
Il y a un mois, nous l’avions rencontré dans notre librairie pour une séance de dédicaces du Chant du cygne. La BD nous était inconnue : nouvel album, nouvel auteur. Au final, la découverte avait été très agréable avec des discussions à bâtons rompus : Cédric Babouche est aussi bavard que les personnes autour de lui tout en faisant de superbes dédicaces. Il ne restait qu’à lire l’album, son premier tout en couleur avec une histoire à la hauteur. Profitant de sa venue à Angoulême, nous étions ravies de le rencontrer à nouveau pour discuter de la suite dans les coulisses des éditions du Lombard. Nous n’avons pas été déçues, nous espérons que vous non plus. Lecteurs avertis de la Ribambulle, nous vous invitons à partager ce moment avec nous !

© La Ribambulle
Comment a été perçue ta bande dessinée car nous avons entendu dire que certains ont été « choqués » par l’aspect de ton dessin tout en couleurs éclatantes et peut-être jugé léger pour traiter un sujet pareil ?
Le mot « choqué » est un peu fort mais les vieux de la vieille de la bande dessinée pensent que ce genre de dessin n’est pas forcément le plus adéquat pour mettre en valeur un sujet comme la première guerre mondiale. Après, ça ne regarde qu’eux. La référence toute catégorie sur cette période est sans contexte Tardi. Jacques Tardi est d’ailleurs un auteur merveilleux et ses BD aussi. Je n’ai aucune intention de marcher sur ses traces. Ce n’était d’ailleurs pas l’intention non plus de Xavier Dorison et d’Emmanuel Herzet. Nous voulions faire une BD qui traitait de la première guerre mondiale mais avec une approche totalement différente : loin des tranchées, avec une histoire d’hommes qui pour échapper à l’enfer vont traverser le paradis. C’était ça l’idée de base avec malgré tout l’enfer de la guerre toujours présent, les personnages traversant la forêt presque sereine et qu’on sente peu à peu monter la pression, sachant qu’ils sont poursuivis et toujours de la couleur ! Voilà, nous voulions en parler autrement qu’à travers la boue des tranchées et le dessin noir et blanc, sombre.
Mais le personnage antipathique de l’histoire reste vraiment méchant…
Dans le premier tome, il apparaît comme un personnage presque caricatural, de par sa « gueule cassée » et par le fait qu’il ne paraît pas avoir de doute dans sa quête. Dans le tome 2, on va découvrir que c’est un personnage qui a beaucoup plus de profondeur et qu’il a un vécu douloureux, qu’en fait il a une revanche à prendre. Il fonctionne avec des principes d’honneur et de courage. Il les poursuit parce qu’ils ne respectent pas ce code. Il va d’ailleurs évoluer à ce sujet en se rendant compte de son erreur au fur et à mesure du tome 2.
Comme une légitimité dans leur quête ?
Exactement !
Cette idée était prévue dans le scénario de départ ou vous êtes-vous rendus compte que cela allait de soi ?
J’ai fait le tome 1 sans connaître l’histoire dans le détail. J’avais une idée générale sur les deux albums mais sans savoir comment allaient évoluer les personnages.
Après avoir dessiné les personnages pendant un tome, on pourrait presque dire que tu t’es approprié leur vie, et même si tu n’es « que » le dessinateur, as-tu eu ton mot à dire pour le tome 2 ?
Bien sûr ! Je confirme que, même si c’est effectivement ma première BD, j’ai eu les conditions les plus belles qu’un dessinateur puisse avoir : album dans la collection Signé chez Le Lombard et scénario de Xavier Dorison et Emmanuel Herzet. Xavier m’a permis de créer cet album dans un confort de travail idéal et puis bien sûr on se connaissait. On peut dire que nous avons chacun notre rôle : Xavier et Emmanuel sont bien les scénaristes et je reste le dessinateur, mais nous pouvons faire des propositions sur le travail de l’autre sans obligation finale. Ce respect s’est fait très naturellement, ça fonctionne très bien. Sur le deuxième tome, j’ai pris une réelle liberté dès les premières pages. Il va démarrer très fort et ce n’était pas du tout prévu comme ça ! J’avoue que, quand j’ai commencé à lire le scénario, je l’ai trouvé encore meilleur que tout ce que contenait le premier. Mais pour moi j’avais l’impression qu’il manquait ce qui faisait la force du Chant du cygne, l’approche originale de la première guerre mondiale n’y était pas. On y entrait de manière trop classique et, comme j’avais aussi la chance qu’on me laisse utiliser 3 ou 4 planches vides, j’ai commencé à faire le découpage pour y apporter ma touche personnelle. L’espace qu’on m’a accordé n’était pas suffisant et, après en avoir discuté avec Gauthier, mon éditeur, j’ai pu obtenir des espaces supplémentaires. C’est ce qui me plaît dans ce partenariat, cette confiance mutuelle qui permet d’avancer.
