Dans la bulle de… Simon Van Liemt et François Cerminaro

2 juin 2015. Alors que le premier tome des Nouvelles enquêtes de Ric Hochet est sorti cinq jours auparavant, le journaliste de La Rafale nous a concocté une petite surprise. Par un temps ensoleillé et à l’ombre d’une terrasse de restaurant, il a organisé pour nous une entrevue avec Simon Van Liemt et François Cerminaro, respectivement dessinateur et coloriste de la série. Une pause déjeuner bien méritée pour les deux auteurs qui ont accepté de sortir du Gottferdom Studio pour répondre à nos questions. Garçon, l’addition est pour Ric !

Bonjour Simon. Ouvrons les hostilités avec toi. Même si nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, peux-tu nous faire une petite présentation de ton parcours ?

Simon Van Liemt : Bonjour. J’ai fait mes premières armes à Saint-Luc Liège. C’est là que j’ai appris le métier d’illustrateur. Encore que ce n’était pas ce que je visais car je voulais faire de la BD. Mais à Saint-Luc, la section BD n’était pas encore très au point. J’ai surtout pris beaucoup de contacts qui m’ont servi par la suite. Ils m’ont notamment permis d’entrer dans l’atelier de Ralph Meyer et Bruno Gazzotti, entre autres, à Liège dans lequel je suis resté moins d’un an. Mais cela m’a permis de consolider mes connaissances.

Ensuite, je suis parti à Aix-en-Provence car j’avais commencé à travailler sur une histoire courte pour le magazine Lanfeust Mag où travaille Dominique Latil, qui est un ami d’enfance de mon frère. On avait eu un premier contact simple et j’ai intégré le Gottferdom Studio où était réalisé le magazine. A partir de là, j’ai travaillé en parallèle autour du magazine avec une série qui s’appelait Starship Princess – une BD humoristique – et sur Incantations, ma première série – une trilogie – avec Jean-Christophe Derrien. Avec qui j’ai remis le couvert quelques années plus tard sur Poker en quatre tomes.

© BD Music / François Cerminaro

© BD Music / François Cerminaro

Bonjour François. Nous nous connaissons très bien mais les lecteurs un peu moins, même si tu as eu la gentillesse de faire un timbre pour notre collection de timbres 2015. Qui est François Cerminaro ?

François Cerminaro : Bonjour. J’ai fait mes études aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence d’où je suis parti en claquant la porte avant d’avoir eu le diplôme, suite à un désaccord avec les profs. Ensuite, j’ai été libraire spécialisé bande dessinée pendant quelques années tout en continuant à côté de faire de l’illustration et un peu de BD dans des albums collectifs (Innuat, Tutti Frutti – Stakhano). Jusqu’au moment où je suis parti de la librairie juste avant qu’elle ferme. De là, j’ai fait un album dans la collection BD Jazz aux éditions BD Music sur Gerry Mulligan. Après, suite à des conseils d’amis coloristes, Fabien Alquier et surtout Lyse Tarquin qui m’a aidé et présenté aux éditions Soleil, j’ai commencé à travailler en tant que coloriste. J’ai donc bossé pour Soleil sur Les Zaliens et L’Assassin royal, pour Dupuis sur Interpol, Alter Ego et Buck Danny, puis pour Le Lombard donc sur Les Nouvelles Enquêtes de Ric Hochet.

Si nous sommes réunis, c’est bien évidemment pour parler de cette actualité brulante qu’est le retour de Ric Hochet. Simon, comment as-tu été approché pour en réaliser le dessin ?

SVL : J’ai rencontré Benoît Drousie alias Zidrou à Angoulême en 2010 ou 2011 – je ne sais plus – où on s’était dit qu’on appréciait mutuellement notre boulot. Et c’est donc naturellement que je l’ai contacté pour travailler avec lui après quinze ans de collaboration avec Jean-Christophe Derrien. Je me disais que ce serait intéressant de collaborer avec un nouveau scénariste. Et c’est Benoît qui m’a proposé de travailler sur Ric Hochet puisque Le Lombard lui avait commandé un scénario et qu’il n’avait pas encore défini le dessinateur.

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© Le Lombard / Simon Van Liemt

Donc après Poker et Incantations avec Jean-Christophe Derrien pour des créations originales, tu passes à un nouveau scénariste et reprend une légende de la BD franco-belge. Sacré challenge. Comment as-tu abordé cela ?

