intéresser. On se nourrit mutuellement. Notre travail commun est vraiment autour des Chroniques de Melvile.
Un travail qui te permet, comme tu le disais, de rompre la monotonie du travail solitaire du dessinateur.
RR : Oui ! Et puis, on se connait bien. Cela fait dix ans que l’on joue ensemble. Quand on le fait, on n’a pas besoin de se parler. On se parle un tout petit peu pour mettre au point certaines choses. Une fois que l’on commence à jouer, plus besoin de paroles.
Merci à vous deux pour cet entretien. Rendez-vous pour le troisième tome de Melvile.
RR & JCC : Merci à toi.
Propos recueillis par Stéphane Girardot
Interview réalisée le 1er avril 2016.
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