Associé à Lewis Trondheim, Obion nous dépeint avec tendresse et punch une histoire intergénérationnelle drôle et touchante dans Mamma Mia. De passage au festival Quai des Bulles de Saint-Malo, nous avons rangé nos charentaises et sommes allés rencontrer cet homme à l’humour dévastateur.
Bonjour. Le fanzine Violon Dingue vous a permis de faire vos premiers pas dans le monde de l’édition sous les yeux de professionnels tels que Jean-Claude Fournier, Régis Loisel ou encore Patrice Pellerin. Ont-ils eu une influence particulière sur la suite de votre travail ?
Une influence, je ne sais pas. Par contre, ils m’ont clairement appris des choses parce que je suis plutôt autodidacte dans la bande dessinée. À l’époque, j’avais tendance à être un petit peu sûr de moi. Alors, confronter son travail à l’œil de Jean-Claude Fournier, par exemple, qui ne laissait pas passer grand chose dès qu’il mettait le doigt sur quelque chose qui clochait au niveau technique, j’avais tendance à me justifier en disant « oui, mais c’est mon style ». Évidemment, c’est complètement con comme réponse. Et il me faisait un grand sourire du vieux singe à qui on n’apprend pas à faire la grimace. Le coup d’après, quand je retournais le voir, évidemment que j’avais bossé les perspectives, l’anatomie ou ce genre de truc.
Vous avez déjà croisé Lewis Trondheim à l’époque de Donjon Crépuscule et de L’Atelier Mastodonte. Comment est née l’idée de cette nouvelle série, Mamma Mia ?
Je ne sais pas trop, parce que c’est Lewis qui a imaginé le projet. On avait vaguement comme idée de refaire un truc ensemble. Et il m’a proposé ce scénario. Au début, j’étais vraiment perplexe parce que c’est très éloigné de ce que je fais en temps normal et de ce que lui fait, je trouve. Du coup, j’ai mis quelques minutes à me demander si c’était une blague ou si c’était vrai. En fait, c’est en faisant les pages et en recevant les pages du scénario que je me suis rendu compte qu’on pouvait vraiment mettre de nous dans cet univers pourtant très éloigné de notre zone de confort. En fin de compte, ça nous ressemble beaucoup plus que ce que j’imaginais au départ.
Cela reste très différent si on regarde votre style de dessin à vos débuts. C’est plus familial.
Voilà. Après, j’adapte en fonction du projet.
Du public aussi ?
Je ne réfléchis pas forcément en fonction du public. Je met mon dessin au service du scénario à chaque fois. J’essaye de faire quelque chose de cohérent. Enfin ça se fait naturellement, ce n’est même pas réfléchi d’ailleurs.
Comment s’est passé votre duo sur Mamma Mia ? Je remarque en bas de certaines pages l’inscription « Sc » (NDRL : Scénario). Avez-vous participé au scénario ?
Oui, j’ai dû écrire deux ou trois pages mais globalement c’est Lewis qui fait le scénario. On aime bien de temps en temps se lancer des défis. Pour la petite anecdote, une fois, ma voiture a été accidentée. J’ai dû aller la vendre dans une casse. J’en ai parlé à Lewis qui a trouvé ce genre d’endroit vraiment intéressant et particulier, hors du monde, et qui doit être difficile à dessiner. Quelques jours plus tard, il me propose une page qui se passe dans une casse de voitures. Il me demande aussi ce qui doit être difficile à dessiner pour moi. Je lui dis un vide-grenier. Et il me fait une page sur un vide-grenier. Du coup, ces pages qui étaient un petit peu complexes m’ont mis en retard, parce qu’on ne peut pas faire un truc trop simplifié avec ce genre d’univers sinon ça ne marche pas. Et pour le coup, je lui ai demandé de me faire une page ou deux qui se passent dans le brouillard. Voilà ce sont des petites contraintes comme ça, assez marrantes.
Cela vous arrive-t-il souvent de vous inspirer du monde réel ?
Oui je pense que, même inconsciemment, il y a beaucoup de choses d’observation qui reviennent dans ce que je fais.
Le titre de ce premier album, La Famille à dames, fait évidemment référence à l’une des familles les plus célèbres du cinéma. Vient-il de vous ou Lewis a le même humour ?
Oui, le titre c’est moi. Lewis est très très fort en jeux de mots. Mais là c’est un peu honteux, donc ça vient de moi.
Mais ça marche ! C’est une belle référence. Jusqu’où va le clin d’œil dans l’album ? Y en a-t-il par rapport à cette famille ?