Surtout que pour toi qui travaille dans un domaine comme l’animation, la création est indispensable, non ?
Oui. J’ai senti que j’avais besoin de créer quelque chose de plus fort. Du coup, j’ai montré les trois premières planches que j’avais faites à Xavier et finalement qui ont été acceptées. Xavier, lui, voyait plutôt ce passage en une planche environ. Gauthier était d’accord sur mon entrée en matière. Ce que je peux dévoiler, c’est qu’en fait, à la fin du tome 1, on finit sur une planche où on les voit partir à moto, genre très onirique et très poétique, alors que le début du tome 2, c’est complètement l’inverse. On rentre dans quelque chose de très lourd, de très sombre. En fait, on récupère Morvan, le puzzle et les soldats après l’explosion de la station-service. J’avais envie de surprendre, j’avais envie de dire : « voilà, vous avez été habitués à du bucolique et là, ‘bang’, vous n’allez pas vous y attendre mais dès la première planche ça va trancher».
L’aspect très coloré de ton dessin, l’utilisation de l’aquarelle, donne un côté très lumineux à un sujet très dur contrairement à Tardi qui l’annonce avec le noir et blanc d’entrée de jeu. Ton côté lumineux aide à entrer plus facilement dans l’histoire, mais on en ressent la dureté.
Je trouve que justement c’est tout ce qui fait le charme de l’album, de réussir à traiter quelque chose de si dur tout en tant l’abordant par ce biais-là. J’espère qu’on a réussi.
As-tu un projet BD en vue après le tome 2 du Chant des cygne ?
Oui, chez Le Lombard. Ça ne sera, par contre, pas dans la collection Signé. Çà devrait s’appeler Mitsuo. C’est un projet en collaboration avec Jérôme Hamon au scénario qui a fait un manga en deux tomes qui s’appelait Yokozuna chez Kana, sur un sumotori hawaïen qui va apprendre le sumo au Japon. Jérôme m’a présenté ce projet qui raconte l’histoire d’une mère qui va essayer de sauver son fils totalement renfermé sur lui-même après un accident et qui s’est enfermé dans une bulle où il est le héros de son manga préféré. Il vit un monde totalement imaginaire où il peut revoir les personnes qu’il a perdues. Sa mère s’enfuit avec lui à la campagne, son père totalement indifférent à son sort. Il ne comprend pas que le mal de son fils est profond et que sa femme va entrer dans ce monde imaginaire avec lui jusqu’à « presque » la folie. On comprend par la suite que l’enfant a perdu sa sœur jumelle et qu’il peut la rejoindre dans cet univers-là et que finalement la mère, en le rejoignant dans son monde, va la voir également. C’est une forme de folie. Le père fait de son côté tout ce qu’il peut pour retrouver sa femme et son fils. Le destin croisé entre un père et une mère qui vont petit à petit sombrer dans quelque chose d’assez sombre et à l’inverse le fils qui va réussir à s’en sortir et du coup essayer de sauver ses parents.
C’est encore un univers très dur ?
Oui. Il est vrai que tel que je vous le présente, ça a l’air effectivement très dur mais nous allons essayer de le traiter de manière assez « fun ». Nous gardons toujours en tête les films de Hayao Miyazaki comme Porco Rosso où les pirates de l’air sont drôles et le personnage principal est caricaturé, et où l’histoire se révèle plus grave (histoire de l’Italie de l’entre-deux guerres avec un fond de fascisme).
