Une des sorties les plus attendues au moment de Quai des Bulles était sans conteste celle du dernier album d’Alex Alice, paru aux éditions Rue de Sèvres. Si les fans de l’auteur avait déjà découvert Le Château des étoiles sous forme de journal, de nombreux autres avaient attendu l’édition reliée. Tout près des remparts, à l’endroit même de la naissance de Chateaubriand, nous avons eu l’opportunité de le rencontrer pour discuter de ce projet.
Bonjour ! Le Château des étoiles est un projet qui vous tenait à cœur depuis longtemps. Étaient-ce des références et des influences qui vous tenaient à cœur de retranscrire en BD car c’est assez différent de vos projets d’avant ?
Oui ! Mais en fait, j’ai l’impression que tous mes projets sont différents, c’est vrai que je n’en ai pas fait beaucoup, et je fonctionne vraiment à, comment dirais-je ? à l’inspiration divine (rires). J’ai besoin d’avoir un coup de cœur pour un sujet pour partir dessus, parce que ce sont des années de travail et j’ai besoin de ce moment de conviction absolue de ce que je vais faire. C’est vrai que ce type d’univers me trottait en tête depuis super longtemps. Quand on s’est rencontré avec Xavier Dorison, encore étudiants, on avait évoqué plein de sujets possibles, et un de ces sujets était de partir sur un univers de XIXème siècle, scientifique, de type Jules Verne. Donc, effectivement, ça fait très longtemps que ça me trotte en tête et c’est au moment où j’étais sur La Walkyrie, qui est le deuxième tome de Siegfried, que je me suis dit que j’étais tellement bien dans cet univers, avec ce personnage, que j’allais très vite déprimer si je n’avais rien derrière. Parce que j’étais totalement emporté par cet univers et je me suis dit qu’il fallait que je commence à réfléchir à ce que je ferais après. Et en fait en quelques mois, j’ai eu l’idée. Après ça a mis des années avant de pouvoir m’y mettre. Ce que j’aime bien d’une manière générale – ça m’avait fait pareil pour Siegfried – est que ça me permet d’accumuler de la documentation, les idées et de faire un travail de fond sur l’univers avant de commencer le travail à proprement parler. J’ai eu l’idée en 2008 et depuis je développe, j’accumule la doc, les références, les idées, les envies… tout ça fait que je me retrouve avec une matière à exploiter assez importante.
Uniquement dans les romans ? Il y en a beaucoup qui puisent chez Jules Verne, mais ce n’est pas simple d’avoir une bonne histoire, il faut trouver quelque chose de nouveau, de personnel.
Oui, en fait je suis allé chercher… Bon, Jules Verne c’est le raccourci…
C’est le nom qui regroupe un peu tout ça.
Oui, pour cet imaginaire scientifique : aventure, exploration, etc.
Un peu de fantaisie ?
C’est vrai, mais je suis allé beaucoup chercher dans la réalité de l’époque, au niveau visuel, sur des lieux qui existent vraiment et puis dans l’état de la science de l’époque. Je me suis vraiment mis au diapason, j’ai essayé en tout cas, de ce qui était présent à l’esprit du XIXème siècle, la science, le progrès.
Et après pour en faire une histoire personnelle, pour regrouper toutes ces informations, pour trier, ça a été long aussi ?
Disons que j’ai eu le déclic, je voulais faire cette histoire de découverte de l’espace au XIXème siècle parce qu’essentiellement je trouvais fascinant cette idée qu’on retrouve chez Jules Verne de cosmonaute en costume trois pièces avec un haut forme et cet esprit de découverte. Je ne sais pas exactement ce qui est fascinant là-dedans, mais ça se résume effectivement à ces images du type qui monte dans l’espace dans un compartiment molletonné, avec les sièges bien confortables et un cigare.
C’est ce qu’on voit quand ils arrivent au château et qu’on leur explique tout ce qu’il y aura dans les trois étages.
