
Jérôme Phalippou était présent au festival Quai des Bulles de Saint-Malo, nous avons profité de l’occasion pour aller lui poser quelques questions sur son travail sur la série Les Aventures de Betsy mais également sur son passé de douanier. Rencontre.
Avant de prendre les crayons sur la série Les Aventures de Betsy, vous avez travaillé sur quelques albums assez confidentiels. Pouvez-vous nous parler de votre expérience précédent votre collaboration avec Olivier Marin ?
Ce sont des recueils de gags qui sont publiés dans Le Dauphiné Libéré, le journal de ma région. Tous les lundis, je fais un gag qui se moque autant de ceux qui ne sont pas assez écolos que ceux qui le sont trop. Deux recueils sont parus à ce jour avec, en préambule à chaque fois, une histoire complète inédite, cela permet de m’exercer au travail scénaristique, ce qui est intéressant. Malgré tout, cela reste très confidentiel comme albums, même si j’ai croisé quelqu’un ce matin en dédicace qui l’avait et qui m’a confié l’avoir trouvé au Mans, j’étais ravi.
Et avant d’être dessinateur, vous étiez douanier.
Effectivement j’ai été douanier de 1991 à 2010. Lors de mes dernières années de douanes, j’étais très souvent détaché par mon administration pour faire des dessins mais aussi des expositions. A chaque fois qu’ils avaient un projet d’expo sur un sujet assez rébarbatif – ça l’est forcément quand ça concerne la douane – ils me demandaient de le mettre en forme de façon à rendre le truc un peu plus sexy que comme c’était présenté au départ. J’ai même fait des expos au ministère des finances à Bercy (Rires). J’ai aussi réalisé une petite BD pour expliquer aux enfants ce qu’est la douane mais elle n’est jamais sortie. Une fois que mon bureau a fermé en Haute-Savoie en 2009, j’ai d’abord été affecté à Thonon-les-Bains puis j’ai été recruté par le maire de Châtel où se trouvait l’ancien bureau où je bossais. La mairie avait racheté ce bureau avec la ferme intention d’en faire un musée, ils savaient depuis un moment que l’idée de faire un musée sur la contrebande et la douane m’attirait. Au bout de deux ans et demi de travail, j’ai ouvert une structure qui s’appelle aujourd’hui la Vieille douane et qui explique la contrebande dans le secteur dans lequel on se trouve, à savoir les Portes du soleil, depuis le XIIIème siècle jusqu’à la fin des années 60. Après cette expérience, je n’avais ni l’envie de retrouver l’uniforme ni celle d’intégrer les équipes municipales car j’aurais été guide toute ma vie et ce n’est pas à quoi j’aspirais. C’est à cet instant que je me suis dit que c’était le moment ou jamais de me lancer dans la bande dessinée.
Comment est née votre collaboration avec Olivier Marin ?
Je remercie Facebook, cela peut être utile parfois. En fait, Olivier et moi avions un ami en commun qui nous a mis en relation dès que celui-ci a su qu’Olivier cherchait un dessinateur pour cette série. C’est comme cela qu’est née notre collaboration même si au démarrage j’étais assez surpris parce que je connaissais la série Les Enquêtes auto de Margot et pour moi c’est de la ligne claire pure et dure. De plus, les auteurs de la collection Calandre bossent tous à la tablette graphique. Quand Olivier m’a appelé, je lui ai dit que je travaillais tout de façon traditionnelle et que ça ne correspondrait peut-être pas à l’esprit de la série. Il m’a répondu que justement ils cherchaient à donner une nouvelle vue sur la collection Calandre et que ça serait bien que je fasse partie de l’aventure. S’en est suivi une rencontre avec Pierre Paquet et Pol Beauté avec qui nous avons finalisé tout ça. Le scénario était quasiment fini et je me suis lancé dans la foulée. Nous avons pris notre rythme de croisière avec le tome 2 puisque je l’ai commencé en janvier 2017 et il est sorti au mois d’août.
Dessiner une série sur l’automobile est un heureux hasard ou est-ce que c’est un thème qui vous passionnait déjà avant ?
Aussi bizarre que cela puisse paraître, je n’y connais rien en automobile. Les voitures je n’en parle que lorsqu’elles sont en panne mais par contre j’ai toujours eu un amour immodéré pour les BD de Tillieux et Franquin. J’ai découvert également Les Aventures de Jacques Gipar de Thierry Dubois et Jean-Luc Delvaux qui est un magicien de la caricature de voiture. J’ai donc été élevé avec Franquin et Tillieux pour les voitures et quand tu te retrouves à en dessiner c’est marrant. Eux dessinaient des voitures de leur époque, personnellement je n’arriverais pas à le faire, je trouve qu’aujourd’hui elles se ressemblent toutes. A l’époque, il y avait vraiment des voitures sexy, rondes et super intéressantes à dessiner. Je m’éclate bien à faire ça même si ce n’était pas un but dans ma vie, ce qui est vraiment bien avec cette BD est qu’elle se passe dans les années 60, c’est royal pour moi.
Pour cette série, on imagine que vous avez dû vous documenter pour réaliser les planches. Est-ce que le rôle d’Olivier Marin s’est limité au scénario ou vous a-t-il fourni de la documentation et des conseils ?