Mais ça serait en format manga ?
Non, c’est un album classique. Un one shot entre 80 et 100 pages. Couleur directe comme Le Chant du cygne avec à peu près la même méthode de couleur – l’aquarelle – et de trait, mais je vais essayer d’autres techniques : plus de blanc dans le papier, rentrer dans l’aquarelle. Le découpage devrait être beaucoup moins classique que Le Chant du cygne. Pour cet album, je dois jongler avec 10 ou 11 cases avec beaucoup de dialogues. Mitsuo sera beaucoup plus dans la contemplation, avec 6 ou 7 cases maximum, des dialogues assez simples, plus basé sur les sentiments. Ça va être un autre exercice de style. C’est un projet à long terme, vers 2017.
On sait que tu aimes aussi avoir des projets à long terme !
Comme vous le savez, je suis aussi réalisateur. Pour moi, ce n’est pas vraiment du long terme et j’aime aussi pouvoir gérer tous les projets en même temps et de la meilleure manière possible. Je ne veux pas découvrir qu’un projet a été moins bien réalisé au détriment d’un autre par faute de temps. Du coup, j’ai été clair avec Le Lombard, un album de 100 pages se fait, à plein temps, en à peu près un an, mais je suis également réalisateur d’une série d’animation jeunesse, Ernest et Célestine, qui commence normalement cet été et sur lequel je dois me concentrer pendant environ six mois en priorité. J’ai donc dit aux éditions du Lombard que je ne pouvais me lancer sur Mitsuo qu’en janvier 2016, même si j’admets qu’il se pourrait que je le termine avant 2017.
Finalement, comment considères-tu ton arrivée dans le monde de la bande dessinée ?
Le fait d’avoir signé aux éditions du Lombard dans la collection Signé avec Xavier Dorison permet d’avoir directement une énorme visibilité ! Après, je peux aussi me lancer quelques fleurs en me disant que j’ai fait un bon travail et que c’est pour ça qu’on me remarque…(rires)
En partant de l’animation, et même si le dessin reste le centre de l’exercice dans les deux cas, tu aurais pu être déçu par la BD ?
Non. Maintenant, j’ai besoin de faire les deux.
Ah ? Tu es contaminé en un seul album ?
C’est-à-dire que je me rends compte que ça fait du bien de passer de l’un à l’autre ! Déjà, d’une part, ça me permet de me renouveler. Par exemple, je me suis toujours considéré comme un mauvais dessinateur de personnage. Je sais les dessiner évidemment mais je suis plus quelqu’un qui travaille sur une image globale, en fait quand je pense à une scène je vois la lumière, la couleur, l’atmosphère, une impression, une sensation, c’est ça qui me conduit au personnage. Dès qu’on sort le personnage de l’atmosphère globale, j’ai l’impression qu’il n’est pas bien dessiné. Pour moi, un personnage ne vit que lorsqu’il est dans un contexte. Du coup, la BD m’a confronté à mes lacunes et ça, j’adore, ça me permet justement de me dépasser et là, Le Chant du cygne, c’est beaucoup de soldats, un gros travail de documentation, un gros travail de caractérialisation sur chaque personnage pour qu’il soit bien reconnaissable et que chacun ait son identité. Du coup, la BD m’a apporté ce plaisir de découvrir, qu’avec du travail, je pouvais aussi bien me débrouiller sur les personnages !
Dans l’animation, vous êtes plusieurs à faire un dessin animé, et là tu te retrouves tout seul !