SVL : Au départ, je n’ai pas du tout réfléchi à tout ce que cela impliquait. C’est-à-dire travailler auprès des ayant-droit qui ont un droit de regard et puis il y a aussi la vision des lecteurs. Donc savoir comment tous ces gens allaient appréhender la chose. Je n’avais pas pensé à tout cela. J’étais content de travailler sur Ric Hochet. Je ne connaissais pas encore bien la série. Je n’en ai pas eu dans les pattes durant mon enfance. J’ai donc découvert cela sur le tard mais bien évidemment je connaissais la réputation de la série. Cela m’a donc permis de découvrir tout cet univers qui est vraiment vaste. La BD a une cinquantaine d’années d’existence, voire plus.

FC : Ric Hochet a soixante ans !

SVL : Effectivement ! Donc je n’avais pas mesuré ce qui m’attendait. Mais au départ, c’est un « Vu par », ce n’est pas une reprise. Ce qui laisse une marge de liberté. Je l’ai donc approché assez sereinement et, au fil de l’album, j’ai réglé le tir on va dire.

François, tu connaissais bien la série ?

FC : Moi, je connaissais quand j’étais gamin. Je lisais le Journal de Tintin où certains épisodes apparaissaient en prépublication. J’ai retrouvé chez moi deux albums au moment de travailler avec Simon. Je connaissais un peu l’univers et, en tant que libraire, j’ai vu défiler la collection au fur et à mesure des années. Mais je ne pensais pas qu’il y avait autant d’albums vendus. Je n’avais pas réalisé le temps. C’est vrai que soixante ans de Ric Hochet, c’est énorme pour une série. Il n’y en a pas beaucoup avec un historique pareil. Et le nombre de lecteurs ! Les ventes se calculent en millions. (NDLR : 15 millions d’exemplaires vendus dont 7 en langue française)

SVL : Certainement !

Il ne s’agit absolument pas d’un 79ème album de la série mais bien d’une « version modernisée » ?

SVL : C’est bien de le préciser. Parce qu’effectivement au départ, il y a eu deux albums qui ont été travaillés. D’un côté, une reprise plus officielle et d’un autre côté notre album qui était un « Vu par ». L’éditeur a décidé de ne sortir qu’un album pour limiter le nombre de sorties par année. Il semblait plus cohérent de n’avoir qu’un seul Ric Hochet et c’est le nôtre qui a été gardé. Cela peut porter à confusion car il y a eu sur certains sites des mélanges. Des pages ont été présentées comme étant les miennes alors qu’elles ne l’étaient pas. Parce qu’évidemment les autres pages ont circulé aussi et il y a eu certains quiproquos. Les pages d’Olivier Wozniak, qui était le dessinateur attendu pour la reprise, sont plus proches de celles de Tibet, étant donné qu’il s’agissait d’une reprise officielle. Il était censé coller au style alors que moi non. Donc, c’est bien de rectifier et de préciser cela.

© Le Lombard / Simon Van Liemt

Graphiquement, je suppose que tu as été en contact avec Nicole Tibet, tout comme Zidrou avec André-Paul Duchâteau ?

SVL : C’est l’éditeur qui a d’abord fait passer les premiers dessins aux ayant-droit. Eux aussi ont été un peu perplexes au départ. Mais maintenant, on a appris à se connaitre et on s’est rencontré une première fois il y a un an. Depuis on garde un très bon contact. Nicole Tibet est venue à Aix et on a pris du temps ensemble. Je connais les enfants de Tibet. Ils sont tous très contents de l’album à l’arrivée. C’est un album qui mérite d’être lu en entier car il n’est pas vraiment mis en valeur dans les prépublications par extraits. C’est vraiment un tout. Une page ne se suffit pas à elle-même, je pense, pour juger de l’album. Surtout que, sur certaines séquences, on se rapproche plus de l’univers classique. D’autres sont plus modernes. Certaines autres sont plus proches du polar. Il y avait aussi ces variations-là avec Tibet et André-Paul Duchâteau mais comme ils gardaient le système des quatre strips, ils ne pouvaient pas autant jouer sur les ambiances, les intentions de découpages, le rythme, etc. Il y a vraiment différentes atmosphères, différentes façons de proposer l’univers de Ric Hochet. Et si on le découpe par séquence, on a qu’une de ces façons de le proposer. Je trouve qu’on ne peut pas juger l’album en survolant une page ou comme cela a été prépublié page par page dans Le Soir, le journal belge. Pareil dans L’Immanquable, c’était par quart d’album. Pour moi ce n’est pas suffisant pour juger de la qualité de l’album.

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© Le Lombard / Simon Van Liemt

François, comment es-tu arrivé sur ce projet ?