Olivier m’a donné les grandes lignes en matière de voiture. Il y a eu la Bugatti Atalante dans la première aventure, la voiture du méchant était une Panhard, celle de Betsy était une 4L fourgonnette et ensuite pour les figurants j’avais carte blanche. Il a déjà fallu que je dessine une Panhard et une 4L fourgonnette qui étaient de l’année 1962 ou antérieure. Personnellement je ne vois pas la différence entre une 4L de 62 et une de 63, d’ailleurs nous avons galéré avec celle-ci car nous n’avons jamais réussi à savoir s’il y avait un rétroviseur à l’intérieur. Thierry Dubois nous a apporté ses connaissances pour avoir des infos fiables. Pour ma part, ça a toujours été un peu galère car, à chaque fois que je dessinais la voiture d’un figurant, Olivier m’appelait pour me dire « non pas possible, celle-ci est de 1965 » ou « celle-là est de 1963 ». Entre le tome 1 et le tome 2, je me suis rendu dans une brocante et j’ai acheté tout un stock du journal L’Automobile de 1960 à 1962, ce qui me permet maintenant de piocher dedans sans que personne ne m’embête plus avec ça (Rires). Enfin cela ne m’a pas empêché de me faire rattraper par Olivier car, dans ces magazines, il y avait des BMW, Audi, Saab, Opel et je me suis amusé à dessiner ces voitures-là sauf qu’en Province dans les années 60, il était plus courant de croiser des Peugeot, des Renault ou des Simca mais pas les marques précédemment citées.
Avez-vous possibilité d’apporter votre touche personnelle dans chaque aventure si vous avez une idée ?
J’ai la chance d’avoir un scénariste qui est assez souple, cela me permet de modifier parfois les dialogues afin de leur donner un côté plus humoristique ou bien d’ajouter une bulle ici ou là pour créer du liant. Dans le tome 2, j’ai également travaillé certaines scènes différemment de manière à ce que ça soit plus dynamique mais bon, j’ai un scénario avec un découpage proposé par Olivier que j’adapte ensuite car généralement il y a quatorze cases que je réduis à neuf ou dix. C’est vraiment une bonne collaboration.
Cette série vous permet de manière brève de faire apparaître la célèbre cousine de Betsy, Margot. Plutôt sympa de mettre en scène le personnage créé par votre scénariste ?
C’est un gimmick que nous nous sommes fixés, c’est-à-dire qu’elle doit intervenir au début ou à la fin de chaque album. Pour le premier tome, elle est apparue au début parce qu’il fallait assurer la filiation entre les deux séries, d’ailleurs c’est Margot qui lance Betsy sur son enquête. Pour le deuxième tome, il était question de la faire intervenir au milieu mais, vu qu’il n’y avait pas de raison particulière pour qu’elle y arrive, finalement nous l’avons cantonnée à la dernière page. Au moins, il y a un clin d’œil à la cousine de Betsy et je pense que si Olivier fait d’autres albums avec Margot après le tome 5 prévu pour le mois de janvier 2018, Betsy devrait apparaître dedans.
Une troisième aventure est-elle d’ores et déjà prévue ?
J’ai demandé à Olivier que le scénario du tome 3 se passe en Haute-Savoie parce que c’est chez moi et puis, après deux premiers tomes assez citadins, j »avais envie de changer un petit peu. Cela va me permettre de pouvoir dessiner des décors de montagne et ça m’intéresse de faire ce type de choses. Olivier amène le point de départ de l’aventure puis nous faisons souvent des brainstormings pour voir où nous mènera l’intrigue. Pour le tome 3, pour le moment nous n’avons pas de point de départ, nous allons d’ailleurs peut-être raconter notre histoire à l’envers en commençant par la fin histoire de surprendre un peu le lecteur.
Des envies d’albums en solo ?
Effectivement, entre les tomes 2 et 3 des Aventures de Betsy, je réalise un album sur la première guerre mondiale aux éditions OREP, une maison d’édition normande qui fait beaucoup d’ouvrages à caractère historique et pédagogique. Il s’agira de chroniques entrecoupées de passages écrits. L’album sera scénarisé par Jérôme Eho. Une fois que cet album de 46 pages sera terminé, j’enchaînerais sur le tome 3 des Aventures de Betsy puis ensuite j’aimerais faire ma BD à moi. J’ai un scénario quasiment abouti sur une histoire de douane et de contrebande dans les années 20 dans un petit village de montagne à la frontière franco-suisse. Il y a plein de ressorts dramatiques que l’on peut utiliser et c’est super intéressant, c’est un sujet qui n’a jusque-là pas vraiment été abordé. J’en viens même à me dire que si ça n’a jamais été fait, c’est que c’est peut-être un sujet casse-gueule. Ma passion pour la douane m’a permis de créer un musée, de réaliser des livres mais je fais également beaucoup de conférences et je m’aperçois à chaque fois que les gens sont estomaqués de voir tout ce que l’on a à raconter. C’est un sujet peu connu, donc j’y crois.
Merci à vous d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 27 octobre 2017.
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