L’excellent festival Quai des Bulles de Saint-Malo est souvent l’occasion de parler d’œuvres touchant au patrimoine local ou d’auteurs bretons. A travers Fox-Boy, super-héros rennais, voilà le moyen de faire coup double ! Passionné et passionnant, Laurent Lefeuvre est revenu avec nous sur les origines de son personnage et sa vision des comics qui l’ont bercé et de leur évolution.
Fox Boy, c’était le rêve de faire une série de super héros ou c’était le rêve d’enfant de devenir un super-héros ?
C’est une bonne question, tiens ! Est-ce que je voulais être un super-héros ? Oui, sans doute au début. Mais comme on se dit que ce n’est pas possible, par contre, c’est possible d’en dessiner. Mais la bascule doit se faire très vite. C’est vrai que l’Homme-Léopard – ou Le Léopard de Lime Street – qui est une référence vraiment évidente pour ceux qui connaissent un peu le petit format, était une bande dessinée anglaise que je lisais gamin, qui m’a beaucoup influencé et qui me donnait envie d’être un super-héros parce que ça ne se passait pas sur des gratte-ciels, il ne bougeait pas en haut des 200 étages, il passait d’un toit d’une maison à l’autre. Et je trouvais ça génial. La série était effectivement une sorte de Spider-Man anglais… Sans que ce soit vraiment réfléchi, c’est après coup que je me disais : « bon sang, mon personnage lui ressemble, j’essaie de m’éloigner, ça y ressemble, j’essaie… » A un moment, je me dis : « ce gamin qui veut être super-héros, qui n’est pas un designer Marvel, il va forcément piquer, piocher, plagier, imiter ». Donc, soit je prends du Marvel d’ici et là et on va me dire « tu n’as aucune imagination », soit je me rapproche finalement de ce truc anglais, un peu plus personnel en plus, parce que ça partait d’une grosse copie de Spider-Man, avec Billy Farmer au lieu de Peter Parker, griffé par un léopard radioactif, qui attrape les sens d’un félin, vit chez son oncle et sa tante – comme Harry Potter, vous me direz, mais aussi surtout comme Peter Parker – et qui, pour aider sa tante à payer les factures, vend des photos de l’Homme-Léopard au journal local tenu par un radin acariâtre qui part ailleurs mène une campagne de dénigrement de l’homme léopard…
Ça rappelle quelque chose !
Vaguement. (rires) Et je me dis mais oui c’est génial ! Quitte à emprunter la ressemblance de mon personnage, ce n’est pas gênant que ce soit celui-là. Parce que celui-là est déjà connu comme une espèce de Spider-Man et ça n’était pas gênant parce que dans la série de L’Homme-Léopard, on oubliait très vite Spider-Man. On lisait et on était dans ces histoires de collège, de grosses brutes, de cambrioleurs déguisés en chauve-souris ou autres. C’était vraiment réadapté à l’Angleterre des années 80. Et je me suis dit, voilà, allons-y, lui, ok, il part d’un principe de départ qui copie un costume. Qu’est-ce qui ressemble plus à un super-héros qu’un autre super héros ? Pareil pour un cow-boy : un Stetson, un chapeau, des flingues, le menton en avant et les yeux froids. Voilà ! Allons-y, assumons ! Ce qui m’étonne chez Kick-Ass, c’est qu’il a un costume qui ne ressemble à rien, même pas une combinaison de ski. Je me dis que le mien, c’est une autre voie, la troisième voie. La première voie des super-héros Marvel d’ici est : nos costumes sont cool parce que c’est comme ça. La deuxième voie, c’est Kick-Ass : j’adore les super-héros, je veux en devenir un mais mon costume ne ressemble à rien puisque je l’ai acheté sur eBay. Moi, ma voie, celle du renard – ça fait truc de samouraï ! (rires) – c’est : j’aime les super-héros, je vais un petit peu piquer par-ci par-là de leurs costumes parce que je ne sais pas dessiner. J’ai vaguement des pouvoirs mais je ne suis pas un créateur-designer, je ne sais pas coudre un bouton. D’où l’idée d’aller voir une association de cosplay, de bricoler un peu, ce sont les solutions logiques. Ce sont les solutions qu’un ado pas trop idiot pourrait trouver. Il n’est pas intelligent, il est malin. C’est le type qui grille la queue, qui fait semblant de rien, c’est le petit malin qui méprise son prochain. Donc ce sont des solutions de petits cons. Voilà !
