Hello ! Ici Radio Ribambulle ! Aujourd’hui, nous avons le plaisir de recevoir Jeanne Puchol et Laurent Galandon à l’occasion du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2018. Nous allons en savoir plus sur leur dernière parution, Interférences, une histoire des radios pirates des années 70. C’est parti !
Bonjour Jeanne et Laurent. Vous vous retrouvez après avoir travaillé ensemble sur Vivre à en mourir aux éditions du Lombard. Était-ce une évidence pour vous de travailler une nouvelle fois ensemble ?
Jeanne Puchol : Oui. Absolument.
Laurent Galandon : Oui. Je crois qu’on peut le dire comme ça. En fait, dans chaque collaboration, on sent s’il y a des affinités humaines et/ou de sujet. Cela a été d’autant plus le cas pour Vivre à en mourir et Interférences. Et puis il y avait trois avantages à travailler avec Jeanne sur Interférences. D’abord, il y a le plaisir et l’assurance que ça se passerait bien. Ensuite, Jeanne est une Parisienne de longue date et notre histoire se passe à Paris. Et enfin, elle a vécu un plus que moi cette période étant adolescente à cette époque. On peut donc dire que l’évidence était multiple.
Qu’est-ce qui vous a donné envie justement de développer une histoire autour de ce thème des radios pirates ?
LG : C’est le fil conducteur de tous mes albums d’avoir des personnages qui sont en résistance contre quelque chose. Le thème d’Interférences est né au moment de l’écriture de LIP – Des héros ordinaires, un autre roman graphique que j’ai fait avec Damien Vidal chez Dargaud. C’est l’histoire d’une lutte sociale emblématique de l’histoire ouvrière française qui a eu lieu à Besançon. Dans le cadre de cette lutte, les ouvriers avaient inventé un dispositif qui consistait à enregistrer leurs revendications et leurs moyens de lutte sur des cassettes. Comme la parole était relativement phagocytée par le monopole d’État au niveau des radios, ils avaient du mal à se revendiquer. Ils diffusaient donc ces enregistrements auprès des CE et des syndicats. C’était une première forme de radio pirate, même si ce n’était pas utilisé sur les ondes. C’était un moyen d’utiliser la parole et le son pour parler.
JP : L’intérêt m’est venu du fait que les protagonistes avaient le même âge que moi. Je pouvais vraiment faire appel à des souvenirs personnels de ces années-là. Je m’en suis inspirée pour les détails vestimentaires, les décors, les comportements, une certaine forme de naïveté et l’esprit des années 70 qui était quand même assez particulier. J’ai pu aussi m’inspirer des souvenirs de mes premières interviews radios pour la sortie de mon première album. C’était sur des radios libres telles que Radio Libertaire, Radio Fréquence Gaie, Aligre FM. Donc quelques-unes de ces radios qui avaient été des radios pirates ont survécu à la libéralisation et ont contribué paradoxalement à tuer un certain nombre de ces radios pirates.
Vous étiez jeune à l’époque. Jeune adulte pour Jeanne, enfant pour Laurent. Que retenez-vous de cette époque ? Cela vous a-t-il aidé à concevoir Interférences ?
LG : Non, pas directement, parce qu’en plus j’évoluais dans un milieu familial qui n’était porté ni sur la culture ni sur toute forme de lutte. Par contre, on est sur une période qui se passe après Mai 68. Tous ces mouvements sont nés de cet élan qui fut provoqué par Mai 68 avec ses défauts et qualités. Je trouve que cette période 1968-1981, avec tout ce qui s’est passé, est vraiment passionnante.
JP : J’étais lycéenne dans les années 70. En 1973, on était dans la rue avec des slogans comme « 5 ans déjà ! Coucou, nous revoilà ! ». Il y a eu des mouvements lycéens très importants pendant la période de mon second cycle d’études. En 1977, quand l’histoire de Pablo et Alban commence, au moment où ils lancent Radio Nomade, cela correspond à mes années d’études aux arts décoratifs et à la fin de cette période de subversion et d’ébullition. J’étais dans ce milieu artistique où on était sûr qu’on allait changer le monde. Mais voilà, la réalité nous est tombée dessus. En effet, avec l’élection de François Mitterrand en 1981, ces mouvements se sont arrêtés puisqu’on pensait avoir obtenu un résultat avec enfin l’arrivée de la gauche au pouvoir. Alors que le bilan est plus subtil et mitigé que ça. Mais en tout cas, j’ai passé mon diplôme en 1981 et j’ai donc démarré dans la vie professionnelle où j’ai été confrontée à de nouveaux problèmes. Donc les années 70, c’est une période à part. Bien délirante et en même temps très intéressante, très bouillonnante, très curieuse. C’était des années où on s’intéressait à de nombreux sujets. On abordait la politique de manière très large.
