Toujours très actif sur des titres aussi variés que réussis, Rodolphe est revenu en début d’année avec une série hommage à la grande époque de la BD. Qui mieux que son complice sur l’album La Marque Jacobs pouvait mettre en images cette aventure policière dans les rues du Bruxelles des années 50 ? A l’occasion de sa venue au Salon du Livre de Paris, nous sommes allés à la rencontre de Louis Alloing pour qu’il nous présente Robert Sax, un projet qui comblera les nostalgiques.
Bonjour Louis. Robert Sax semble être un retour à un âge d’or, celui de la grande BD franco-belge, des années 50, de la ligne claire et de beaucoup d’influences ?
Oui, même si je suis toujours surpris quand on me catalogue complètement « ligne claire » car ce n’en est pas réellement, surtout quand on voit mes dessins en noir et blanc, il y a beaucoup de matière à l’intérieur. Même si la couverture est dans cet esprit, ce n’est pas pour moi vraiment de la ligne claire. Maintenant, qu’il y ait des rappels à ce qui a été fait à cette époque-là, oui, bien sûr. On est tous plus ou moins influencés par ça, on le retrouve chez beaucoup d’auteurs.
Dans la chronique de l’album, on parle d’ailleurs d’une « ligne claire arrangée », qui vous est personnelle.
Je préfère ! (rires) Quand on met une planche de Blake et Mortimer à côté de la mienne, ça n’a rien à voir. Il y a des influences mais on n’est pas dans la copie.
On n’est pas dans une reprise de série ancienne…
Non, et j’essaie justement de m’échapper de plus en plus de cette école.
Il y a d’ailleurs plus d’expressivité dans vos personnages.
C’est sympa de me dire ça car c’est quelque chose que j’essaie d’obtenir, pour que ça reste très expressif. C’est aussi l’influence de ce que j’ai fait avant. J’ai beaucoup travaillé pour Bayard, chez qui on demande beaucoup – puisque c’est un public d’enfants – que ce soit le plus expressif possible.
Sur la série Marion Duval ?
Oui, une série que je continue en parallèle.
Ce n’est pas trop difficile de passer de l’un à l’autre, en touchant deux types de lecteurs très différents ?
Oui, car mon apport au scénario n’est pas le même. Sur Marion Duval, je n’interviens quasiment pas sur les scénarios, je peux faire modifier quelques scènes pour une question de continuité, mais pas plus. Pour Robert Sax, j’interviens un peu plus. Je peux retravailler des scènes qui ne conviennent pas avec Rodolphe. Mais il y a une grande parenté entre les deux, et ça reste la même approche, même si les décors pour Robert Sax demandent à être beaucoup plus fouillés et moins schématiques.
Dans cette nouvelle série, rien ne peut être approximatif, avec une date et lieu très précis !
Absolument ! Cela dit, quand on me demande de dessiner Conflans-Sainte-Honorine dans Marion Duval, je dois dessiner la ville exacte, pas autre chose. Mais là, c’est vrai qu’on a choisi ce cadre de Bruxelles qui n’a quasiment jamais été traité dans la bande dessinée, même par les grands auteurs belges, Hergé ou Franquin, chez qui on ne sent pas beaucoup de parenté avec les lieux. Moi j’ai voulu situer l’action dans cette ville que j’aime beaucoup, qui a énormément de charme et qui était la patrie de mes héros préférés. Ça m’a séduit de prendre cette ville-là car en plus elle est agréable à dessiner. Difficile aussi car elle change tout le temps, entre la ville en 1900, celle en 1950, en 1970, il y a toujours eu des constructions, des aménagements, qui font que ce n’est pas toujours simple de trouver de la documentation.
Vous êtes-vous imprégné des lieux au moment de commencer la série ?
Ma fille habite sur place, mon frère y a habité aussi, donc j’y vais très régulièrement. Certaines choses ont évolué, des parties historiques entières ont été rasées, mais le cadre reste le même. Il est assez fabuleux.
Quant aux années 50, était-ce une envie conjointe avec Rodolphe ?
En fait, suite à l’album La Marque Jacobs, où la plupart des scènes se passaient ces années-là, nous avons été séduits tous les deux par cette idée de retrouver cette ambiance, qui est aussi celle de notre enfance. Beaucoup de choses étaient donc faites pour nous plaire.
Pour un dessinateur, ça doit être une époque fabuleuse à retranscrire ?
Par rapport à maintenant, c’est beaucoup moins uniformisé : les voitures ne se ressemblaient pas toutes, les vêtements non plus, les femmes étaient très chic, les hommes aussi… Aujourd’hui, on est presque habillé en pyjama ! (rires) J’aimais beaucoup ce chic, pour moi c’est l’image de Grace Kelly qui représente ces années 50. J’ai donc parcouru beaucoup de sites qui parlaient de mode, pour les femmes ou pour les hommes. Ça me plaît beaucoup, c’est très agréable.
L’idée de l’intrigue vous est-elle aussi venue rapidement ?
Oui, on voulait faire dans le roman policier, dans cette ambiance bruxelloise des années 50. On est tombé assez rapidement d’accord. L’idée de l’Exposition Universelle de 1958 vient de Rodolphe. C’est ce qui permet de placer le scénario à cet endroit et à cette date, d’autant qu’il y avait eu plein de travaux en ville juste avant pour préparer cet événement, c’est un moment de transition important au point du vue de l’urbanisme dans Bruxelles. En plus, dans ces années 50/60, il y a encore cette sorte d’utopie, l’idée du progrès permanent, qu’on retrouve souvent dans les BD de Franquin, avec cette modernité mise en avant et cette énergie que j’aimerais essayer de retrouver un peu.
