Michel Koeniguer poursuit son travail historique avec sa nouvelle série, Berlin sera notre tombeau. Il revient avec nous sur son intérêt pour les récits historiques. Rencontre.
Après avoir débuté en BD avec du polar, tu t’es orienté vers des récits de guerre pour ne plus les quitter.
Oui, ce que je préfère faire c’est de la BD historique dans les conflits. Quand la collection Cockpit est née, cela m’a relancé sur ces thèmes, cela m’a permis de faire des choses historiques avec des avions, chose qui ne me dérangeait pas du tout. J’avais déjà commencé avec The Bridge où j’avais amorcé cette phase mais la vraie bascule s’est produite avec Bombroad. Le polar, plein de gens en font et mieux que moi, donc à un moment donné il faut savoir renoncer.
Au fil de tes projets, tu remontes le temps puisque tu es passé du contemporain à la guerre du Vietnam et désormais à la seconde guerre mondiale avec Berlin sera notre tombeau.
Quand j’ai réalisé des BD contemporaines, c’est parce que le contexte m’intéressait. Je ne referais peut-être pas The Bridge dans les mêmes conditions aujourd’hui, maintenant que j’ai beaucoup plus de recul. J’avais beaucoup de documentation sur le Vietnam donc j’étais plutôt à l’aise quand j’ai traité ce sujet. Maintenant, je suis passé à la seconde guerre mondiale. Quand je faisais le tome 2 de Misty Mission, je me suis posé la question de qui était le plus dans la merde, il y aurait eu plein de possibilités mais eux là, à Berlin, ces soldats français sous l’uniforme allemand en 1945 lors de la dernière semaine de combat, tu peux dire qu’ils sont quand même vraiment mal barrés.
Les BD autour de l’armée allemande sont peu nombreuses, pourtant aux éditions Paquet on retrouve des titres tels que Ciel en ruine, Le Grand Duc, L’Armée de l’ombre et plus récemment Afrikakorps. Ce sujet offre-t-il plus de possibilités scénaristiques selon toi ?
C’est effectivement un sujet peu exploité, on a toujours traité le côté allié de préférence. Il est vrai que le fait qu’on lorgne de l’autre côté apporte un autre regard. Le sujet que j’ai choisi est ambigu puisque cela parle des volontaires français engagés dans la Waffen-SS. Ceci dit aujourd’hui on a connaissance de beaucoup plus de choses qu’à une époque, il y a pléthore de livres sur le sujet et on en parle.
C’était important pour toi de mettre en avant ces soldats français combattants pour l’armée allemande ?
C’était surtout important pour moi de mettre des gars qui se retrouvent dans une situation difficile et de montrer que c’était extrêmement complexe. Il y a eu plusieurs phases en fait, il faut imaginer qu’en 1945 on est au bord de la guerre civile puisqu’il y a eu des résistants mais aussi des collaborateurs, la France est au bord du chaos. Même aujourd’hui on ne s’en rend pas compte puisque l’Histoire a été réécrite de façon à ce que ce soit cadré. De Gaulle a privilégié pendant très longtemps l’aspect « la plus grande partie des Français a été résistante » et il a fait beaucoup pour réconcilier les gens. Qu’on l’aime ou non, De Gaulle a réussi à maintenir le pays. A l’époque, il y a même eu des réunions entre des gens comme les gars que l’on retrouve dans ma BD et des Résistants, De Gaulle avait dit « il y a des Français qui se sont battus sous le mauvais uniforme mais dans le fond ils se battaient pour la France, ils ont choisi le mauvais camp mais voilà… ». C’était une tentative de réconcilier. Lors de cette période, on ne parle pas forcément de collaboration et de ce qui a pu en découdre et puis il y a une deuxième partie qui arrive fin des années 60, début 70 où tout le monde est collabo. Aujourd’hui on a beaucoup plus d’écrits accessibles à tous qui permettent des débats super intéressants mais, en même temps, ce qui est terrible est ce côté repentance perpétuelle limite qui en devient malsain. Ce que je veux dire, c’est que reconnaître ses erreurs ce n’est pas tout le temps revenir dessus et se flageller. On est dans une ambiance comme ça où on est à mi-chemin entre le politiquement correct et la liberté de pouvoir parler des choses.
Dans le premier opus de Berlin sera notre tombeau, le lecteur découvre des batailles de rue entre Allemands et Soviétiques. Que nous réserves-tu pour le seconde tome ?