On peut ainsi dire que Mai 68 a libéré les consciences et il en a découlé de nombreux mouvements ?
JP : J’ai envie de dire que Mai 68 s’est passé dans les années qui ont suivi. C’est un mouvement qui n’a pas duré très longtemps, qui a en effet lancé plein de pistes et qui a entraîné toute une génération à poursuivre de manière plus sage, peut-être moins spectaculaire, un travail de fond. Par exemple, la grande grève des LIP, dont Laurent nous a parlé, et le fait de se saisir de l’outil de production en 1973. C’est un mouvement qui a fortement marqué. Il y a eu le Larzac aussi… Donc ce furent des mouvements de fond qui portaient sur des réflexions beaucoup plus larges à propos de la société, avec une volonté d’aller jusqu’au bout. Autogestion, résistance, occupation, pacifisme… Il y a eu effectivement de nombreux mouvements sur un peu plus de dix ans et qui ont développé les thèmes de Mai 68, ou du moins qui ont essayé de les inscrire dans le réel.
Les faits historiques se suffisent-ils à eux-mêmes comme référence ? Avez-vous eu des références artistiques ? Quand on pense au thème des radios pirates, on pense notamment au cinéma et au film Good morning England.
LG : C’est le seul film qui porte sur le sujet. En 1964, le navire Mi Amigo, qui hébergeait Radio Atlanta, part en mer. Ce qui est intéressant avec Radio Atlanta et Radio Caroline, c’est qu’ils naviguaient sur les eaux internationales, loin de toute juridiction nationale. Grâce à ça, on pouvait les entendre sur les plages de la Normandie et de la côte d’Opale et du coup ça a généré ce phénomène des radios pirates. Finalement, la seule référence artistique est ces quelques premières pages du livre où on évoque Radio Caroline et le fait qu’il coule en mer en 1981.
En parlant de références, vous avez relaté certains faits historiques comme le 17 octobre 1961 et l’histoire de la Villa Susini lors de la Guerre d’Algérie. Pourquoi avoir choisi ces faits-là en particulier ?
JP : En fait, j’ai travaillé deux fois sur le sujet. J’ai illustré Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx qui a comme point de départ la manifestation du 17 octobre 1961. C’est une manifestation d’Algériens visés par le couvre-feu instauré par le Préfet Papon. Didier Daeninckx a été le premier à aborder cette histoire, par le biais d’un roman policier certes, mais qui a quand même eu le mérite de lever le voile, voire même l’omerta, qui avait été lancée sur le bilan extrêmement lourd de cette manifestation. Et je l’ai abordé à nouveau dans un court album autobiographique qui s’appelle Charonne – Bou Kadir dans lequel je raconte l’engagement de mes propres parents nés en Algérie et qui se sont engagés pour l’indépendance. Ils ont participé à un certains nombres de ces manifestations extrêmement violentes dans le début des années 60 pour réclamer la paix en Algérie.
LG : En ce qui concerne la Villa Susini, j’en ai déjà parlé dans un autre album sur la Guerre d’Algérie qui s’appelle Tahya El-Djazaïr. La Villa Susini était censée être un lieu administratif de l’armée française à Alger. Ce fut en fait un lieu de torture. Dans une autre vie professionnelle, j’étais responsable d’une salle de cinéma. On avait diffusé Avoir 20 ans dans les Aurès en compagnie de son réalisateur René Vautier. Le soir de la représentation, il y avait une personne qui avait travaillé dans cette Villa et qui a assisté à des tortures sans y participer. Cela a été extrêmement traumatisant pour lui. Donc en fait, toutes nos histoires sont nourries à la fois de nos recherches documentaires et parfois aussi de nos rencontres diverses et variées.
