Sorti en fin d’année 2015, le quatrième tome de Love met cette fois en scène les dinosaures. Nous sommes allés à la rencontre de Frédéric Brrémaud et Federico Bertolucci pour leur poser quelques questions au sujet de cette série animalière muette. Rencontre.
D’où vous est venue l’idée de réaliser une série muette consacrée aux animaux ?
FBr : L’idée de base était de réaliser des documentaires animaliers avec une certaine fiction, mais sans paroles ni commentaires comme il peut y en avoir dans les documentaires de ce type diffusés à la télévision où on prête aux animaux des comportements humains alors qu’eux-mêmes l’ignorent. Pour une histoire d’animaux, il n’y a pas besoin de paroles, le silence de la nature fonctionne mieux. Federico et moi-même avions pas mal de travaux commencés et nous nous sommes demandés ce que nous allions pouvoir faire ensuite, nous étions d’accord pour réaliser un projet qui nous tenait à cœur à tous les deux. Le concept de Love était né, peu importe si les éditeurs n’étaient pas intéressés pour l’éditer, nous avions dans l’idée d’en faire des petits chapitres que nous aurions vendu dans les journaux du monde puisque le fait de ne pas avoir de texte permettait l’internationalisation du projet. De plus, ce type de récit permet à Federico de s’exprimer pleinement sans que des bulles viennent gêner son trait.
FBe : En effet, le cadrage choisi dépend du placement de la bulle, avec Love il n’y a pas ce problème-là et cela s’apparente plus à un storyboard de cinéma. Pour moi, c’est une belle et agréable expérience.
Vous aviez déjà travaillé ensemble auparavant sur une série animalière mais cette fois-là avec des personnages humanisés (Richard Cœur-de-Lion). Vous avez une attirance pour ce type d’histoire ?
FBe : Je sors de l’école Disney, les animaux sont dans la culture de cette institution mais plus généralement dans la culture mondiale parce que les premiers contes ont été créés autour d’animaux, n’oublions pas également les premières peintures dans les grottes préhistoriques qui représentaient les animaux. Ces derniers sont donc liés à notre existence et je trouve, à titre personnel, que c’est plus simple de les dessiner que les humains. Cela ne m’empêche pas d’humaniser les animaux dans certains projets.
FBr : Etant plus jeune, je souhaitais faire de la bande dessinée ou du documentaire animalier, donc même tout petit cela m’est arrivé la nuit de suivre des troupeaux de bétails et de prendre des photos. Du coup, après avoir développé pendant plusieurs années des scénarios d’heroic fantasy, je me suis posé la question sur l’intérêt personnel que j’en tirais. Ces histoires animalières correspondent à ce que j’aime faire.
Quelle est la principale difficulté en tant que scénariste à écrire ce type de récit ?
FBr : La première est de faire accepter ce type de projet car c’est jugé risqué commercialement et il n’y a donc pas vraiment de budget dédié aux BD muettes. En tant que scénariste, écrire ce genre d’histoires c’est possible car on a d’autres projets à côté mais ça n’est pas aussi simple pour le dessinateur, il faut vraiment qu’il puisse prendre le temps nécessaire pour réaliser des planches de qualité avec un impact visuel. Beaucoup d’éditeurs étaient intéressés par Love mais considéraient qu’il y avait un risque, surtout au niveau du rythme car on n’arrive pas à gérer le temps de lecture. Tant que l’album n’est pas fini ou qu’il n’a pas été lu, il est impossible de juger si tout fonctionne. Ce type d’œuvre pourrait se lire en deux minutes, la difficulté ou plutôt le challenge est de rythmer l’histoire avec des temps forts et d’autres plus posés pour casser la lecture.
Et quand on est dessinateur ?
FBe : Non, pour moi c’est peut-être plus facile que pour Frédéric parce qu’encore une fois il n’y a pas de bulles. Il a fait un super travail car son découpage était parfaitement expliqué et je savais où aller. Cela n’empêche pas Frédéric de me dire quand quelque chose cloche dans mes planches et inversement quand je vois une amélioration à apporter au découpage proposé.
Autrefois cataloguées BD d’auteurs ou underground, on sent un nouveau souffle vers les BD muettes mais cette fois accessible au grand public. On pense par exemple à Un Océan d’amour. Pensez-vous que le phénomène va s’accentuer ?
