Avec Le Petit Mozart, William Augel signe sa première bande dessinée chez la Boîte à Bulles. Dans le cadre du festival Quai des Bulles, il revient avec nous sur la genèse du projet et la manière dont il s’est documenté… avec une bonne humeur contagieuse !
Vous publiez beaucoup chez Jarjille. Pourquoi cette infidélité boîte à bullienne ?
(Rires) Peut-être que je produis beaucoup. J’ai sorti quatre bandes dessinées en l’espace de dix mois, en fait. Et cette bande dessinée, est-ce qu’elle rentrait vraiment… pas dans le catalogue de Jarjille, j’ai envie de dire… mais est-ce qu’elle… C’est pas évident de répondre à votre question (rires), ça, le pourquoi du comment. Pourquoi je l’ai sortie ici ? En fait, pour changer, déjà, et puis c’est vrai que par rapport aux livres que j’ai l’habitude de sortir chez Jarjille, il est un peu différent dans le ton. Même si c’est toujours une bande dessinée d’humour, l’humour n’est peut-être pas tout à fait le même en fait parce que, pour la première fois, je suis parti d’un personnage qui a vraiment existé. Et puis, surtout, c’est la première fois que j’écris les histoires autour d’un personnage et pas l’inverse. La plupart du temps, je mets mes personnages au service d’un gag et là, c’était vraiment l’inverse. Il fallait que je le tienne, mon personnage, c’était vraiment ça, la principale chose, avec Le Petit Mozart. Il ne ressemble pas forcément à ce qu’il était – c’était une personne ultrasensible, d’après les témoignages – moi je lui ai donné aussi une certaine sensibilité, en tout cas une personnalité, ce qui fait qu’en fait, il est… Ma réponse est longue et même à côté de la question (rires) mais en fait, où est-ce que j’en étais… j’avais des idées de gags avec lui mais j’ai dû en mettre à la poubelle… c’était un vrai crève-cœur, parfois.
Pourquoi ?
Parce qu’il ne pouvait soit pas dire ça ou soit pas le faire, en fait.
Donc vous vous êtes auto-censuré.
Oui, voilà, vraiment. Et c’était vraiment parfois un crève-cœur de se dire « non, je ne vais quand même pas la mettre à la poubelle, cette idée de gag » (rires) mais si, et j’étais bien obligé parce qu’il a son petit univers à lui, il a sa façon de parler, et tout ça je devais le respecter, quitte à sacrifier des gags.
Pourquoi s’intéresser à Mozart ?
Mozart… alors, la version longue ou la version courte ? La version longue, allons-y.
Soyons fous !
J’habite à Nancy depuis voilà maintenant trois ans et, là-bas, la star nationale… enfin « star nationale » (rires), c’est Stanislas Leszczynski et il a vécu à la même période que Mozart. Il avait un Lilliputien dans sa cour qui était surnommé « Bébé ». Et il y avait quelques anecdotes que j’avais illustrées sous forme de strip que j’avais envoyé au canard local mais je n’ai jamais eu de réponse. Ça n’a pas marché. Dans l’intervalle, je me suis rendu à plusieurs reprises à Salzbourg pour rejoindre ma compagne qui elle-même fait de la bande dessinée. Elle est autrichienne, elle joue du piano et (rires), elle a une partition, là je suis en train de me rendre compte qu’elle aurait pu faire la bande dessinée mieux que moi (rires).
Haha, une révélation !
Donc j’y suis allé à plusieurs reprises et là-bas, à Salzbourg, il y a du Mozart partout !
Sa maison natale, c’est ça ?
Oui, entre autres ! Dans les rues du centre, dans les boutiques, il y a du Mozart partout, il y a des rues, des places Mozart. Ils font même des boules de Mozart : du chocolat avec de la pistache dedans. Il est cuisiné à toutes les sauces.
Comme Stanislas à Nancy et Rabelais à Tours.