FC : D’abord, Simon m’a demandé de faire un essai. C’est ce que l’on fait en règle générale pour un album. A moins d’être à l’origine du projet, on te demande de faire des essais. C’est l’éditeur qui le demande. Et généralement, est choisi celui qui colle le plus aux attentes des auteurs et de l’éditeur. Donc moi !

D’autant plus que tu avais travaillé sur Buck Danny…

FC : … qui est un classique aussi mais qui n’est pas vraiment dans le même genre et qui ne demandait pas la même approche. Buck Danny est un personnage qui se modernise à tous points de vue au fur et à mesure des albums. Alors que là pour Ric Hochet, il fallait garder un côté années 60, un côté rétro.

SVL : Oui parce que l’album se situe dans les années 60, en 1968 pour être exact. Donc tout est référencé. Il fallait quand même garder une patine vintage.

FC : Il fallait faire quelque chose de pas trop vintage et trop proche des albums d’origine. Donc être en 2015 et garder ce côté années 60. Garder des teintes assez proches de ce que l’on pouvait voir sur de vieilles photos, de vieux documents. Pour qu’on puisse se retrouver dans ces ambiances avec, par exemple, ces couleurs de fringues qui étaient des couleurs «Pop» notamment.

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© Le Lombard / Simon Van Liemt

Vous aviez une charte très précise à respecter dès le départ ?

SVL : Au départ, les ayant-droit ont reçu le scénario fini de Benoît. Pour moi, il était parfait. Une partition impeccable avec tous les ingrédients qu’il faut à la fois pour réintroduire le personnage – pour des gens qui ne l’auraient pas lu ou lu durant leur enfance mais ayant oublié qui était Ric – et aussi toute la part de références et de petits clins d’œil à la série originale pour faire plaisir aux lecteurs chevronnés de la série. Donc, ils ont reçu ce scénario et déjà cela les a mis en confiance. Ensuite, ce sont des gens qui m’ont personnellement laissé le temps de travailler et aussi faire mes gammes sur la série. Ils ont été très « cool », discrets et vigilants. Et à l’écoute.

FC : Il fallait tenir compte de tous les codes mais je me suis surtout calqué sur le scénario de Zidrou, qui est effectivement assez complet voire nickel, et forcément le dessin de Simon. Il fallait effectivement avoir la Porsche jaune, le pantalon bleu, la veste blanche mouchetée de noir ….

Et il change de col roulé dans l’album…

FC : Oui ! Mais ça, c’est rare.

SVL : Ce qui a vraiment influencé la couleur, c’est qu’il y a moins de cases dans notre album que dans un Ric Hochet classique.

FC : Oui, c’est vrai !

SVL : Ce qui fait que l’on d’abord essayé de travailler en aplat pur. Et sur certaines pages, cela ne suffisait pas à donner assez de densité parce que, quand tu as sept cases en aplat et que tu n’as pas de plans assez larges, tu te retrouves avec quelque chose d’un peu léger. Donc François a rajouté une ombre légère parfois très discrète, parfois absente.

FC : Une image très significative de cela est le moment où Ric arrive dans le bureau de La Rafale où il est pris par son boss qui le ramène dans son bureau. Là, il y a un mélange de tout ce que l’on a fait. Il y a différentes ombres, différents niveaux pour donner une profondeur. Il y a principalement des aplats et les personnages principaux, ceux qui font l’action, ont un poil d’ombre pour attirer l’attention là-dessus. On a essayé de reproduire cela le mieux possible selon les besoins du scénario tout au long de l’album.

SVL : Une fois que l’on a fait ce premier réglage, François a rajouté un philtre aléatoire…

FC : … oui, une texture de manière à retrouver le côté vieux papier rétro que l’on peut avoir quand on ouvre un album de Ric Hochet des années 60, 70. Voilà, se dire que le papier a vieilli, la couleur a coulé.

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© Le Lombard / Simon Van Liemt

Bel exemple que le métier de coloriste est ô combien important dans la bande dessinée.

FC : Oui.

SVL : Plus que jamais ! C’est vraiment décisif, je pense. Si on regarde les derniers albums de Ric Hochet, ils sont traités à l’ordinateur mais ce sont de simples aplats avec des dégradés très Photoshop. Je trouve que cela nuit même à la qualité des albums.

FC : Cela fait trop artificiel voire surface en plastique.

Normalement, trois albums sont prévus pour ces Nouvelles Enquêtes.

SVL : Dans un premier temps, toute l’équipe va travailler sur les deux prochains tomes. Moi-même, j’ai à peine commencé le deuxième. Benoît, lui, a déjà écrit tout le scénario. Qui est super d’ailleurs.

Tu peux nous donner quelques infos ?