Le personnage principal n’est pas spécialement classique, un peu largué, pas très actif au début…
Il n’est pas du tout parfait ! C’est un héritier, qui s’emmerde dans son garage, avec une histoire qui lui tombe dessus par hasard. Mais ce n’est pas non plus un loser, un mec qui se laisse dicter sa vie. Il prend des initiatives, sans être le héros symbolique à l’ancienne. Son garage n’a pas été évident à dessiner, même avec de la doc car je n’ai rien trouvé de vraiment complet. A l’époque, les gens n’avaient pas le réflexe de photographier leur garage. Pourtant c’est un univers fascinant.
C’est un QG assez étonnant.
Merci ! En même temps, ça servira dans l’histoire. Au départ, Rodolphe voulait en faire un écrivain. Je lui ai dit que son environnement serait limité, avec une bibliothèque, des livres… Ce n’était pas un truc qui me branchait vraiment. On a cherché et on a pensé à un garage. Avec les voitures dedans, ça devenait sympa à dessiner. On est donc parti là-dessus.
Avez-vous utilisé beaucoup de documentation pour les véhicules en particulier ou vous êtes-vous offert des libertés ?
J’aime être précis de ce côté-là, je préfère montrer une voiture telle qu’elle existe plutôt que la transformer. Dès que c’est un peu ligne claire, je pense qu’il y a besoin d’avoir du réalisme dans la forme des objets pour que ce soit crédible. C’était le cas chez quelqu’un comme Jacobs, lui qui était un ancien dessinateur de catalogue, pour qui tous les objets étaient très précis. J’aime bien cette rigueur. L’avantage est que, sur internet, on trouve tout. Vraiment tout. J’ai même vu un site qui traitait de l’éclairage urbain, les panneaux, les lampadaires, à travers toutes les époques. Alors pour les voitures, c’est forcément une mine importante. C’est beaucoup plus simple qu’avant, quand il fallait acheter des bouquins. J’en ai chez moi sur toutes les Peugeot et les Renault, ça charge la bibliothèque ! (rires)
En dessinant, vous pensez parfois à des maîtres de la ligne claire ou c’est un style naturel ?
Non, c’est à dire que j’ai toujours dessiné comme ça. J’ai commencé ma carrière chez Bayard Presse, auprès de gens qui étaient très friands de ligne claire parce que ça parle très facilement aux enfants. Il y a une sorte de simplicité et de poésie. Moi, j’avais aussi beaucoup d’admiration pour ce style. J’ai donc continué de cette façon.
C’est pourtant ingrat, car ça paraît simple mais c’est un dessin très exigeant, non ?
Exactement, car il y a un problème de schématisation. Quand on met plein de choses à l’intérieur d’une forme, l’œil peut y trouver quelque chose, ça rattrape des approximations. En ligne claire, si une forme n’est pas correcte, c’est terminé, tout devient bancal. Mais il y a une lisibilité très intéressante.
Est-ce qu’on peut aussi se sentir en quelque sorte héritier d’une lignée de grands auteurs ?
C’est vrai qu’il m’est resté des souvenirs de quand j’étais enfant et qu’il y a un plaisir à se retrouver dans ce milieu. Je n’ai pas la prétention d’être le continuateur de dessinateurs aussi célèbres qu’Hergé ou Jacobs, mais en même temps c’est vrai que ça donne un petit sentiment d’appartenance à la famille.
La suite de Robert Sax est déjà annoncée en fin d’album. La suite est prévue rapidement ?
C’est vrai que c’est marqué à venir au premier trimestre 2016, alors… je vais essayer ! (rires) Parce que c’est rapide, ils m’ont quand même mis un peu la pression ! Mon problème est que j’ai en fait deux BD, et que l’autre, Marion Duval, est pré-publiée. J’ai donc des délais très stricts, il faut que ça tombe ou ça ne paraît pas.
Pour vous faire plaisir, Delcourt a donc mis un deuxième délai à atteindre ? (rires)
Oui ! (rires) Dans leur logique d’éditeur, qui est tout à fait normale, un album doit avoir une suite derrière ou les gens l’oublient. Surtout avec le nombre de tomes qui paraissent chaque année.
En restant à Bruxelles ?
Ah oui ! Peut-être que si on fait un troisième tome, on essaiera un peu d’en sortir. Moi, j’ai très envie de dessiner la côté belge, toute la région d’Anvers, Knokke-le-Zoute, des endroits que j’apprécie aussi beaucoup. On ne pourra de toute façon pas toujours rester dans Bruxelles, même si un Tardi réussit à rester à Paris pour Adèle Blanc-Sec. Quant au ton, le premier tome est très centré espionnage, alors que le deuxième que je suis en train de faire est beaucoup plus polar. Il y a énormément de possibilités à cette époque, coincée entre le Bloc de l’Est et l’Ouest. Bruxelles était le centre de l’Europe, avec le quartier général de l’OTAN notamment et plein de choses qui s’y passaient.
Rendez-vous début 2016 alors !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 21 mars 2015.
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