Quand deux auteurs venant de mondes différents se rencontrent et mettent leur univers pas si éloigné l’un de l’autre en commun, cela donne Les Artilleuses, un projet mûrement réfléchi issu du Paris des Merveilles de Pierre Pevel. À l’occasion de la sortie en avant-première du tome 1, Le Vol de la Sigillaire, au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2020, nous avons pu rencontrer le romancier, accompagné du dessinateur Etienne Willem.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler ensemble sur ce projet ?
Pierre Pevel : C’est lui !
Etienne Willem : Voilà. J’ai découvert Le Paris des Merveilles de Pierre par hasard. Je suis très vite tombé amoureux de cet univers et de sa façon d’écrire où on a à la fois cette action à la Indiana Jones et du fantastique. J’aime le côté un petit peu suranné mais charmant du Paris des Brigades du Tigre. Donc, j’ai demandé à rencontrer Pierre à Nancy à la Foire du livre. On a discuté puis le projet s’est mis en place. Ça fait à peu près dix ans qu’on en parle.
PP : Oui. On n’était pas pressés.
Effectivement, ça remonte à très très loin.
PP : Au début, il était question de faire une adaptation des romans ensemble. Le garçon étant très sympathique et, comme j’ai regardé ce qu’il avait fait comme BD avant, je me suis dit que ce serait parfait. Mais lui comme moi, on avait des projets personnels à mener à terme. On était très pris par le boulot. Et puis, je ne sais pas au bout de combien de temps, j’ai eu l’idée des Artilleuses. L’idée de ce trio de personnages qui sont des braqueuses de banques est venue assez rapidement un soir. J’ai jeté sur le papier quelques lignes que j’ai immédiatement envoyées à Etienne. Il m’a répondu, je crois, dans l’heure me disant « c’est super, on le fait ». Là où ça a été vraiment magique, c’est que j’avais juste dessiné les personnages, si je puis dire, en quelques lignes, en quelques éléments de descriptions et le lendemain matin j’avais quelques crayonnés des personnages et c’était exactement ça ! Il avait tout pigé et en gros je n’avais plus rien à faire.
EW : Ça a quand même bien évolué depuis.
PP : Oui, mais sur le coup tu les as tout de suite cernés.
EW : Oui, il y avait le concept.
Et puis en lisant les livres, vous les imaginiez peut-être ?
PP : Mais elles n’étaient pas dans le livre car ce sont des personnages originaux.
Du moins s’inspirer de l’univers des livres ?
PP : C’est le même univers que celui des livres. Par contre, les personnages de la BD sont originaux. Bien évidemment, il pouvait s’inspirer de l’ambiance du livre, de l’univers, éventuellement des costumes qui étaient portés à l’époque, etc. Mais je me souviens encore du choc que j’ai eu lorsque j’ai vu les personnages que tu as dessinés. Je me suis dit que c’était exactement ça ! Je n’ai plus rien à faire. J’adore ce métier !
EW : Tout ça est un lent alignement des planètes puisqu’à un moment, j’ai appris que Christophe Arleston montait Drakoo. Au festival Trolls et Légendes en Belgique, on s’est retrouvé tous les trois et on en a parlé autour d’un verre.
Et puis ça s’est fait !
PP : Oui, heureusement. Mais je connaissais déjà Christophe. On s’était déjà croisés sur différents festivals. Évidemment, je connaissais déjà son travail. Il connaissait aussi certains de mes bouquins. Je pense en plus qu’on se reniflait un peu depuis un bout de temps. On avait envie de travailler ensemble. Et tout d’un coup, tout s’est mis en branle pour que cette BD se fasse. Et ensuite, c’est allé plutôt vite. Surtout comparé à dix ans d’attente.
Aviez-vous déjà fait de la BD ou était-ce votre première ?
PP : C’est ma première BD. J’ignorais tout de ce métier. J’ai eu pour m’aider à l’apprendre Etienne d’un côté et Christophe Arleston de l’autre. Donc, il y a pire pour commencer. J’ai plutôt été chanceux.
Voyez-vous une différence entre créer un roman et créer un scénario de BD ?
