Avec The Time Before, Cyril Bonin signe l’une des très bonnes surprises de l’année 2016 et, info de dernière minute, une adaptation au cinéma est en préparation ! L’auteur propose une histoire fluide et captivante mettant en scène un photographe qui a la possibilité de revenir en arrière dans le temps pour se faciliter – du moins espère-t-il – l’existence. La Ribambulle l’a rencontré à Quai des Bulles. Il évoque également ses autres séries et notamment l’adaptation du roman de David Foenkinos, La Délicatesse.
Bonjour Cyril et merci d’avoir accepté de nous répondre. Vous avez déclaré que vous utilisiez le voyage dans le temps dans cet album pour essayer d’aborder un sujet plus central qui est la recherche de la vie parfaite. Quelles ont été vos inspirations pour cette histoire ?
À la base, mon idée était de parler des choix, des choix dans la vie, et de l’envie de mener une vie parfaite qui peut certainement traverser l’esprit de chacun de nous. J’avais écrit un premier scénario pas du tout fantastique où le personnage essayait de mener une vie parfaite, n’y arrivait pas, et devenait quasiment fou. C’était une histoire assez pessimiste, assez lourde, donc j’ai laissé ce scénario de côté. Mais, l’idée revenant régulièrement dans mon esprit, je me suis dit, finalement : quel serait le bon moyen de mener une vie parfaite ? Eh bien ce serait d’avoir le pouvoir de revenir en arrière dans le temps, sauf que le thème du temps a déjà été largement traité, en littérature, dans le cinéma, etc. Donc ça m’a fait un peu peur au départ, et finalement j’ai fait le tour de ce que je connaissais, en me disant « il faut que j’évite ceci ou cela », et je n’avais pas envie que le thème du temps soit trop perturbant, compliqué à suivre. Il fallait un moyen simple de faire ses allers retours dans le temps, c’est pour ça que j’ai choisi un talisman plutôt qu’une mécanique complexe…
C’est vrai que souvent, en lisant les histoires de ce type, on n’arrive plus à suivre au bout d’un moment…
Oui, et je voulais aussi éviter tout ce qui est paradoxe temporel, je tue mon grand-père donc je ne peux pas exister moi-même, je suis mon propre père, j’épouse ma mère, etc. L’idée étant de se concentrer sur ce personnage de Walter Benedict, qui a la possibilité de revenir en arrière dans le temps afin d’éviter les mauvais choix et les accidents de parcours.
Pour les besoins de l’histoire, il y a plusieurs retours en arrière dans le scénario. C’est un jeu pour le dessinateur, voire un défi, on imagine, d’éviter de répéter les cadrages…
C’était très amusant à faire pour moi mais je me demandais plutôt comment les lecteurs allaient le percevoir. Il semblerait que ça passe plutôt bien (rires). Pour moi, il y avait un côté ludique à revenir en arrière, à retrouver certaines scènes, parfois quasiment à l’image près avec un petit détail qui change. Par exemple, quand le personnage principal va la première fois chez ses beaux-parents, il a une canne, il boite, il amène juste un bouquet de fleurs. La deuxième fois, il n’a plus de canne et il offre une bouteille de vin. Dans d’autres scènes, les changements sont plus grands. C’était un jeu amusant…
Le plus audacieux était de revenir parfois plusieurs mois en arrière…
Oui, il fallait à la fois que ce soit différent et qu’il y ait des points communs pour que le lecteur s’y retrouve et se dise « ah oui, on est sur la même période de temps ». La rencontre, la journée de Noël, le mariage, une séance de photos, il y a des points de repères ; on peut comparer toutes ces scènes et voir les différences d’attitude des personnages et la manière dont les événements se déroulent.
