Titre : Volume 1
Scénariste – Dessinateur : Suehiro Maruo
Éditeur : Casterman
Collection : Sakka
Parution : Février 2021
Prix : 22€
Japon, années 30. Un soir d’hiver, Masaé abandonne ses jumeaux qui n’ont pas encore un an sans prendre le temps de leur donner un nom. Pour avoir bonne conscience, elle les confie à son frère avant de prendre le train qui la mène vers une nouvelle vie. Chez cet oncle, qui décide de les appeler Miso et Shôgu, frère et sœur vont être maltraités par les adultes, qui considèrent qu’ils ont moins de valeur que les vers à soie qu’ils élèvent, et martyrisés par les enfants. Après quelques années, suite à l’apparition de marques sur leurs corps, les jumeaux sont de nouveau abandonnés. Enfin, ils sont vendus sans scrupule par leur famille à un cirque du quartier d’Asakusa, situé au nord de Tokyo, où ils vont grandir au sein d’une nouvelle cellule familiale bien particulière et étrange, composée de freaks, mais chaleureuse. Ainsi, Shin, l’enfant-ours, Élise, la créature aux huit tentacules, Saburô Nagoya, le shôgun à deux têtes, les nabots Ken et Masa, Kakashi et grande sœur Kim accueillent avec bienveillance les orphelins, rebaptisés Tomino et Katan pour la scène. Cependant, tous subissent l’obsession de leur patron, Herbert Wang, pour l’argent qui le mène à prendre des décisions toujours plus sordides et signes de nouvelles séparations.
Lorsque la beauté du trait véhicule autant d’horreur, de malaisance et de grand-guignolesque, c’est que le bien nommé Marquis du manga, Suehiro Maruo, est à l’œuvre. Pour ceux qui connaissent sa production, une proximité assumée et réelle peut être trouvée entre Tomino la maudite et La Jeune fille aux camélias (publié en France en 2005 par les éditions IMHO) qui est une vision ero-guro (érotico-grotesque) – il en est considéré comme le maître au Japon – du film Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning. En effet, l’auteur n’ayant pu écrire et dessiner tout ce qu’il souhaitait à l’époque, est venu combler ce vide avec cette nouvelle histoire qui flirte également avec cet univers et puise dans de nombreuses autres références. Pré-publiée en chapitre dans le mensuel très pointu Comic Beam de mars 2014 à juin 2016 (avec des interruptions), le lecteur retrouvera l’esprit des poupées de Bellmer et celui des freaks à travers Élise, mais aussi la ressemblance iconique au tableau Elle de Gustav-Adolf Mossa lorsqu’elle est la Princesse du culte malsain créé par Wang. Des hommages à Charlie Chaplin, à L’Île aux morts d’Arnold Böcklin et bien d’autres encore sont parsemés dans ce magnifique pavé de 315 pages dont la maquette est particulièrement soignée et rend parfaitement hommage à son contenu mais surtout à l’auteur. L’œuvre se dévore littéralement car elle est empreinte d’émotions diverses qui ne laissent pas le lecteur indifférent. L’apprentissage de la vie des jumeaux, l’amitié développée avec les membres de la troupe, cette mère qui, une fois devenue célèbre et riche, cherche à retrouver ses enfants, les sales magouilles de Wang et le reste sont autant d’éléments qui rendent ce seinen absolument passionnant. Bien sûr, il y a ce graphisme tellement élégant et expressif qui marque les esprits. Et ce d’autant plus lorsque l’on sait que l’illustrateur travaille sans aucun assistant et peut passer deux jours sur une planche pour un rendu des plus détaillés. En fin de recueil sied une interview datant de 2013 réalisée par Atsushi Kaneko (Deathco) pour le numéro 2 de la revue Kaboom. On y apprend notamment que l’enfant terrible du manga ne serait pas devenu mangaka sans Suehiro Maruo. Cela ne nous surprend nullement !
Une pépite tout autant qu’un ovni, Tomino la maudite est à découvrir sans faute. #ModeFanAbsoluOn.
Stéphane Girardot
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