PP : Énormément. Il y a plus de différences que de ressemblances. Dans les deux cas, on imagine une histoire et c’est là où finit la ressemblance. Après, tout est différent parce qu’il faut imaginer une histoire qui puisse être très visuelle. J’ai l’air de donner des cours alors que je n’ai fait qu’un scénario de BD dans ma vie, mais ce que je ressens c’est qu’il faut un scénario très visuel. Il faut aussi une clarté, qu’il soit évident. C’est-à-dire que dans un roman, on peut à la limite consacrer un chapitre à expliquer les motivations d’un personnage. On ne peut pas se permettre ça en BD. Il faut que les motivations du personnage soient très claires et qu’on comprenne pourquoi tel personnage fait telle chose. Ou que, a posteriori, grâce à une révélation, tout s’éclaire au bout d’un moment s’il a un comportement mystérieux. Et puis la grosse limite, et Christophe m’avait bien briefé là-dessus, c’est le nombre de pages. Dans un roman, on peut aussi bien faire 120 que 450 ou 800 pages. Et surtout, on peut aussi bien faire 800 que 820. On peut se permettre d’avoir 20 pages en plus ou en moins. Proportionnellement, on ne peut pas se permettre en BD d’avoir 2 pages en plus ou en moins. Pour un début, j’ai préféré respecter les canons et ne pas faire trop de vagues.
Vous prenez votre temps pour présenter les personnages et poser une intrigue solide. Vous parlez un petit peu de la Sigillaire et on sent qu’elle va avoir une place importante dans le récit mais pas dans ce premier tome.
PP : Il y a une chose importante sur une bonne séquence de BD, c’est quand elle sert plusieurs choses. Quand elle sert aussi bien à faire avancer l’intrigue qu’à éclairer les personnages. Quand on arrive à faire ces choses-là sans en avoir l’air, je trouve que c’est assez réussi.
Et puis le dessin et la mise en scène sont assez dynamiques pour qu’on soit happé par l’histoire.
PP : Ça, tout est dû au talent de Monsieur Willem.
Vous disiez tout à l’heure que les Artilleuses étaient des personnages originaux. À quel moment peut-on situer leur aventure dans le Paris des Merveilles ?
PP : En plein dedans. On est en 1911. C’est à peu près le moment où se termine le troisième volume.
EW : Il y a des personnages d’ailleurs qu’on retrouve comme la commissaire.
PP : Il y a aussi Farroux qui commence comme inspecteur dans les romans et finit commissaire et responsable de la Brigade spéciale aux Brigades du Tigre qui est chargée particulièrement des affaires féeriques. On le croise à un moment dans cette BD. C’est moins pour le faire apparaître que pour un principe de cohérence dans l’univers. S’il est amené à croiser la route de nos Artilleuses, il la croisera. Et puis, on a quelques clins d’œil aussi.
À première vue, vous avez un point commun. Dans chacune de vos histoires, il y a un contexte historique bien développé.
PP : Je suis un scénariste paresseux, c’est-à-dire que je ne fais pas la mise en case. Je laisse ce travail à Etienne. Tout simplement parce que lui sait faire et moi pas. Donc je fais un séquencier que je dialogue. Ça ressemble beaucoup à un script de scénario de film. Il y a quelques intentions de mise en scène indiquées. Mais finalement, ça passe plus vite sur une discussion que sur le papier. Et puis ensuite il a entièrement les manettes. Je lui fais pleinement confiance et je n’ai aucune raison de le regretter.
Cette première expérience en BD vous donne-t-elle envie d’en refaire ?
PP : Il ne faut jamais dire « fontaine, je ne boirais pas de ton eau ». J’ai assez de métier pour savoir qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. Mais oui, ce n’est pas impossible. Je suis quand même très pris par mon travail de romancier. Ça me prend quand même pas mal de temps. Je ne vous cache pas non plus, et je vais être vulgaire car je vais parler d’argent, mais pour l’instant ce sont les romans qui me font gagner ma vie. Donc, je me consacre plutôt à ce qui me permet de faire bouillir la marmite mais l’écriture d’un scénario est vraiment très intéressant. En plus, il y aussi un avantage, c’est que ça représente pour moi un gain de temps. C’est-à-dire que si j’avais dû écrire un roman des Artilleuses, ça m’aurait pris un an. Un scénario de BD m’en a pris moins. La BD pourrait me permettre de raconter plus d’histoires que si je me contentais d’être romancier. Pour moi c’est un intérêt évident. Et puis, il y aura au moins un tome 2 et 3 des Artilleuses, c’est-à-dire qu’ensuite on peut continuer.
Il pourrait donc y avoir une suite au-delà du tome 3 ?
PP : Oui. Si Dieu et notre éditeur nous prêtent vie, il y aura des suites.
D’où vous vient toute cette imagination et cette inspiration après tous les romans que vous avez déjà écrit ?
PP : Je bois beaucoup et j’ai un peu arrêté les drogues parce que je n’ai plus l’âge pour ça (rires). Non, mais c’est mon métier. Je ne peux pas faire autre chose que de raconter des histoires. Dans les deux sens du terme, c’est-à-dire que ça occupe tout mon temps et que je ne peux pas m’empêcher de le faire. Et en même temps, je ne sais rien faire d’autre.
Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions.
PP & EW : Avec plaisir.
Propos recueillis par Geoffray Girard
Interview réalisée le 31 janvier 2020
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