
Christian Papazoglakis fait partie des références en matière d’auteur de BD automobile. Fer de lance de la collection Plein Gaz, il a accepté de participer à une interview interactive au cours de laquelle les adhérents de l’association La Ribambulle ont pu lui poser leurs questions. Rencontre.
Bonjour Christian, pouvez-vous commencer par nous parler de votre parcours en tant que dessinateur BD ?
Un parcours plutôt classique, j’avais envie de dessiner et de raconter des histoires depuis à peu près toujours. J’ai commencé par suivre des cours du soir à Bruxelles, donnés par Alain Goffin en continuant une scolarité « généraliste ». Ensuite, une fois qu’il a été clair que je serais incapable de faire autre chose, mes parents ont accepté que je m’inscrive à Saint Luc, à 15 ans, où j’ai terminé mes humanités puis j’ai suivi les cours de BD en supérieur. J’ai ensuite beaucoup galéré, fait des petites choses auto-publiées et indépendantes, pris des boulots dans le graphisme tout en continuant à présenter des projets aux maisons d’éditions, qui n’aboutissaient pas. Ensuite il y a eu ma participation aux albums du Studio Graton, et enfin la possibilité de développer mes propres albums chez Glénat grâce à Frédéric Mangé et à la collection Plein Gaz.
Combien de temps avez-vous travaillé au studio Graton ?
J’ai commencé par faire des petites choses, des détails, un peu de décor sur La Fièvre de Bercy en 1997-98, puis j’ai travaillé comme assistant freelance jusqu’en 2002. J’ai ensuite été « débauché » pour travailler à temps plein sur la restauration du catalogue et sa digitalisation pour les intégrales publiées par Le Lombard, tout en continuant à dessiner sur la série.
Vous qui avez vécu l’aventure au sein du studio Graton, comment vivez-vous aujourd’hui la multiplication des séries automobiles, sans parler des collections dédiées au sujet ?
C’est effectivement étrange. Il faut se souvenir que dans les magazines des années 60 et 70 chaque héros avait sa voiture symbole de réussite et de puissance, la turbo traction de Franquin par exemple. Ensuite, dans les années 80 avec l’apparition d’une contre culture dans (A Suivre), Pilote et Métal Hurlant, la voiture est devenue un symbole ringard de consumérisme et ça a été très mal vu d’aimer dessiner des voitures. Pendant une bonne quinzaine d’années j’ai proposé des dessins de voitures et on me répondait systématiquement que ça n’intéressait personne, qu’il y avait déjà Michel Vaillant sur le marché – qui était une série dépassée et ringarde. Aujourd’hui on me dit que c’est un sujet porteur qui marche tout seul… Je pense qu’on a atteint un seuil où la nostalgie et la réinvention d’un passé idéalisé sont supérieures à l’a priori négatif induit par la voiture dans tout ce qu’elle a de beauf et de cruellement populaire. Mais quand Frédéric a lancé sa collection Plein Gaz je pense que peu de monde chez Glénat pensait que ça pourrait marcher, il a dû imposer son projet contre vents et marées.
Quand et comment vous est venue la passion de dessiner des voitures de course ?
Je dirais plutôt que ça ne m’a jamais quitté plutôt qu’être apparu. J’ai grandi dans un milieu plutôt modeste dans les années 70, avant internet, avec peu de télévision et moins de magazines qu’actuellement, j’ai du coup passé beaucoup de temps à rêvasser en dessinant les choses auxquelles je rêvais, principalement les voitures qu’on arrivait à voir quelques secondes dans l’un ou l’autre feuilleton américain. C’était une façon de me les approprier (avant l’apparition des enregistreurs vidéo). Je me suis beaucoup interrogé sur ma passion quasi pathologique pour les sports mécaniques mais je n’ai pas de réponse précise. Un ensemble de chose qui conjugue forme, bruit, mouvement, performance, le goût du risque, l’évasion… tout ce qui nous sort de l’ambiance très plan plan d’une petite vie de famille telle que je la vivais étant enfant.