SVL : L’album se déroule principalement à Paris et installe Ric dans un environnement classique. On démarre par une séquence de nuit vraiment très «ricochéenne» où l’on voit Ric dans un grand chantier d’un grand bâtiment au centre de Paris. Il fait très froid. On est en novembre 68. Il est tout seul évidemment sans arme et il se demande ce qu’il fait là encore une fois désarmé à attendre…

FC : … avec son imperméable mastic traditionnel.

SVL : Oui, on retrouve son imperméable qu’on ne voyait pas dans le premier tome.

FC : Si, à la fin !

SVL : Ah oui, à la fin. C’est très bien, ça fait le lien avec l’album suivant. C’est parfait. Qu’est-ce que je peux dire ? On se baladera dans Paris essentiellement. On verra certains lieux classiques de la capitale. Je n’en dis pas plus !

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© La Ribambulle

Je fais un petit aparté avec toi, François. Aujourd’hui tu fais principalement de la mise en couleurs – d’ailleurs tu travailles en ce moment sur Ric Hochet mais aussi sur L’Assassin royal – mais tu es aussi un auteur complet. As-tu des projets en tant que dessinateur et coloriste ?

FC : Pour l’instant, pas grand-chose. On m’a proposé un scénario. Il faut que je travaille un peu plus dessus. Mais comme j’ai déjà beaucoup de boulot en couleurs, ça tarde un peu. Je dois d’abord remplir mes obligations en couleurs et ensuite me lancer sur ce dossier. Mais ce n’est pour l’instant qu’un dossier, rien n’est signé.

SVL : Il faut dire que le choix de travailler avec François, c’est aussi parce qu’il est illustrateur et que c’est quelqu’un qui dessine très bien. C’est un excellent illustrateur. C’est donc un plus !

FC : Je vais attraper la grosse tête. (Rires)

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© Le Lombard / Simon Van Liemt

Pour finir, avez-vous eu des difficultés par rapport à tout ce que nous avons évoqué ?

SVL : Personnellement,  le dessin du personnage de Ric Hochet est assez difficile à tenir car il est relativement lisse et en même temps il a des caractéristiques très précises. Il faut donc arriver à s’accaparer ses caractéristiques. Ce que je fais, je pense, mieux maintenant qu’au départ. Parce qu’au début, j’étais beaucoup plus libre et en fait, il était même question un moment que Ric change de visage. Et cela ne collait pas du tout avec le scénario. Puisque évidemment le Caméléon prenant les traits du Ric Hochet d’origine, il fallait qu’il lui ressemble. Donc, je me suis retrouvé à travailler sur l’album sans avoir fait mes gammes autour du personnage. Il y a eu pas mal d’hésitations mais maintenant je suis plus à l’aise. Et on a fait des séances de dédicaces qui sont de bons exercices pour se mettre le personnage en main.

FC : Pour la couleur, ce qui était difficile était de garder le bon équilibre entre aplat et modelé un peu plus moderne. Faire simple, c’est super dur. Il fallait être lisible, que ça aille avec la narration. On a triché à certains moments. Du point de vue des ombres et des lumières pour que la narration fonctionne. Ne pas en faire trop. Attraper juste quelques aplats, une petite ombre et doser ça.

SVL : Faire peu, c’est devoir faire juste aussi. Il faut que tout soit juste. Le moindre trait doit être à sa place.

FC : On s’est replongé dans des classiques comme La Marque Jaune point de vue couleurs…

SVL : … certains Tintin...

FC : Oui, pour avoir des ambiances juste avec quelques aplats. Quelle teinte utiliser pour avoir une ambiance de nuit correcte ? C’est ce qui a été le plus difficile pour moi. En espérant faire encore mieux sur le prochain.

Merci et rendez-vous pour le prochain Ric alors ?

SVL : Avec joie !

FC : Avec plaisir !

Propos recueillis par Stéphane Girardot.

Interview réalisée le 2 juin 2015.

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Description de l'auteur

Stéphane Girardot

Département : Bouches-du-Rhône / Séries préférées : Capricorne, Alter Ego, La Quête de l’Oiseau du Temps, L’Épée de cristal, Aquablue, Le Chant des Stryges, City Hall, Lastman, Sisco, END, Sky Doll, Rapaces, De capes et de crocs, La Nef des fous… / Auteurs préférés : Andreas, Régis Loisel, Barbara Canepa, Serge Le Tendre, Olivier Vatine, Mathieu Reynès, Matéo Guerrero, Turf… / J’aime aussi : ma famille, le cinéma, la cuisine vietnamienne, le tatouage et la boisson typique du Sud (devinez laquelle !).

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