Voilà, c’est ça. Ils ont leur star ! Nous à Nancy, c’est Stanislas et à Salzbourg, eh bien, c’est Mozart. Là où j’avais commencé avec Stanislas Leszczynski et « Bébé », je m’étais retrouvé le bec dans l’eau car il y avait très peu de traces, très peu de témoignages. Si j’avais voulu continuer, il aurait fallu inventer et je me sentais plutôt mal à l’aise avec ça. Par contre, avec le petit Mozart… Mon petit « Bébé », c’était déjà lui, il lui ressemble graphiquement. Et du coup, je me suis intéressé au petit Mozart et là, effectivement, les témoignages, les anecdotes… il y avait vraiment de quoi faire. C’était très très riche en anecdotes parce qu’il avait – et c’était assez insolite à cette époque – beaucoup voyagé, surtout à son âge, c’était vraiment très insolite. Il était projeté dans un monde d’adulte, et comme il faisait des concertos devant un public, il y a eu beaucoup de témoignages sur comment il était, ce qu’il faisait…
Donc c’est parce qu’il y a eu beaucoup de témoignages sur l’enfant et ses débuts que vous avez fait Le Petit Mozart…
Il y a un peu de ça et puis, en plus…
Il n’est pas mort très vieux en même temps.
Il est mort à 33 ans, il me semble. Il était extrêmement prolifique, par contre, au niveau des partitions, de sa vie. Il a brûlé la chandelle, comme on dit. Son histoire ne pourrait pas devenir un road movie, même s’il y a beaucoup de trajets, mais malgré tout, chronologiquement, on pouvait le suivre à la trace.
C’est parce qu’il y a beaucoup de documentation, ce n’est pas pour s’inscrire dans une lignée Le Petit Spirou, le petit Machin…
Non, non, pas du tout ! Je pense que c’est plutôt assez éloigné. C’est délicat, quelque part, il s’agit d’un personnage qui a réellement existé donc il faut, pas y aller avec des pincettes mais…
Chez Bamboo, récemment, ils ont fait le petit Napoléon, la petite Cléopâtre…
Ah bon ?! Ah, je ne savais pas du tout !
Donc Le Petit Mozart aurait pu s’inscrire dans cette lignée. Mais il est un peu plus subtil, peut-être…
(Rires) J’ai envie de dire merci mais je n’ai pas envie de froisser quelqu’un !
C’est bien aussi. C’est un peu dans le même esprit, orienté jeunesse. Je suppose que c’est un public…
Ah, au fait, c’est amusant mais je pensais… je reviens un peu à la première question, sur La Boîte à Bulles. Ils ont une collection jeunesse et je pensais m’y inscrire, et en fait, l’éditeur, en le lisant, m’a dit : « il n’est pas tout à fait jeunesse, il est entre les deux ». C’est grand public. Il y a des gags où les enfants ne vont pas percuter. Mais tout le monde peut le lire.
Le fameux « de 7 à 77 ans ».
Voilà, mais pas les trop jeunes, ça va être un peu difficile pour eux, je pense. Je suis toujours vachement embêté : mes bandes dessinées sont souvent dans ce registre-là, toujours un peu à cheval entre deux âges. Dès qu’il s’agit de rentrer dans un catalogue, quand c’est par tranche d’âge, c’est un peu difficile pour moi, je pense.
Pour les planches, vous vous êtes pas mal documenté. Avec les archives de Salzbourg ? J’ai vu que Michel Jacquet, l’éditeur de Jarjille, apparaît dans les remerciements…
Oui, je l’ai mis dans les remerciements car il m’a donné quelques… il a jeté un œil dessus et il m’a dit « là, là, là… » Ce genre de choses que fait un éditeur pour me dire qu’il y avait des choses qui coinçaient. C’est lui qui m’a donné l’idée des partitions intercalées. J’avais déjà fait des partitions mais c’était des notes… J’ai pensé que ça pourrait être marrant de les personnaliser selon les thématiques de la planche. Pour la doc, j’avais fait deux planches, avant même de lire quoi que ce soit sur lui. Elles sont dedans d’ailleurs. Ce sont peut-être les moins… C’est la page, par exemple de l’orchestre des grenouilles. Ce n’est pas une anecdote que j’illustrais mais, très vite, je me suis rendu compte que ça ne servait à rien de continuer. Donc j’ai lu plusieurs biographies, épluché un peu ses correspondances de jeunesse, la sienne et celle de son père, Léopold. D’ailleurs, celle de son père tenait plus du livre de comptes, finalement, que de la correspondance parce qu’il parlait énormément de pognon, tout le temps. Mais, en même temps, il faut se dire qu’il risquait sa fortune là-dedans. Enfin, c’était un engagement de missionnaire, il était persuadé que son fils avant un don divin. Il fallait le montrer à tout le monde donc il avait engagé toute sa fortune. Je me suis aussi beaucoup documenté dans la maison de naissance. Je les remercie, d’ailleurs, parce qu’ils m’ont fait entrer gratuitement dans le musée, ils m’ont donné quelques documents pour voir tout le mobilier, plein d’objets qu’avait possédés Mozart et que j’ai pu mettre dans la bande dessinée. Par contre, la ville en elle-même, Salzbourg, finalement, il en reste assez peu de choses et c’est la raison principale pour laquelle le film de Miloš Forman, Amadeus, a été tourné – je ne suis pas sûr de moi – mais principalement à Prague et non à Salzbourg parce que les extérieurs témoignent beaucoup plus de l’époque et de l’architecture. Enfin, je pense que c’est pour cette raison, mais c’est peut-être bêtement aussi pour des raisons financières (rires).