Pour revenir au Studio Graton, que vous ont apporté ces années en terme d’expérience ?
Techniquement d’abord ça a été pas mal de boulot, car comme Graton était la référence évidente et bien installée sur le marché du dessin de voitures, j’avais passé toute ma vie à faire quelque chose qui à tout prix serait « autre chose » que ce que faisait Jean Graton, puis du jour au lendemain, on me demandait de faire ce que j’avais à tout prix essayé de ne pas faire ! Ça a donc été enrichissant de devoir travailler d’une façon contre intuitive, ça a complété mon registre, puisqu’à Saint-Luc à l’époque, le réalisme et les techniques réalistes étaient assez mal vues, c’était l’époque de Mattotti, d’Alex Barbier, des américains, de choses très déconstruites. Ensuite quand on est un « intervenant » sur une série, on ne peut pas tricher, quand il y a une vue aérienne avec une perspective insensée au scénario, on ne peut pas s’en sortir avec des trucs comme on en utilise dans sa propre production, des avants plans, des ombres, etc. encore que, on aurait mieux fait souvent de les utiliser, mais c’est un autre débat. Jean Graton enfin est quelqu’un que j’ai découvert et que je respecte beaucoup en tant que personne. Il avait une approche très saine de son travail et un respect de son public que pas mal d’auteurs des générations suivantes n’ont pas.
Vous avez quitté le Studio Graton mais vous continuez malgré tout à travailler en équipe sur le dessin de vos séries. Comment se passe votre collaboration avec Robert Paquet ?
Quand nous avons été « libérés » de nos engagements envers Graton Editeur, on avait l’impression d’avoir un outil de production efficace et bien rodé par des années de travail en commun, et on a décidé de continuer à travailler ensemble et de prendre le risque de se lancer en studio. C’était d’abord dans l’idée de faire des boulots plus commerciaux, mais quand Glénat m’a contacté pour me demander si je voulais participer à la création de leur nouvelle collection, la première chose que j’ai faite a été d’appeler Robert pour qu’on y travaille ensemble. C’était un peu un cadeau empoisonné car Robert est plutôt amateur de médiéval et de fantastique et pas forcément très branché sport automobile à la base. J’ai ensuite aussi contacté Tanja Cinna, que j’avais fait entrer chez Graton comme coloriste et qui est également quelqu’un avec qui j’avais envie de continuer à travailler.
Pour l’album Alpine – le sang bleu, est-ce que Denis Bernard, Robert Paquet et vous-même avez rencontré les différents acteurs, notamment Jacques Cheinisse, les anciens d’Alpine, ouvriers et assistance, les pilotes, etc ?
Denis a rencontré les principaux intervenants, le fils de Jean Rédélé qui gère la collection d’Alpines entreposée dans le garage historique à Paris, où Jean Rédélé avait ses bureaux, il a aussi interrogé Jacques Chenisse et différents anciens d’alpine. J’ai pu rencontrer l’association des anciens d’Alpine à LM Story sur le circuit du Mans, mais l’essentiel des contacts ont été fait par Denis, qui habite en région parisienne et a les bonnes connections, contrairement à nous.
Comment travaillez-vous ? Avec des documentations diverses sur l’automobile, en prenant beaucoup de photos pour ces modèles de voitures ou autre ?
On prend des photos lorsqu’on en a l’occasion sur les circuits, ou grâce à des collectionneurs, mais il faut bien reconnaître que l’essentiel vient d’internet. Je me sers également de modèles en 3D qui peuvent être manipulés dans l’espace virtuel pour préciser les formes et les proportions, et j’achète des modèles réduits de certains modèles redondants. Cela nous permet de travailler le storyboard en toute liberté et d’ensuite avoir les points de vue qui correspondent à la narration, sans être limité par les photos existantes comme c’était le cas avant. J’ai aussi quelques bouquins de références.
Est-ce que cet album sur l’aventure Alpine était quelque chose que vous aviez envie de faire depuis longtemps ?