Votre histoire a été adaptée à la radio par Radio Méga. Pouvez-vous nous en dire plus ?
LG : Je suis un amateur de radio. À un moment donné, j’ai adapté Interférences sous forme d’une pièce de théâtre radiophonique. Il fallait qu’on reste sur un format qui soit diffusable. Cette pièce de théâtre est disponible pour toutes les radios associatives de France et de Navarre qui voudraient la diffuser. Ils prennent contact avec Radio Méga et on leur envoie le pad haute définition de la pièce. C’était assez intéressant car cela permettait de faire une mise en abyme de cette histoire parce que les radios associatives sont aujourd’hui plus de 600 en France. Ce sont les petites-filles des radios pirates. Ce sont des radios qui ont le plus souvent un travail militant, un travail de proximité avec la population, qui offrent la parole à des gens qui sont peu ou pas connus. Pour moi c’est vraiment une continuité, certes étouffée car aujourd’hui il y a beaucoup de radios qui ont des fortes popularités et des capacités de diffusion énormes. Cela avait vraiment un sens pour cette histoire en particulier de la transformer sous forme d’une pièce de théâtre radiophonique. J’ai choisi Radio Méga parce que c’est à Valence. J’habite à Valence et je connais bien les clips de cette radio locale.
Du coup, ce projet est-il de votre propre initiative ?
LG : Oui, complètement. C’est un projet qui est assez chronophage. On l’a entièrement monté de nos petites mains et avec une participation de l’éditeur. À la fin de l’album, il y a un QR code qui permet de l’écouter (pour écouter un extrait, cliquez ICI).
Comment avez-vous choisi les titres de musique présents dans l’album ?
LG : Je ne suis pas un grand historien de la musique. J’ai plutôt fait un travail de recherche en fonction des périodes. J’écoutais aussi. Quand ça me plaisait bien, je les passais. Il n’y a que la musique phare de l’album (I can’t get no) Satisfaction des Rolling Stones que je connaissais, grâce à un souvenir d’enfance. Les autres titres, je fouillais sur internet, je vérifiais que cela correspondait à la bonne période. Je me suis planté une ou deux fois, mais heureusement je me suis corrigé grâce aux gens de Radio Méga qui eux sont de véritables historiens de la musique. Ils ont de vraies connaissances sur le sujet.
Jeanne, avez-vous pris, pour la réalisation de l’album, la playlist de Laurent ? Pour l’écouter pendant votre travail sur Interférences ?
JP : Je connaissais la plupart des titres qu’il cite. Ce n’est pas tant que je les ai écoutés, c’est que j’ai cherché les partitions sur internet et les notes qui sont écrites sont vraiment les notes. J’ai cherché à être vraiment sérieuse dans la reproduction de la musique. C’est le petit détail en plus. C’est paradoxal d’évoquer la musique dans la bande dessinée qui est un média passionnant.
Parmi ces titres de musique que vous avez choisi, s’il n’y en avait qu’un à retenir, lequel choisiriez-vous ?
LG : Ce serait (I can’t get no) Satisfaction. Je le réécoute chez moi régulièrement. J’appelle mes enfants en leur mettant parfois.
JP : Ce serait le titre de Rory Gallagher Walk On Hot Coals. Il n’était pas très connu. Alors il faut que les titres parlent un minimum aux lecteurs parce que sinon on allait citer que des groupes obscurs, complètement confidentiels. Mais le titre Walk On Hot Coals que j’ai découvert, il est bien parce que c’est un titre qui a percé dans ces années-là. Il n’était pas encore très connu du grand public et il avait vraiment un rock que l’on ressent. Comme je ne le connaissais pas du tout, même pas le nom du chanteur, je suis allé voir des vidéos et je suis restée scotchée ! Gallagher dégage une énergie ! Ça dépote bien et on peut comprendre que deux gamins de 16 ans se disent « Ouah ! » en entendant ça pour la première fois, ils reçoivent la claque de leur vie.
Merci pour cette rencontre très instructive.
Merci à vous.
Propos recueillis par Geoffray Girard et Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 26 janvier 2018
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