Oui, c’est effectivement comme ça qu’on conçoit les choses à l’époque. Si on avait construit un astronef en ce temps-là, on aurait mis tout ça, de la même manière lorsqu’on partait en expédition en Afrique, on s’habillait « convenablement ». ça c’est pour l’univers, mais je n’avais pas d’histoire jusqu’à ce que j’intègre le personnage de Louis II de Bavière, qui me fascine depuis longtemps et sur lequel j’avais envie de faire quelque chose. Et un jour le lien s’est fait, je me suis dit : « mais oui, s’il y a la conquête de l’espace au XIXème siècle, je dois commencer par Louis II de Bavière ». Et du coup, comme on est dans un programme spatial au pied des Alpes, il y a aussi un rappel à Tintin.
Et graphiquement, c’était pareil, vous vouliez tester des choses un petit peu différentes ?
Ma volonté n’était pas forcément de faire différent mais de m’adapter au récit. C’est vrai, je voulais quelque chose qui évoque un univers plus merveilleux que ce que je faisais techniquement auparavant où j’étais sur contraintes différents. Là il y a aussi des contraintes mais je suis très libéré au niveau des atmosphères et c’est ce que j’avais envie de retrouver, une atmosphère légère, un peu vaporeuse.
Vous avez travaillé avec d’autres personnes pour les décors ou la conception ?
J’ai un assistant, Anthony Simon, qui m’aide sur la conception/construction des perspectives, c’est quelque chose que beaucoup de gens font par ordinateur maintenant, Moi, je profite de travailler avec Anthony pour gagner beaucoup de temps sur des choses assez fastidieuses et puis, pour la publication des journaux, je suis content d’avoir la collaboration d’Alex Nikolavitch qui écrit les authentiques textes d’époque qu’on retrouve à la fin et qui permettent de compléter l’univers. C’est un régal. L’univers existe en dehors de la bande dessinée.
Et ça, c’était aussi une idée de départ de vouloir apporter le côté feuilleton, journal de l’époque ?
Oui oui, assez vite on a su qu’il fallait faire ça, ça s’y prêtait. Ça a déjà été fait sur des albums de Tardi, j’avais trouvé l’idée géniale et je me suis dit que c’était le moment de la reprendre et il se trouve que c’est mon éditrice, Nadia Gilbert, qui avait eu l’idée de faire les feuilletons de Tardi. Quand je lui ai proposé de faire un feuilleton pour Le Château des étoiles, elle m’a répondu « Oui, bien sûr ! ».
C’est un avantage !
C’est un hasard, et je me suis dit que ça fait partie des choses qui montraient qu’on allait s’entendre.
L’album en lui-même est décliné en 2 formats. C’est quelque chose que vous vouliez ou c’est l’éditeur qui en a eu l’envie ?
En fait, j’aime bien les grands formats et le fait est que, quand l’éditeur a vu le journal arrivé en grand format, tout le monde là-bas s’est dit que ce serait bien le sortir en cartonné. Donc effectivement, je suis content. (rires)
Contrairement à vos autres BD, celle-ci s’adresse plus aux 7-77 ans malgré quelques complexités dans l’histoire ?
Je dirais plus de 8 à 88 ans !
Aviez-vous déjà écrit pour un jeune public ?
C’est la première fois et, là aussi, c’est le sujet qui a dicté la chose dans le sens où c’est le type de récit que j’ai découvert à cet âge-là, entre 8 et 12 ans. J’avais envie que des enfants de cet âge-là puissent avoir le plaisir de rentrer dans ce type d’univers. Quelque part, j’avais envie d’avoir la possibilité de transmettre le rêve, de faire lire à mes neveux et nièces et qu’ils y retrouvent le plaisir que j’ai eu sur ce type de lecture.
C’est pour ça qu’il y a des personnages assez jeunes, avec des bouilles « manga » ? Pour les impliquer ?
Là aussi, ça m’est venu naturellement. Il y a des héros adultes et des héros enfantins. Un double casting !
Il y a le coté de la science et celui du rêve qui diffèrent du monde adulte et enfantin ?
