Nous avons eu l’occasion de rencontrer, lors du FIBD d’Angoulême 2016, l’auteur de Riposte, paru chez Scutella Éditions. Dan Christensen, artiste américain vivant en France depuis de nombreuses années, nous livre les clefs de la genèse de ce one-shot très abouti.
Bonjour Dan, merci de nous recevoir aujourd’hui. Pouvez-vous nous parler de l’origine de votre projet Riposte ?
Je fais de l’escrime depuis l’âge de 16 ans environ, et c’est vraiment un sport voire un art qui me passionne. Pendant très longtemps, je cherchais des livres ou plutôt des bandes dessinées qui parlaient de l’escrime, et il n’y en avait pas. Un jour, quelqu’un m’a dit que je devrais faire le genre de bande dessinée que j’aimerais lire. Et je me suis dit: oui, c’est ce que je vais faire. Donc le projet a mûri dans ma tête pendant un long moment, et j’ai fini par trouver un personnage qui me plaisait bien. Je me suis inspiré d’un escrimeur italien qui a vécu à la fin du siècle dernier et qui s’appelait Aldo Nadi. C’était vraiment l’un des meilleurs escrimeurs de l’époque. Il a gagné un grand nombre de titres internationaux et il était extrêmement reconnu par rapport à l’escrime, sauf qu’humainement parlant, il était méprisant envers les gens et assez désagréable. Voilà, je me suis dit que ce serait assez intéressant de faire un personnage antipathique, mais dont on a quand même envie de connaître le point de vue, et de vouloir comprendre pourquoi il est comme ça. J’ai remarqué aussi que, dans le monde l’escrime, il y a beaucoup de fortes têtes, de fortes personnalités. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a pas mal de gens à l’ego surdimensionné ou même juste au caractère entier, et ils ont une façon de penser qu’ils défendent bien, mais par contre ils marchent sur les pieds des gens et ça ne leur pose pas de problème.
Est-ce que ce ne serait pas lié au caractère individuel de ce sport ?
Je pense, oui, que quelque part cela y est pour quelque chose. Enfin, pour ma part en tout cas, ayant grandi aux États-Unis, et ayant fait beaucoup de sports d’équipe durant mes études (basket, base-ball, volley…), je n’étais pas à l’aise… enfin j’étais nul ! D’abord, je n’avais pas l’esprit d’équipe, et en plus j’étais maladroit. Comme je n’arrivais pas à faire ça bien, à chaque fois que l’on perdait un match, je m’en voulais. Alors après, je me suis dit que j’allais arrêter les sports d’équipe et que j’allais faire quelque chose comme l’escrime. Comme ça, que j’échoue ou que je réussisse, je ne pourrais en vouloir qu’à moi-même. J’ai alors découvert un club d’escrime et c’est ce que je fais depuis. J’adore et cela me passionne, et grâce à cela je me suis mis à l’écriture et au dessin de cette histoire.
Et pourquoi avoir choisi cette époque-là en particulier ?
Cette époque m’intéresse énormément car j’adorais les films noirs des années 40 de Hitchcock, ou avec Robert Mitchum ou Rita Hayworth, ou même encore des films de Humphrey Bogart avec des détectives privés en noir et blanc. Enfin, c’est surtout les polars, les détectives avec leurs manteaux et leurs chapeaux feutre que j’adore. Cela me parle beaucoup. Je voulais situer mon histoire là-dedans, dans le milieu du cinéma de cape et d’épée à Hollywood, dans les années 40. Reprendre les codes du polar et du film noir, et retransmettre tout cela à ma façon.
C’est pour cela aussi le choix de la bichromie ?
Au départ, tout le livre devait paraître en noir et blanc et puis bleu, comme sur la couverture. Après, en regardant bien avec Soline Scutella, l’éditrice, on s’est dit que l’on voulait rendre hommage au polar noir, aux films noirs de l’époque, et même si cela aurait pu être beau avec cette couleur, l’histoire serait mieux servie par un traitement en noir et blanc ou plutôt en niveaux de gris. On a donc décidé de faire comme ça et puis finalement, on n’est pas mécontents et cela colle mieux à l’idée que j’avais au départ.
Et donc effectivement, les influences relèvent de films des années 40…
Tout à fait, c’est surtout à l’époque où je faisais l’album que cet univers noir, parfois un peu poisseux, sombre et assez mafieux m’intéressait le plus. Il y avait toujours un côté italien, avec des hommes de main, des inconnus qui tabassaient le héros… Un film noir où le héros ne se fait pas tabasser au moins une fois, ce n’est pas un film noir ! (Rires)
Par rapport à l’escrime, comment avez-vous fait pour travailler sur le mouvement ?
Eh bien, comme je pratique ce sport, j’ai de la documentation, beaucoup de livres sur le sujet. Mon fils aîné en faisait également donc j’assistais à l’entraînement. Je restais dans les gradins, et je dessinais les escrimeurs pendant qu’ils travaillaient. Je suis devenu ami avec des maîtres d’armes à La Rochelle, où j’habite, et je leur ai demandé des conseils ainsi qu’à des camarades avec qui je pratiquais. J’ai pu les dessiner en train de donner des leçons aux élèves. J’ai rempli de nombreuses pages de mon carnet de croquis avec des escrimeurs, et voilà. Mais j’ai surtout beaucoup assisté à des entraînements.
Comment avez-vous travaillé ?
J’ai d’abord trouvé le personnage principal et ensuite l’histoire. Après, j’ai trouvé l’élément déclencheur et j’ai rempli ce fameux carnet de croquis avec des dessins de protagonistes. Je crois que j’avais déjà une bonne idée en tête de leur aspect physique, et je m’y suis mis. J’ai envoyé les 20 premières planches aux maisons d’éditions, mais pour diverses raisons – il y en avait qui aimaient bien le dessin mais pas l’histoire ou cela ne collait pas dans leur catalogue – j’ai essuyé pas mal de refus. Mais lorsque j’ai envoyé mon dossier aux éditions Scutella, l’éditrice a été tout de suite emballée par le projet et on a signé.
À ce jour, quels sont vos autres projets ?
Je travaille sur la suite d’un livre qui est sorti aux États-Unis en 2014 et qui s’appelle Archer Coe. C’est une série, et je suis en train de réaliser le tome 2. En parallèle, je fais de la traduction pour les éditions Ankama. Je traduis du français vers l’anglais, pour le marché américain et j’ai un certain nombre d’ouvrages à traduire pour eux d’ici la fin de l’année. Donc je reste bien occupé. Mais Riposte sera vraiment un one-shot, sans suite, un récit complet en un seul tome.
Avez-vous toujours des projets autour de votre passion qu’est l’escrime ?
Je pense que j’ai dit tout ce que j’avais à dire et je ne pense pas que je pourrais revenir là-dessus. J’ai vraiment fait le tour de la question, j’ai mis tout ce que j’avais envie de mettre dans cet album-là, et je ne pense pas que je pourrais rajouter quelque chose même si j’adore toujours l’escrime.
D’autres projets en vue avec les éditions Scutella ?
Ah… on va voir. Peut-être pour Archer Coe, qui n’est pas encore sorti en France, uniquement aux États-Unis pour le moment. C’est en noir et blanc aussi, mais cela frôle plus avec le surnaturel et le paranormal, un univers qui me parle également. Mais cela reste quand même ancré dans le monde des polars noirs des années 40/50.
Merci, Dan, alors on espère à bientôt pour vos nouveaux projets.
Propos recueillis par Sophie André.
Interview réalisée le 30 janvier 2016.
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