
C’est à l’occasion de la sortie de son album Le Bois dormait, et dans le cadre de son atelier, que Rébecca Dautremer a eu la gentillesse d’accepter de répondre à quelques-unes de nos questions.
Rébecca, bonjour ! Tout d’abord, pourriez-vous nous raconter comment débute une carrière comme la vôtre ?
Je n’ai jamais envisagé de faire aucune carrière. J’ai toujours dessiné depuis que je suis enfant, cela m’est naturel, dans mes gênes, je pense, en tout cas dans ma nature. J’ai eu la chance de naître dans une famille où on m’a toujours beaucoup soutenue pour le dessin. Mes parents étaient très attentifs aux goûts et talents de leurs enfants. Ils m’ont toujours poussée à pratiquer le dessin et la peinture. Ainsi, j’ai donc fait un atelier préparatoire, et ensuite Art Déco à Paris. Je n’avais jamais imaginé que je pouvais vivre du dessin ni même devenir illustratrice, je n’avais d’ailleurs aucune notion de ce qu’était ce métier-là. Les choses se sont faîtes naturellement, sans vraie volonté ni plan de carrière de ma part de ma part, avec une part de chance et beaucoup de travail.
Est-ce que vous travaillez sur commande ?
A mes débuts, pour vivre, j’ai répondu à des commandes. Ce n’était pas une volonté de ma part de devenir illustratrice, encore une fois. Les choses se sont faîtes les unes derrière les autres. D’ailleurs, il n’est pas dans ma nature de prendre de grandes décisions solennelles. Au départ, lorsque j’étais à Art Déco, un de mes professeurs m’a présentée au directeur artistique de Gautier-Languereau. Il m’a fait confiance, on a sympathisé, et il m’a confiée des petits travaux simples, des albums de coloriages. J’ai commencé à travailler comme cela, c’était donc bel et bien des commandes. C’était il y a plus de vingt ans aujourd’hui. Année après année, je me suis fait proposer des albums. Petit à petit, je commençais à être connue sans l’avoir vraiment cherché, simplement en répondant aux propositions. Je crois avoir le goût du travail, et de faire les choses du mieux que je peux. C’est ma manière de procéder, et je pense que cela m’a porté chance. Progressivement, les choses se sont mises en place. Avec la notoriété, la liberté arrive, mais j’ai dû mettre 6 ou 7 ans avant de me dire que j’étais devenue illustratrice, et que j’en ferais mon métier. Les choses évoluant, les éditeurs étaient plus à l’écoute et de fait, je devenais plus libre dans mes sujets, cela change tout (sourires).
En 2003, je me sentais plus à l’aise dans mon travail, et j’ai sorti un livre qui s’appelait L’Amoureux. C’est je crois, pour moi, le livre « charnière » de ma carrière. Il obtint le prix Sorcières, qui récompense chaque année un livre de littérature jeunesse. Puis vînt en 2004 Princesses, qui bénéficia lui aussi d’un très beau succès, y compris à l’étranger. Je crois que, quand un titre marche, les gens attendent le suivant, un peu comme un rendez-vous d’automne, à le rentrée littéraire. Ainsi, il est donc un peu plus facile de proposer un nouvel ouvrage (mon rythme de parution est de un album par an, à peu près).
Vous avez été éditée pendant de nombreuses années chez Gautier-Languereau. Est-ce que le fait de changer de maison d’édition a changé beaucoup de choses pour vous ?
C’est vrai, j’étais éditée depuis longtemps chez Gautier-Languereau, mais j’ai toujours bénéficié de beaucoup de liberté sur mon travail, et d’ailleurs, cette liberté, je l’ai toujours prise, je n’ai pas attendu de changer de maison pour cela. Je crois que, chez Sarbacane, c’est l’implication qui est différente. Il se trouve que l’équipe m’a beaucoup accompagnée sur certains changements. Ce fût un ensemble de circonstances, d’échanges : le fait d’avoir d’autres interlocuteurs m’a donné envie de faire les choses plus « fortement ». Voilà… le thème du Bois dormait, c’est celui du réveil. MON réveil personnel. Du coup, la démarche est très différente. J’ai constaté que les gens qui aimaient ce livre en ont été particulièrement touchés (j’ai eu de très bons retours). Je ne dis pas que tout le monde aime, mais plusieurs sont revenus vers moi pour me donner leur ressenti. Je m’en doutais un peu, mais cela s’est vérifié spontanément. Sur cela, je ne suis pas sans y être sensible. A mon sens, quand on met de la sincérité dans un projet, et que cela marche, c’est une vraie satisfaction.
Quand on illustre des univers comme le vôtre, de quelle manière perçoit on les choses? Ne quitte-t-on pas un peu la réalité ?
Alors effectivement, je ne pense pas être quelqu’un de très « réaliste ». En tout cas, la réalité telle qu’on l’entend ne m’intéresse pas beaucoup, que ce soit dans mon travail ou dans mon quotidien. Par ailleurs, j’aime bien la « transformer » au travers de mes illustrations, ceci d’ailleurs plus par nature que par choix professionnel. Je pense que c’est en cela que se définit mon style : tout ce que je fais, je le fais par goût. Je ne me lève pas le matin en prenant de décision théorique et me disant « alors, aujourd’hui, je vais transcender la réalité. » Ce n’est pas par calcul, pas du tout. Je dis à tout le monde la même chose, et je trouve que la formule n’est pas si mauvaise : « Mon style, mon univers, tout ce que j’ai pu développer, c’est ce que je sais faire. Le reste, c’est ce que je ne sais pas faire ». Je crois que le style des gens se résume ainsi, et que les choses se définissent par défaut.
A propos du Bois dormait, la construction du livre était-elle vraiment différente ?
Avec Sarbacane, je me suis beaucoup impliquée. Il était important pour moi de restituer, de recréer un lieu que l’on reconnaît d’une page à l’autre. Un peu comme si on baladait une caméra dans ce village qui s’appelle le bois. L’idée était d’inviter le lecteur à une promenade, comme un cheminement vers un lieu précis. L’environnement est donc essentiel pour resituer tout cela, et puis techniquement, j’avais envie de renouer avec le travail du décor, c’était important pour moi, même si c’était beaucoup de travail. Enfant, j’adorais regarder ces images très fouillées, complexes, remplies d’une multitude de détails et de scènes en arrière-plan, un peu comme les tableaux de Brueghel. C’est un peu l’esprit que j’ai essayé de retrouver avec les affiches du match de boxe, par exemple (sourires).
Merci beaucoup pour ce moment en votre compagnie.
Propos recueillis par Joël Leroy
Interview réalisée le 5 décembre 2016
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