Vous avez certainement dû vous imposer des limites car c’est une histoire qui ouvrait le champ de tous les possibles…
C’est rigolo parce que ça rejoint la thématique de l’histoire, c’est-à-dire que choisir, c’est renoncer. C’est une des morales possibles de l’histoire, et c’est également ce qui m’est arrivé au moment de l’écriture du scénario. Effectivement il y avait pas mal d’idées et il a fallu faire une sélection.
De notre point de vue c’est une vraie réussite, et l’album fait partie de nos préférés de l’année 2016. Comment les lecteurs réagissent lorsque vous les croisez ?
En général les lecteurs qui viennent en dédicace sont des lecteurs contents (rires), donc ça va. Ce qui est intéressant c’est qu’à chaque fois ça suscite des réflexions, des références. Le sujet a été beaucoup abordé, on l’a dit, et mes connaissances ne sont pas exhaustives, loin de là, donc les échanges autour de la thématique du temps sont intéressants. Chacun y va de son avis.
Votre idée était de faire en un seul tome depuis le début, de ne pas prolonger l’histoire indéfiniment ? Ou bien avez-vous été tenté d’aborder plusieurs époques, ou de réaliser plusieurs albums présentant différemment la même histoire ?
Disons que la tentation de donner une suite reste présente.
La fin étant assez ouverte…
Bien sûr, et puis le talisman qui permet de voyager dans le temps existe toujours. Il peut être transmis, soit aux mêmes personnages, soit à d’autres. Maintenant, la seule chose qui me retient de faire une suite, c’est qu’il faut qu’elle apporte quelque chose de nouveau, non seulement en termes de contenu, de scène, d’action, mais également au niveau du fond. Il faut qu’on sorte de l’album avec de nouvelles questions, une nouvelle morale, entre guillemets. Si c’est pour arriver à la même conclusion ça ne sert à rien.
La fin de cet album-là est d’ailleurs assez ambiguë. Le personnage croit en la théorie du mathématicien et se dit que tout va bien se passer quand son père va repartir, mais on n’en est pas si sûrs. Et les dernières cases ont un aspect inquiétant et entretiennent le suspense. C’est presque un cliffhanger… Le happy-end est quoiqu’il en soit relatif…
Exactement puisque le personnage principal, déjà, n’a plus le talisman, et prend le risque de vivre sa vie sans filet. De plus, il n’est pas complètement sûr, en effet, que la théorie mathématique fonctionne. Mais… bon (sourire).
Vous vous êtes plongés, justement, dans les théories scientifiques qui existent à ce sujet ?
Un petit peu, oui. Celle que je mets en scène dans l’histoire – le beau-frère du héros parle de ses recherches – est inspiré d’un mathématicien allemand d’origine russe qui s’appelle Georg Cantor. Selon lui, il existe plusieurs infinis. Si l’on prend l’exemple des nombres entiers (1, 2, 3, 4, 5, etc.), c’est un ensemble infini de nombres, mais si on prend une partie de cet ensemble, par exemple les nombres pairs (2, 4, 6, 8, etc.), c’est également un ensemble infini, et ces deux ensembles sont égaux. Il y a autant, finalement, d’éléments dans un ensemble que dans l’autre. Après, il existe aussi des infinis plus grands, par exemple l’ensemble des nombres réels qui comporte des nombres qui ne sont pas dans les entiers, comme Pi ou Racine de 2. Je trouvais cette théorie qu’il existe une infinité d’infinis assez vertigineuse. Le principe du voyage dans le temps dans cet album, c’est que chaque retour en arrière de Walter ouvre une nouvelle porte, et il y a des temporalités parallèles infinies. Les autres continuent d’exister. J’ai découvert aussi la théorie de l’univers bloc, qui dit qu’en fait le passé, le présent, et le futur, existent, et que c’est nous et notre manière d’appréhender la réalité par notre conscience qui nous déplaçons dans cette temporalité. Finalement, ce qui m’a inspiré, c’est que tous les passés coexistent, tous les présents coexistent, et les futurs aussi. L’album met en scène cela.
