Il y a quelques mois s’est conclue la saga des Lames d’Âpretagne, une formidable épopée de fantasy, aussi drôle qu’inventive. Gros coup de cœur, cette série qui respire l’amour des histoires et des personnages bien écrits méritait bien qu’on revienne sur sa conception en compagnie de Luc Venries et Noë Monin, deux jeunes auteurs pleins de talent, à l’occasion de leur présence au festival Quai des Bulles.
Bonjour messieurs ! La série s’est conclue avec son troisième tome. Quels sont vos sentiments sur cette expérience ?
Noë Monin : Une intense satisfaction. Je suis très très fier de cette série, qui est un tremplin professionnel pour la suite. Même si ce n’était pas facile tous les jours de la dessiner, surtout vers la fin. 62 planches couleurs en un an, c’est compliqué à faire. Mais je suis très fier de ça. C’est vraiment un accomplissement total d’avoir enfin avoir bouclé une série BD. J’étais un peu abonné aux premiers tomes qui n’avaient pas de suite… Déjà dès le deuxième tome j’avais fait péter le champagne, dès le troisième tome, c’était bon, j’avais une série complète ! (rires)
Luc Venries : Je suis très content aussi d’avoir terminé. Et très fier. Le troisième tome n’a pas été simple, contrairement au deuxième. Il est assez dense, avec beaucoup de promesses à tenir. Ça n’a pas été simple de tout y mettre, mais je pense que le boulot est fait. Il a fallu fermer toutes les portes et ça passe plutôt bien, je pense.
NM : A la base, le projet qu’on avait présenté dans le dossier était prévu en quatre tomes de 46 planches. Du coup ce n’était pas le même rythme. Par contre, au niveau du nombre de pages, ça fait trois albums de 62 planches, c’est à peu près la même chose. Mais du coup le rythme n’est pas le même du tout, parce qu’il a fallu condenser beaucoup le premier tome. Le deuxième tome est plus léger, je m’y suis senti beaucoup plus libre. On connaissait les personnages, on savait quoi faire avec. Il n’y avait pas de scènes d’exposition, à part pour les méchants… enfin, l’Empire ce n’est pas vraiment des méchants, c’est des adversaires, des antagonistes. Et dans le troisième il a fallu boucler la boucle. Effectivement on a pensé le troisième comme un album miroir du premier, avec à peu près les mêmes thèmes, les mêmes aspirations, dans des lieux connus. J’avais très peur du troisième tome, parce qu’il y énormément de scènes de baston avec beaucoup de monde… C’était un défi de trouver un traitement graphique qui me faisait plaisir et faisait plaisir aux lecteurs après aussi, mais tout en ne me perdant pas dans les méandres du détail. J’étais tombé dedans dans le premier tome. Le premier tome était le premier album que je faisais intégralement en numérique et je suis tombé dans le piège du zoom. Je zoomais, je zoomais… il y a de magnifiques cases pleines de détails sur lesquelles j’ai passé deux semaines, j’exagère à peine ! (rires) Alors que dans le troisième tome, là j’ai changé complètement ma technique de dessin. C’est à dire que j’ai fait mon storyboard, j’ai fait mon crayonné en numérique et j’ai fait mon encrage en tradi. C’était imprimé, le format était en A3, du coup je ne pouvais pas aller au-delà de ce format, et donc ça m’a beaucoup cadré. Je me suis vraiment focalisé sur la narration, ce qui était accentué par la couleur car j’aime beaucoup les couleurs narratives qui mettent en avant ce qu’on veut faire voir au lecteur plutôt que de ne faire que de l’ambiance. Et jouer avec une couleur simple – pas simpliste mais simplifiée – pour aller à l’essentiel. C’est comme ça que j’ai réussi à tenir les délais.
LV : L’encrage tradi, moi personnellement je trouve ça beaucoup plus vivant. Je n’arrête pas de le répéter mais je suis très fan de ce passage au tradi. Je trouve que le troisième tome, au niveau dessin, est beaucoup plus abouti.
NM : Surtout parce qu’il a pu avoir des originaux ! (rires)
C’est vrai qu’on sent une réelle évolution d’un tome à l’autre.
NM : Ah oui, j’ai trouvé mon rythme de croisière à la fin du deuxième, et jusque sur le début du troisième, ce qui va à mon avis forger mon travail pour les séries à venir.
LV : C’était chouette de bosser sur cette série parce qu’on a pu essayer plein de trucs. C’était vraiment un labo.
NM : C’est en écho à ce qu’on faisait sur le blog. Je relis de temps en temps les notes qu’on avait faites sur le blog, il y a des trucs qui sont hyper mauvais mais d’autres qui sont vachement bien. On retrouve l’ambiance, les personnages qu’on a pu mettre dans les albums. Il y en a une qui m’amuse parce que on sentait le fait qu’on n’avait pas encore cerné les personnages de Van et Faust. Les deux caractères étaient totalement inversés : c’est Van qui réagissait comme Faust et Faust qui réagissait comme Van. Dans l’histoire, ça nous paraissait logique à l’époque. Et après, quand on relit, on se dit que ce n’est pas comme ça. Maintenant ça nous paraît tellement évident quand on les connaît depuis si longtemps…
LV : C’est ça, c’est des vieux copains. C’est con, mais moi ce qui m’a fait beaucoup vibrer à écrire ces albums, c’est de se rendre compte que c’était les personnages qui évoluaient et pas moi qui les dirigeait. Tu te fais surprendre toi-même alors que ça vient quand même de toi ! C’est incroyable parce que c’est le personnage qui te fait changer d’avis sur ce que tu veux lui faire faire.