FBr : Je ne pense pas que cela va changer, je ne vois en tout cas aucune raison pour que ça change. Ce n’est pas parce que The Artist a cartonné au cinéma que l’on voit les projets de films muets se multiplier si on doit faire une comparaison avec les BD sans paroles. Il y a toujours eu ce type de récit, je pense à Gon par exemple, mais je ne sais pas si on peut parler de phénomène de mode ou pas. Il y aura forcément d’autres titres de ce genre dans les prochains mois et années mais sans que cela devienne quelque chose de régulier.
FBe : Ces titres-là se vendent bien en librairies car il y a un vrai travail de détails graphiques, contrairement à d’autres albums où le scénario tient une place plus importante que le dessin. Ainsi avec Love et Un océan d’amour, nous offrons la possibilité de lire et relire l’album grâce aux détails présents dans les cases. J’ai distillé dans les cases des clins d’œil et hommages plus ou moins cachés.
FBr : Je pense que le succès qu’ont rencontré Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione et nous-mêmes fait que cela peut ouvrir des portes à certains projets à venir.
Frédéric, vous semblez apprécier les chats, on pense aux séries Chats ! et Kochka. Peut-on imaginer un tome de Love consacré à ce félidé ?
FBr : Je ne pense pas car, autant l’album sur les dinosaures était basé sur le thème de la trahison, celui du lion sur la vie en groupe, plutôt que de penser que l’on va réaliser un album sur les chats, on va plutôt choisir un thème qui peut correspondre à un animal. On avait un projet avec des chats sur les toits de Paris que nous avons présenté à la fin de l’année 2015 mais nous l’avons un peu abandonné pour diverses raisons. Finalement mes idées autour des chats, qui auraient pu être transposées dans un tome de Love, ont abouti avec la série Léonid que dessine Stefano Turconi. De plus, Federico avait dessiné les albums sur le tigre puis le lion, je ne me voyais pas lui proposer de dessiner à nouveau un félidé, pour son confort il fallait trouver autre chose qui permette de casser une certaine monotonie.
D’ailleurs comment choisissez-vous les animaux stars de chaque tome ?
FBr : Cela dépend vraiment des albums mais, en règle générale, c’est assez lent à se mettre en place. Autant pour le premier tome avec le tigre c’était une idée qui a débouché tout de suite sur cette histoire où le thème est un peu la conséquence de ce que l’on est en train de raconter, autant avec le renard non. A la base, après le tigre nous n’avions pas forcément dans l’optique de poursuivre sur d’autres titres, mais après discussion on s’est dit qu’il y avait moyen de faire autre chose. Le fait que ce soient des histoires muettes rend la tâche difficile car le risque est de se répéter, ça explique aussi que l’on prenne le temps avant de travailler sur chaque album afin d’éviter cela. Cette série me tient à cœur et j’aimerais éviter de faire l’album de trop qui viendrait ternir son image.
Dans le dernier tome de la série, vous avez mis en avant les dinosaures, était-ce un rêve de gosse ?
FBr : Non, je ne suis pas un gros fan des dinosaures.
FBe : Pas spécialement, mais grâce à mes enfants j’ai découvert bon nombre de dinosaures qui m’étaient complètement inconnus. L’intérêt pour les dinosaures est assez récent. On s’est dit que ça serait marrant de faire un album sur les dinosaures tout en le faisant de façon bubble gum. Ce quatrième tome ne ressemble pas aux précédents et c’est ce qui me plaît.
En tant que dessinateur, autant sur les autres tomes vous avez pu vous documenter via des photos, autant pour les dinosaures tout repose sur des illustrations. Quelle a été votre source de documentation ?
FBe : Nous nous sommes basés sur les dernières informations connues sur les dinosaures. J’ai regardé des documentaires et des revues scientifiques. D’ailleurs les spécialistes sont nombreux à décrier Jurassic Park d’un point de vue réaliste.
Pouvez-vous nous parler du prochain album de la série ?
FBr : Oui, bien sûr que l’on peut mais ça n’est pas sûr à 100% donc on peut encore partir sur autre chose. Nous sommes très attirés par les fonds marins mais pas seulement. Le sujet a déjà été un peu abordé dans l’album Le Renard mais il y a tellement de choses à raconter sur les fonds marins que nous n’avons que l’embarras du choix, je pense par exemple à la bioluminescence. C’est encore à l’état embryonnaire pour l’instant.
Merci à vous deux d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 28 janvier 2016.
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