Et encore dans chaque groupe, il y a un peu des deux. Dans ce style de récit, il n’y a pas que l’influence de Jules Verne, il y a aussi mes propres influences car j’ai un souvenir extraordinaire d’un dessin animé qui s’appelait Les Mystérieuses Cités d’Or auquel j’ai pas mal pensé en faisant cette histoire. Le personnage enfantin, c’est une très bonne manière d’entrer dans un univers, car par définition, c’est quelqu’un qui n’a pas toutes les clés et ça permet de rentrer avec lui. Donc, j’ai eu très vite envie de faire un personnage enfant au centre du récit. Puis un petit groupe s’est interposé et le fait d’avoir des interactions entre les enfants, c’est formidable.
C’est vrai qu’en comparant aux Cités d’Or, on retrouve un peu les mêmes personnages enfantins : celui qui aime la science, ou celui qui est plus aventurier…
… et une fille que j’espère moins « cruche » que Zia ! (rires)
Lecteur aussi de BD, est-ce qu’elles sont influentes dans votre travail ?
J’adore la BD, c’est pour ça que j’en fais. Il y a des moments où j’en lis un peu moins quand j’ai envie d’être dans mon truc mais c’est très rare, car la plupart du temps je lis de la BD, j’en lis par plaisir et aussi parce que je trouve ça stimulant quand je vois que mes camarades font des choses incroyables !
Ça permet de voir où en est la tendance ?
Oui, il y a un progrès, une histoire de la BD. Les choses ne sont pas figées. Les dessinateurs inventent des formes, des rythmes nouveaux… Je suis régulièrement épaté par des idées que ce soit au niveau du dessin, du dialogue, de la narration. Bref, pour moi, ce serait impensable de ne pas lire, non seulement par plaisir parce que j’adore ça, et en plus de ne pas me tenir au courant de ce qui se fait.
C’est intéressant parce que ce n’est pas quelque chose que vous regardez consciemment, il y a des idées qui se mélangent…
C’est vrai au niveau du rythme, mais ça c’est mon obsession depuis quelques années car je pense que le cœur, le langage BD propre à chaque auteur, c’est dans le rythme, le choix de moment : combien de cases on va donner à une action, quel moment précis on va présenter et comment on rythme le dialogue. C’est quelque chose d’assez fin et spécifique à la BD. Ce n’est pas forcément quelque chose qu’on remarque immédiatement mais inconsciemment, à mon avis, ça fait quasiment tout. Une histoire ou un gag très pourri, s’il est bien rythmé, sera drôle. C’est une grande partie du langage de l’auteur, et il est pour ainsi dire invisible.
C’est donc un diptyque. Vu le futur succès du Château des étoiles, envisagez-vous une suite possible, dans un monde parallèle ?
En effet, cette histoire se termine au tome 2 mais la fin sera ouverte et il y aura possibilité pour moi et le lecteur, j’espère, d’y revenir si j’en ai la possibilité.
En tout cas, on le souhaite. Il y a des bons retours.
Oui, pour l’instant, j’avoue que je suis content. C’est vrai que c’est chouette de voir ce rêve partagé, surtout après des années de travail.
Surtout qu’il y a eu les journaux avant, avec une rupture du n°1, ça permet déjà d’avoir un petit peu de retour avant l’album.
Ce qui me fait surtout plaisir, parce que c’était parmi les défis et le nombre de choses que j’avais envie de faire avec cet album, est qu’il y avait effectivement le fait de s’adresser à un public large en termes d’âge. Je ne sais pas après si ça sera le cas pour tout le monde, mais je connais déjà des parents qui l’ont partagé avec leurs enfants. En effet, l’histoire ne prend pas les enfants pour des idiots… Dans le défi de faire quelque chose d’accessible aux enfants, ce qui était aussi super important pour moi était de rien couper des complexités du récit, mais d’amener les choses de manière attrayante. Réunir des lecteurs de différentes générations, c’est génial !
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Florence Daubry et Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 12 octobre 2014.
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