NM : On avait un pitch de base, on savait à peu près où on allait. Mais plus on connaissait les personnages, plus on faisait évoluer ce pitch. D’un coup on se disait « non ça c’est pas possible, Van ne ferait jamais ça ». Ce sont devenus de vrais personnages à partir du moment où on s’est détaché d’eux complètement. A la base, c’était nos avatars. Van Oxymore était mon avatar de jeu de rôles, Faust était à peu près celui de Luc, et on a essayé de se détacher de ça petit à petit. On les a caricaturés et puis ce sont devenus vraiment des personnages à part entière. Et ça c’était vraiment jouissif quand c’est arrivé. Mais ça n’empêche pas quand même les copains de lire la BD en voyant Luc et Yoann dès que les persos apparaissent et c’est drôle.
Ces références et ces libertés, l’humour, on ressent ça dès le premier tome. Est-ce que cela aurait pu se faire autrement que dans un univers de fantasy ?
LV : En fait c’est un genre qu’on aime beaucoup. Et qu’on ne voit pas martyrisé mais assez mal utilisé. Enfin je veux dire caricaturer. On a l’impression qu’on est obligé de passer par des clichés et nous on avait envie de déconstruire tous ces clichés. On est passé au 21ème siècle, il y a des clichés de la fantasy qu’on aimerait bien ne plus voir. Je pense que c’est pour ça que la fantasy a mauvaise presse aussi. En mettant de la politique à l’intérieur de ça, Games of Thrones a un petit peu changer la donne pour le grand public. Mais ce n’est pas facile. On est en tout cas très fier d’essayer d’apporter un petit peu de changement dans le genre.
NM : On est content car des lecteurs et des lectrices reviennent vers nous en disant qu’ils n’aimaient pas la fantasy mais qu’ils aimaient beaucoup notre travail. Rien que ça, c’est une petite consécration.
On peut aussi souligner les dialogues, très savoureux.
NM : C’est la grande spécialité de Yoann, il n’est pas là mais il reste dans nos cœurs. (rires) Non vraiment, c’est sa spécialité. A la base, c’était lui que j’étais allé voir, pas Luc. Il faisait du jeu de rôles, j’adorais ce qu’il écrivait. Effectivement il avait un truc, il en faisait même des caisses à l’époque. Il a fallu travailler un peu…
LV : Et c’est là que j’entre en scène.
C’est un vrai travail en trio.
LV : Oui. Moi je m’occupe de l’histoire, de tout connecter. J’écris des dialogues d’intention et là dessus Yoann réécrit mes dialogues. Et y met de la forme. Moi je suis le fond, lui c’est la forme. Bon, il y a quand même quelques punchlines qui sont de moi ! (rires) Par dessus ça, Noë donne son avis aussi sur le scénario et on valide tous les trois de manière collégiale.
C’est cette connivence qui vous a permis de créer un tel univers ?
LV : Oui, et on a essayé de le densifier, même s’il y avait plein de petits trucs qui n’apparaissent pas dans les grandes lignes de l’histoire. Il y a plein de petits détails pour créer vraiment un univers. Il y a notamment une cohérence des blasons, on a créé une petite encyclopédie de tout ça.
NM : Dès le premier tome, Luc m’avait dessiné tous les blasons. Je ne savais pas où les mettre mais ils étaient là ! J’ai finalement réussi à les placer à la fin de l’album quand il y a un conseil de guerre avec tous les chefs, au dessus de leurs têtes. Je les ai repris dans la bataille finale, avec Luc qui me reprenait pour dire « non ce n’est pas ce blason, ces couleurs ». Ce sont ces petits détails qui font que l’univers se tient. Si on avait poussé, on a la carte.
LV : On a une carte car géographiquement ça fonctionne.
NM : A la base, on se demandait si on la mettrait en quatrième de couverture comme tout le monde… mais est ce que c’était utile ? Non car l’histoire est assez fluide en fait. Mais elle existe. Je sais que l’éditeur avait voulu un moment faire un ex-libris avec la carte en question, mais ça ne s’est pas fait. Je voulais faire un coffret à un moment, ça ne s’est pas fait non plus… Peut-être que si une intégrale se fait un jour, on glissera la carte dedans. Parce que j’adore faire les cartes. Trouver des noms pour des patelins où les persos n’iront jamais, j’adore ça. C’est mon côté rôliste ! (rires)
Est-ce qu’on peut envisager de vous voir travailler ensemble à nouveau ?
NM : Pas dans l’immédiat, mais bien sûr ! Je ne serais rien sans lui, il ne serait rien sans moi. (rires) On va attendre un peu mais ça se fera, on laisse décanter des idées.
LV : Il y a des grosses pistes quand même. Après ça dépend toujours du calendrier.
NM : Et puis Luc est un diesel. Mais après quand ça arrive, c’est bien… il faut juste que ça arrive un jour !
LV : « Un magicien n’est jamais en retard, ni en avance. Il arrive précisément à l’heure prévue ». Tout arrive toujours au moment où ça doit arriver.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury
Interview réalisée le 25 octobre 2019.
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