Le tome 2 aura bien évidemment son lot de batailles de rue mais entrecoupées de moments de pause. Ceci étant, l’étau se resserre de plus en plus donc la tension n’arrête pas d’augmenter. Il y aura un peu plus de flashback par rapport à des personnages comme Christian que l’on voit à la fin du tome 1 avec sa compagne au bord de la mer. On aura un peu plus d’explications sur lui d’ailleurs, sur son engagement et tout ça. Après une première partie avec cette petite pause, on repartira dans les combats parce que la situation est comme ça, on arrive dans les derniers jours où la pression est accentuée et que les Russes veulent en finir.
Le succès semble être au rendez-vous avec cette nouvelle série, tu as même eu droit à ton heure de gloire avec un article dans Paris Match. Alors, heureux ?
Oui ça m’a fait très plaisir car vu le sujet de la série, je m’étais dit que j’allais surtout me faire démonter. Je privilégie toujours les personnages à un récit trop complexe, d’ailleurs une de mes références en la matière est Pierre Schoendoerffer qui avait écrit pas mal de livres, qui était reporter de guerre en Indochine et qui a réalisé des films. Son film le plus connu c’est La 317ème Section. C’est quelqu’un qui n’écrivait pas sur la guerre mais sur les hommes qui font la guerre et ça, ça fait toute la différence. Tu sais que tu écris sur des hommes donc tu écris de l’histoire humaine. C’est un peu comme si tu compares les films Le Jour le plus long avec Band of Brothers, le premier est un film sympa mais c’est mythifié alors qu’avec l’autre tu accompagnes les mecs depuis l’entraînement jusqu’à la fin de la guerre, tu as de vrais moments d’émotions.
Ressens-tu une certaine maturité désormais dans ton travail ou penses-tu pouvoir aller plus loin encore ?
C’est clair qu’il y a eu une évolution, souvent cela se voit déjà entre deux albums mais là peut-être encore plus car pour l’occasion j’ai travaillé sur un format plus grand. Ainsi je suis beaucoup plus à l’aise, je suis passé d’un format 50 x 32,5 cm à un format 50 x 65 cm. J’ai plus de place et donc de liberté, cela me permet d’être plus précis, de mieux travailler et de prendre plus de plaisir. Après cela prend évidemment un peu plus de temps, sur l’ancien format je pouvais faire deux planches par semaine alors que là je n’en fais qu’une.
En extrapolant un peu, est-ce qu’il y a une autre période de l’Histoire que tu aimerais aborder en BD ?
En fait, je vais continuer sur la seconde guerre mondiale avec la LVF, la Légion des Volontaires Français, donc chronologiquement avant la Charlemagne. Ce sera un récit assez complexe, très historique, qui débutera avant la guerre à la fin des années 30. Il y aura un fond politique avec pas mal pas mal de flashback et en même temps une partie pendant la seconde guerre mondiale comme je l’ai fait un peu sur Bombroad. Il y avait des flashback et des choses comme ça qui permettent de développer aussi les personnages et comment ils en sont arrivés à faire à tels ou tels choix et situations. D’une certaine façon, c’est un peu ce qu’ont fait Fabien Nury et Sylvain Vallée dans Il était une fois en France. J’ai beaucoup de documentation sur la période donc autant que je l’exploite et puis, encore une fois, c’est une période qui m’intéresse et qui est hyper riche en événements.
Le tome 2 est donc actuellement en cours de réalisation.
J’ai déjà réalisé la moitié du tome 2, il me restera ensuite le tome 3 à faire pour conclure le triptyque puis je m’attaquerais à mon projet sur la LVF. J’ai également d’autres projets en tant que scénariste, j’ai écrit un scénario sur la poche de Colmar, une région que je connais bien car c’est du côté de chez moi. C’est une bataille du même style que dans les Ardennes mais beaucoup moins connue, pourtant il y a eu des villages entiers rasés. Le dessinateur n’est pas encore choisi mais je cherche plutôt un dessinateur ligne claire, comme Olivier Dauger, parce que je veux vraiment que ça soit accessible à un large public. J’aimerais que ce soit un album que l’on pourrait présenter dans les collèges et dans les lycées de la région pour faire connaître l’Histoire de celle-ci aux plus jeunes.
Merci à toi d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau
Interview réalisée le 25 octobre 2019.
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