Les partitions fantaisistes, on en a parlé un petit peu, ont dû être amusantes à dessiner.
Oui ! Oui oui oui ! C’était très drôle.
Les notes, c’est au pif ?
Oui, c’est au pif. Sauf quand il gribouille sur les murs, j’ai repris des menuets… Bon, il y a certainement des fautes sur les partitions, des notes qui sont un peu décalées. Ce n’est pas très important ce genre de choses. Les musiciens vont peut-être le remarquer, et encore.
On sent qu’il y a un petit clin d’œil.
Bien sûr, il fallait que ce soit les siennes. Mais les partitions dans le livre sont quand même rarement les siennes.
J’ai vu sur votre blog que vous essayez de glisser un gag zigzag dans tous vos albums.
Oui ! Effectivement. C’est une contrainte que je me suis donnée. C’est un défi. Le Petit Mozart est déjà un livre à contrainte, j’ai envie de dire, quelque part. On est dans un format de 4 cases, c’est assez exigu, ces cases-là. Je suis sur un même canevas on va dire. Et je m’y tiens. Pour cette histoire de gag zigzag, c’est une double contrainte. Je suis en train de me demander si je l’ai fait avec tous mes albums mais oui, je glisse un gag zigzag sans raison. Une sorte de private joke. Mais il faut que ce soit amusant, il faut pas que ce soit purement gratuit.
Vous parlez du format assez réduit. C’est dessiné à l’échelle ?
Oui, je travaille sur un format A4. Ça a dû être légèrement réduit mais ce n’est même pas sûr. La plupart est vraiment au format, en fait. Je travaille en petit. C’est le premier album où les pages sont au format. La plupart du temps, elles sont agrandies. C’est bizarre, en général, les gens font plutôt l’inverse surtout qu’en réduisant, on gagne en définition. Moi, c’est l’inverse (rires) je vois toutes les imperfections et ça peut parfois être un problème sur certaines pages.
Quatre sorties ces derniers temps…
Je ne sais pas s’il faut vraiment le mentionner. Oui, mais c’est vraiment un hasard du calendrier. Je ne travaille pas en même temps sur plusieurs choses. Là, je vais sortir une BD mais je l’ai faite il y a déjà six ans. Et je dis quatre BD mais il y en a une qui est parue le 30 décembre l’année dernière ; l’autre en janvier mais c’est un petit format, un collectif, Pinard, mon nectar ; et la troisième, c’est Le Petit Mozart. La dernière, il y a deux semaines, c’était Zooart. Je n’ai pas travaillé pendant un an sur ces quatre bandes dessinées.
Plus anciennement, Monstrueuse Cathy a connu deux albums…
En fait, non. Jarjille avait lancé il y a plusieurs années une collection BN. Ils ont cessé. C’est une collection où ils invitaient des auteurs à faire une histoire sur le thème de l’enfance, sur un petit format carré – format BN, le biscuit – sur 11 pages, en noir et blanc. Donc c’est un petit exercice de style. Un vrai bonheur parfois de participer à ce genre de choses parce que ça permet de se lancer dans des choses qu’on n’a pas forcément l’habitude de faire. Dont Monstrueuse Cathy. Et quand je me suis lancé dans ce petit personnage, 11 pages, ça ne me suffisait pas : j’avais envie d’en faire d’autres. Cet album, ce n’est donc pas une suite, c’est plutôt une version retravaillée et avec des pages supplémentaires.
Vous êtes donc bien très coutumier des one-shots ?
Complètement. Je ne fais que du one-shot.