Oui, dans l’animation, j’ai la double casquette de directeur artistique et de réalisateur. Sur les projets que je réalise, c’est moi qui fais ce qu’on appelle la réalisation artistique, c’est moi qui pose toutes les bases, la création du décor et des personnages. Donc, quelque part, c’est le même type d’exercice mais dans un délai beaucoup plus court. Quand on va faire une bible graphique, c’est-à-dire qu’on va poser tout l’univers, je vais travailler peut-être 3 ou 4 mois sur le projet et après je délègue. Ce n’est pas moi qui vais animer, qui va faire les décors. Du coup, c’est quand même un exercice contraignant, difficile mais extrêmement passionnant. L’animation c’est un travail sur la longueur. Entre le moment où je vais commencer à penser à un concept et le moment où je vais voir mon film, il peut se passer 4 ans. Pour une série, ça peut être 2 ans, 2 ans et demi. Dans la BD, évidemment c’est long, mais on est dans l’instant, c’est-à-dire qu’on fait la planche, la planche est là devant nous. On n’est pas dépendant d’autres artistes travaillant sur le projet. On fait ses planches. Une fois qu’on a fini ses 40, 60 ou 100 planches, elles sont concrètes, et 2 ou 3 mois après, on a le livre. C’est un peu paradoxal, c’est long mais malgré tout on est dans l’instant, on la fait et on a l’objet. Donc, c’est une approche différente sur cet aspect-là mais qui à moi me fait du bien. Il n’y a pas plus frustrant en animation que devoir attendre que les autres mettent en place, livrent pour pouvoir tout regrouper et voir son projet. Alors que là, je fais, je vois, je suis content, je ne suis pas content et je ne peux m’en vouloir dans ce cas qu’à moi-même. C’est en ça que ça me fait aussi du bien… du bien de me dire aussi, aujourd’hui, je vais faire deux planches et à la fin de la journée je sais que j’aurai mes deux planches qui m’attendent.
Est-ce que ça te plairait de faire un album tout seul, avec l’écriture du scénario aussi ?
Oui, j’y pense. J’en ai envie aussi dans l’animation, je pense avec le temps avoir acquis quelques compétences dans l’écriture, à force de suivre différents projets et de lire. Je suis capable de décrypter une arche sur un personnage, sur une histoire. Je pense que c’est quand même un travail qui demande un investissement assez fort à un moment donné. Actuellement, je ne réussirais jamais à trouver le temps de m’investir totalement dans l’écriture. Ça me paraît compliqué. J’ai un autre projet personnel, que je pensais écrire et je me rends compte que j’ai besoin de quelqu’un pour m’aider à coucher le projet. C’est pas mal d’avoir quelqu’un d’extérieur qui va apporter un regard neuf et qui me dira ce qui fonctionne ou pas. Mais ça ne veut pas dire que dans quelques années, dans 10 ou 15 ans, que j’en aurai marre de l’animation ou de la BD, que je n’arrêterai pas complètement pour le faire. J’aurai plus d’expérience et la maturité d’écrire vraiment tout seul. Je sais que j’ai ça au fond de moi qui attend mais ce n’est pas encore le moment.
Que penses-tu des rencontres de tes lecteurs pendant les dédicaces lors de salons ou autres ?
Pour Le Chant du cygne, j’ai fait 3 mois de tournée. Tous les week-ends quasiment, j’étais en dédicace partout en France. On m’avait mis en garde sur le fait que les « fans » pouvaient être intrusifs. Finalement, je n’ai eu aucune mauvaise expérience, il y a toujours quelques balourds mais ça reste bon enfant. Je pense que lorsqu’on est honnête avec les gens, en leur disant carrément qu’on ne peut pas, ça passe mieux. Personnellement, moi, j’adore l’exercice ! Après, j’y suis peut-être allé fort à faire une si grosse tournée, ça m’a bien mis sur les rotules mais aller à la rencontre des gens ça m’a été bénéfique sur plusieurs points. Déjà, ça me permettait d’avoir un retour autre que celui des libraires, de mon éditeur et de la presse. Maintenant, je m’amuse même à demander aux gens ce qu’ils n’ont pas aimé dans l’album. Évidemment, j’ai des retours qui sont totalement subjectifs. Mais c’est surtout sympa d’être au contact des gens, de se rendre compte que son travail plaît, que les gens attendent la suite… Il a quelque chose aussi de non négligeable, à force de faire des dédicaces, et ça je trouve absolument génial, quand je me suis mis sur le tome 2, les personnages coulaient tout seul. Je peux directement encrer dessus sans m’en soucier. La tournée m’a aidé à ça, à encore mieux sentir mes personnages, à être encore plus en contact avec eux.
Merci d’avoir partagé ce moment avec nous.
Propos recueillis par Marie-Claire Del Corte et Florence Daubry
Interview réalisée le 30 janvier 2015
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