De quoi, avec un peu d’imagination, développer une série infinie… En attendant, vous venez de terminer l’adaptation d’un roman à succès, La Délicatesse. Est-ce que la manière de travailler est radicalement différente ?
Non, pas très. Je dirais qu’une des premières difficultés quand je crée une histoire est de choisir parmi les différentes idées, la plus mûre, la plus pertinente. Là je n’ai pas eu ce travail à faire et, en lisant le livre, j’ai tout de suite voulu l’adapter…
Qu’est-ce qui vous en a donné envie au départ ?
J’ai découvert le roman en lisant la quatrième de couverture, qui m’a tout de suite séduit, car c’est l’extrait où l’héroïne rencontre celui qui va devenir son mari. Ce dernier, alors qu’ils sont dans un café, se dit, « si elle commande un café, non c’est trop banal, si elle commande un thé, ça sent déjà les dimanches en famille ennuyeux, en revanche si elle prend un jus d’abricot je l’épouse » ! C’est tout à fait le genre de réflexions que j’avais quand j’étais adolescent, en fait, à me projeter comme ça sur des petits détails.
Vous avez adapté ça tout seul ou bien vous avez eu des contacts avec le romancier ?
J’ai juste contacté David Foenkinos pour lui faire part de mon projet et lui demander son autorisation. À partir du moment où il a accepté, il m’a dit qu’il me faisait entière confiance et j’ai travaillé seul.
Carte blanche, donc…
Oui. Je lui ai envoyé après au fur et à mesure quelques planches pour lui montrer, et il m’a laissé carte blanche jusqu’au bout. De toute façon je n’aurais pas pu travailler dans d’autres conditions (rires).
En plus de cette adaptation et de The Time Before, vous avez également publié Amorostasia chez Futuropolis (le troisième tome, qui terminera l’histoire, devrait sortir au milieu de l’année 2017). Le rapport amoureux est au centre de votre œuvre, finalement… Il a un fort potentiel d’histoires ?
Je ne réfléchis pas en termes de potentiel, c’est simplement un sujet qui m’intéresse. Dans la vie, et dans les histoires, on peut avoir différentes motivations, comme l’argent, le pouvoir et la gloire, mais j’ai tendance à croire que l’amour l’emporte sur tous les autres. Quelqu’un qui est sur le point d’atteindre la gloire ou la richesse cédera devant le sentiment amoureux (rires). Dans Amorostasia, le thème du sentiment amoureux est vraiment central. Une épidémie se répand dans Paris puis le reste de la France et du monde, ne touchant que les personnes amoureuses. Cela crée des situations paradoxales avec, d’un côté les gens qui ont peur de se pétrifier puisque c’est l’effet de l’épidémie, et de l’autre côté les gens qui sont en couple et se demandent pourquoi ils ne sont pas touchés par la maladie.
Pourquoi le choix du noir et blanc avec cette série, quand vous utilisez la couleur pour d’autres ?
En fait c’est une histoire qui se passe de nos jours, et j’ai eu un peu de mal à me faire à l’idée de travailler sur notre époque, qui ne me fait pas beaucoup rêver, je l’avoue. La travailler en noir et blanc était un moyen de la rendre un peu intemporelle, et j’ai l’impression qu’en lisant l’album, on a le sentiment de voir un vieux film, ce qui enlève un peu le côté contemporain. Mais l’histoire est très contemporaine, je n’aurais pas pu aborder certaines réflexions, notamment scientifiques, dans un autre contexte historique.
On attend donc la fin d’Amorostasia et, peut-être, qui sait un jour, une suite à The Time Before !
Voilà ! Il y a des idées, j’en aurais bien l’envie, mais il faut que je trouve une question de fond nouvelle à explorer.
Merci beaucoup, Cyril, et bonne continuation !
Merci à vous.
Propos recueillis par Nicolas Raduget et Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 28 octobre 2016.
Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent être utilisées sans leur accord.
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Cyril Bonin”