Les séries, ça ne vous intéresse pas ?
Non… L’année prochaine, je vais sortir un livre, une réédition augmentée, j’ai ajouté 25 pages. L’idée de série est là, quelque part. À partir du moment où il me reste encore des idées pour faire un livre différent avec un personnage différent, j’en profite. Et puis, bêtement, je ne sais pas pourquoi mais chaque fois que j’envisage le livre, je me retrouve à court d’idées. C’est souvent le cas : il me reste 2-3 pages pour terminer le livre et je galère ! C’est presque à chaque fois la même chose et, du coup, ça pousse pas à faire une suite. Quand j’ai finalement trouvé mes trois pages, je suis ravi et je me dis « plus jamais ça ».
Vous envisagez une année 2018 aussi riche que 2017 ?
On verra bien. C’est un milieu où on ne sait pas du tout. C’est encore à rebours, la réception. Le livre est fait, terminé. Pour moi, c’est presque un travail ancien. J’espère que je parle pour la plupart des auteurs mais c’est vrai que c’est un truc particulier ça, de faire un livre. Quand on finit son livre, après il faut le maquetter, que ce soit imprimé… Dans le meilleur des cas, ça prend quand même plusieurs mois. Après, quand il est imprimé, on fait les premiers festivals mais le livre a déjà un an… Après, c’est important de savoir comment il est perçu et tout ça mais est-ce qu’il a marché ou pas, ça on le sait encore plus tard. C’est vraiment particulier.
Encore chez Jarjille et peut-être La Boîte à Bulles ? Tout est ouvert ?
Oui, tout est ouvert. Je sais que j’en ai un chez Jarjille l’année prochaine. Après, on verra.
Pas de série Le Petit Beethoven…
Non, ça c’est hors de question ! (rires) J’ai envie de me consacrer à autre chose, tout bêtement. Encore une fois, ça se justifie pour Mozart car c’est une jeunesse qu’on connaît. J’aime bien cette idée. Attention, ce n’est pas une biographie… Là où c’est étonnant, je parle d’autre chose – je passe du coq à l’âne, vous avez remarqué – mais elle était très rapide à faire, cette bande dessinée. Là où d’habitude, je mets du temps pour trouver des idées parce que je pars de rien, là j’avais une matière et une amorce.
Très rapidement, ça signifie combien de temps ?
Il y a eu un moment où j’ai arrêté pour faire autre chose, je dirais en tout et pour tout, quatre mois, quelque chose comme ça. C’était déjà un peu là. J’avais mon carnet de croquis, mon storyboard, j’avais déjà presque tout. Il fallait encore que la mayonnaise prenne, peut-être des choses à ranger mais j’avais déjà un peu tout. Enfin, il y a encore les trois dernières pages qui m’ont posé un problème. Quand tu envisages le livre, c’est bien d’avoir des choses un peu éparses puis de les ranger, comme un puzzle. Quand tu es sur les trois dernières planches, c’est bien parce que ça donne des indices sur ce qui manque. Et c’est là que tu complètes. Finalement, ça permet de prendre du recul.
Ça fait partie des meilleures planches, les dernières trouvées ?
C’est pas forcément les meilleures mais en tout cas, c’est celles qui font des liants. Il y a toujours une page que je déteste.
Ah, ici c’est laquelle ? (rires)
C’est l’hommage à McCay, vraiment, qui est terrible. Il n’est pas bon. Il faisait des cases très verticales, j’ai fait un truc complètement écrasé. La dernière, elle fonctionne, mais bon… J’aurais dû mettre plus de cases, je la ferais différemment si je devais la refaire.
C’est le petit regret…
C’est mon regret. Cet hommage à McCay n’est pas beau. Dommage.
C’est beau cette exigence…
Non mais souvent tu as des regrets, tu sais. Là, ça montre une désinvolture vis-à-vis du résultat, j’aurais dû être plus exigeant avec moi-même sur cette page. Celle-là, aussi (en tombant sur une autre en feuilletant l’album). Quand je réfléchis au Petit Mozart et à ce que j’ai merdé, c’est cette case-là qui est très laide, que j’aurais pu mieux composer. Ce serait intéressant de demander ça, à des auteurs, quelle est la page dans tel album qu’ils détestent le plus… (rires).
En effet (rires). Merci beaucoup William !
Propos recueillis par Nicolas Raduget et Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 28 octobre 2017.
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