Pour être honnête, pas vraiment ! Mes goûts personnels vont plutôt du côté des grosses américaines ou des sports protos. C’était une commande de notre éditeur. On savait qu’il y avait une nostalgie autour de la marque et qu’elle allait revenir dans l’actualité, mais j’y allais un peu avec des pieds de plombs à l’idée de faire un album avec une ambition très commerciale, plein de R16 et de messieurs en costumes… Le succès de l’album a été une grosse surprise, on ne s’attendait vraiment pas à un tel engouement.
Après Ayrton Senna, Alpine, Chapman, Harry Octane et prochainement les 24 heures du Mans, quel sujet allez-vous aborder et/ou aimeriez-vous aborder ?
Il n’y en a qu’un de certain pour le moment, c’est une fiction autour des 12h de Sebring 1970, que Steve Mc Queen a failli gagner sur Porsche, et sur lequel je travaille avec Youssef Daoudi, l’auteur de Ring. Il y a beaucoup de sujets passionnants dans l’histoire du sport automobile, je ne sais pas si je devrais citer ceux auxquels on pense déjà, mais outre les fictions, on peut imaginer s’intéresser à la canam, Carroll Shelby, Jim Hall et Chaparral, John Wyer, Pedro et Ricardo Rodriguez, ou traiter des circuits emblématiques, à commencer par Spa-Francorchamps. Les sujets ne manquent pas.
Je ne désespère pas non plus de faire un album sans voitures, pour changer un peu…
Justement, outre les BD automobiles, vous avez également créé des BD en ligne (à découvrir sur le site de l’auteur) qui s’éloignent du sujet, il y a par exemple de la science-fiction. Est-ce juste le moyen de faire une pause avec les voitures ou ambitionnez-vous à plus ou moins long terme de signer de tels projets chez des éditeurs ?
Il y a des choses que j’ai développées à l’époque où tous les éditeurs me répondaient que la voiture ne les intéressaient pas et n’intéresserait jamais personne, et dans lesquelles, fatalement, je m’éloigne du sujet. Mon métier, c’est la bande dessinée, pas la voiture. Donc, oui, si l’occasion se présente, je me sentirais autant à l’aise dans un autre sujet. En tant que lecteur, je suis plutôt amateur de roman graphique et d’histoires dans lesquelles les relations humaines sont développées, et pas tellement amateur de séries franco-belges classiques, ce qui est pourtant devenu mon « gagne pain ». Donc oui, j’ai aussi envie de faire autre chose (ami scénariste, si tu nous lis…), mais il y a actuellement une demande chez Plein Gaz, qui nous occupe pratiquement à temps plein, donc on bat le fer tant qu’il est chaud.
Au vu de votre passion pour les automobiles, pilotez-vous des bolides sur circuits ?
J’adorerais mais comme je l’écrivais plus haut, je viens d’un milieu plutôt modeste et j’ai un métier qui n’est pas vraiment connu pour rapporter… J’ai eu quelques vieilles voitures sympas dans le passé, mais je me fais surtout plaisir à moto, où on peut avoir très vite des sensations sans avoir à y consacrer un budget de PDG. Pour faire une liste un peu plus précise j’ai eu une Opel Monza 2.5i (84 ?) que j’aimais beaucoup, puis dans un moment de folie passagère, une Buick Regal 2.8 (89) parce qu’une Impala était impayable en taxes. Ma compagne avait au même moment une Ford Probe 2.5 V6. Ensuite j’ai eu une Colt XLI 1600 qui était à la fois plus rapide et plus spacieuse que la Buick, et que j’avais peinte en noir mat avec des jantes rouges. Pour le moment je n’ai plus que ma Triumph Tiger. Je ne désespère pas un jour de craquer pour une Corvette ou une Camaro. Je cours aussi « en ligne » avec une ligue de course en ligne, www.liveforspeed.be.
Merci à vous d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Florence Daubry, Stéphane Girardot, Dominique Guerdon et Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 10 septembre 2014.
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