Non. Pas tellement. Non. Au départ la première idée de sous-titre parlait de l’arrière-grand-mère qui voyait débarquer sa fille, sa petite-fille, son arrière-petite-fille à la maison avec les contraintes que cela implique. Du coup, j’avais joué un peu là-dessus en proposant Gêner au logis. Elle était gênée dans son logis. En rapport avec la généalogie… Pour le coup, il y avait vraiment une résonance avec les deux sens mais il y avait un côté un petit peu péjoratif quand même. Résumer un album sur le fait que la personne soit gênée, c’était un petit peu triste.
Et puis cette proposition de titre mettait plus l’accent sur la grand-mère ?
Oui, alors qu’en fait, c’est vrai que c’est une histoire où chacun des quatre personnages a autant d’importance que les autres. C’est vrai que c’est un peu délicat de choisir un personnage à mettre en avant. On ne voulait pas que ce soit Emma, la petite-fille, parce que ça donne une impression que c’est un album uniquement jeunesse alors qu’en fait on a l’impression de s’adresser à des gens de chaque génération.
Reverra-t-on ces générations dans un tome 2 ?
Oui, c’est en cours. Alors on a pré-publié dans le journal Spirou une vingtaine de pages et la deuxième moitié d’ici un certain temps. Et l’album sortira à un certain moment…
Je remarque une similarité avec une autre série deSpirou, avec les couleurs et l’histoire inter-générationelle. Celle de Dad.
Oui, tout à fait. Il y a un air de famille. Ce ne sont pas les mêmes compositions mais ça reste du gag autour d’une histoire de famille. Depuis un moment, c’est un genre traditionnel chez Dupuis. Après, chacun impose son identité.
Vous vous amusez beaucoup avec vos Ob’sessions.
Oui. C’est une sorte de soupape de sécurité. C’est-à-dire que j’ai un peu tendance à faire des jeux de mots malgré moi. Ce n’est pas quelque chose que je cherche ou que je travaille. Ça vient comme ça, comme la plupart des gens qui font de l’humour. Je saoule un peu mon entourage avec ça, donc je fais vraiment des efforts pour limiter la chose. Du coup, le fait de pouvoir les sortir en strips de temps en temps, je pense que ça fait du bien à tout le monde. C’est aussi un beau métier car être rémunéré pour faire des trucs à la con comme ça, c’est merveilleux.
Votre blog aussi est un genre de défouloir ?
Un petit peu. Mais ces temps-ci je n’ai pas tellement le temps de me mettre dessus. C’est important de se défouler. Même quand je faisais L’Atelier Mastodonte, il y avait à la base un côté un peu récréation entre différents projets. On soufflait. C’est vrai qu’à un moment donné, c’est devenu plus qu’une récréation parce que ça devenait le projet central. Je m’y investissais pas mal.
Vous appreniez les uns des autres dans ce collectif ?
Oui, bien sûr. Je ne me rend pas trop compte. C’est difficile de définir ce qui vient des autres ou pas mais je sais que, dans L’Atelier Mastodonte, Jérôme Jouvray avait le rôle de prof de bande dessinée dont on se moquait un peu. En fin de compte, il y a des tas de trucs, de petites astuces qu’on a gardé les uns ou les autres.
C’était presque des caricatures de chacun ?
Oui, mais avec un fond de vérité à chaque fois.
Aura-t-on le plaisir de retrouver de nouvelles Ob’sessions ?
Ces temps-ci, je n’ai pas trop le temps de m’y remettre mais je vais le refaire. Et puis j’ai dans l’idée d’en faire un album si j’arrive un jour à une centaine de strips. Ça laisse un peu de temps car j’ai dû en faire une quarantaine jusqu’ici. Comme je me laisse une liberté de le faire quand j’en ai envie et quand ça vient, quand je dessine les Ob’sessions, ce sont des moments où je dois me plonger dans l’état d’esprit « jeux de mots » et du coup il y a des jeux de mots complètement nuls. Je suis bombardé de l’intérieur pendant des jours et des jours. Ça rend un peu fou. Pour le coup, c’est vraiment difficile pour les gens autour parce que je suis en mode « jeux de mots ». Il ne faut pas que ça dure trop longtemps. Il faut que ce soit des petites périodes.
Merci d’avoir pris de votre temps pour répondre à nos questions.
Merci à vous.
Propos recueillis par Geoffray Girard
Interview réalisée le 25 octobre 2019.
Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et éditeurs et ne peuvent être utilisées sans leur accord.
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Obion”