C’est vraiment, la super idée de l’album : ce personnage qui n’a rien d’un héros, qui est tout à fait ordinaire, de son temps, qui a des qualités et des défauts, pas que des qualités loin de là…
Non, il est franchement détestable. Quand je dis que c’est un petit con… Disons que j’ouvre la porte moi-même avant qu’on puisse le dire. Après, j’ai essayé de faire en sorte de marcher sur un fil, c’est-à-dire qu’il ne soit pas non plus… vraiment, s’il était facho et irrécupérable, c’était terminé. Donc il fallait être un peu sur un fil, qu’on lui reconnaisse quelque chose, il a d’ailleurs une copine, Anaïs, qui l’aime bien vraisemblablement, cette fille plus intelligente a dû connaître ce Paul avant qu’il devienne l’ado arrogant qu’il est. Peut-être qu’il n’est pas trop tard. Un peu comme Scrooge dans Un Chant de Noël de Charles Dickens, avant les fantômes du passé, du présent et de l’avenir. C’est cette idée-là qui me plait. Voir les super-pouvoirs comme l’opportunité d’une transformation, un événement fort qui bouge les certitudes, qui bouge les lignes, qui vous chahute. Un passage important, un peu comme faire l’amour, en fait. Comme quand on est des ados vantards qui bombent le torse, un peu agressifs, qui sont soit-disant sortis avec trois Suédoises chaque été alors que le reste de l’année ce n’était rien du tout. Lui c’est un peu ça : cette découverte, ce sens supplémentaire, ce contact avec la nature et les éléments le bouleversent profondément, comme une révélation pour la foi. J’essayais de décrire un peu ça dans ce passage un peu initiatique. Lui-même est étonné de se voir changer, au moins autant moralement que physiquement. Ce n’est pas Superman, ne vous attendez pas à de gros pouvoirs et des voyages de planète en planète, ce n’est pas du tout l’enjeu. Ce n’est même pas Daredevil, mon personnage. Ce n’est pas dans le spectaculaire. Absolument pas. Quelque part, on pourrait même penser que c’est un gamin, hypnotisé, qui rêve qu’il a des pouvoirs. C’est à peine plus que ça, c’est ça qui est plaisant. On passe non pas de l’ordinaire à l’extraordinaire mais on passe de l’ordinaire au super, pour prendre une métaphore de carburant de voiture.
Était-ce une volonté depuis le départ de prendre Rennes pour cadre ?
La ville de Rennes, c’est tout simplement parce que je suis Rennais, j’y suis né, j’y vis. Je connais la ville par cœur. Je connais le lycée où il est, j’y étais. C’est le plus vieux lycée de Bretagne. C’est une sorte de Poudlard qui doit dater du XVIème siècle, où il y a eu Chateaubriand, Alfred Jarry qui a écrit Le Père Ubu sur les bancs d’une salle de physique où moi-même j’étais élève. C’est un lycée extraordinaire, fichu comme un couvent avec des cours à colonnes, etc. C’est un endroit extraordinaire. Donc, voilà, c’est un vrai personnage. L’idée, c’est que je ne m’adresse pas aux Rennais en disant que c’est votre ville, comme toutes ces BD locales avec le château du coin. L’idée est de dire que c’est un super-héros breton dans le sens où ce n’est pas un héros américain importé pour l’Europe. Ce n’est pas Gotham, ce n’est pas New York. Je serai ridicule d’aller sur ce terrain-là puisque je n’y ai jamais mis les pieds. Essayons de ré-enchanter les lieux dans lesquels on vit pour reprendre la formule que j’ai utilisé chez Casemate. Mais c’est ça : portons un regard neuf. C’est le rôle des auteurs de dire aux gamins que ce n’est pas leur boulot, eux qui eux recherchent du super-héros et regardent Walking Dead, Spider-Man, Batman et tout ça. Moi, gamin, je pense que j’aurais aimé – tout comme j’ai aimé lire Photonik et Mikros à l’époque – voir quelque chose qui ne se serait peut-être pas forcément passé dans ma ville, mais au moins avec les policiers, les gens, l’actualité et quelque chose qui ressemble à l’univers dans lequel je suis. Avec quelqu’un qui regarde le même JT que moi le soir, qui a les même références parce qu’il y a une proximité, du coup les codes que je vais pouvoir donner à mon personnage sont plus intimes avec le lecteur.
Et simplement l’envie de créer un super héros est quelque chose qui date d’avant vos premières séries, de vos premiers travaux qui ne pouvait pas se faire ou difficilement ?
Oui, parce que suite à Tom et William, mon premier album paru au Lombard en 2010, donc dans le sacro-saint du franco-belge, je rendais un hommage au petit format et un peu aux comics aussi. A la suite de ce livre, je me disais un peu bêtement que ça y était, ça allait être cool, que j’allais pouvoir bosser sur des projets maintenant qu’on avait compris ce que j’avais un peu envie de faire. En fait, ça a été très dur, j’ai fait plusieurs projets, je n’ai rien réussi à signer. Je connaissais un petit peu Thierry Mornet qui travaillait déjà chez Delcourt, mais plus en achat de droits – dont Walking Dead, Hellboy, The Goon, Spawn, Star Wars, etc., un super catalogue comics, très cohérent – et il me donnait des pistes, des idées : « va voir untel… ce n’est pas possible, pourquoi il ne prend pas ça ? » Et lui-même à l’époque n’était pas encore éditeur. Et puis, la collection Comics Fabric qu’il chapote avec David Chauvel est arrivée. Je lui ai présenté à nouveau le premier comic book qui regroupe les premiers épisodes que je faisais du garçon-renard puisqu’il existait d’abord en 2011 sous forme de feuilletons diffusés dans un journal en breton. Donc ça fait trois ans aujourd’hui que les lecteurs bretons – puis occitans puisque c’est décliné en occitan sous le nom de Mandrek – connaissent ce fameux garçon-renard, Paotr Louarn en breton. Et du coup, j’ai fait ce comic book et je l’ai montré à Thierry, entre temps les choses avaient un peu changé chez Delcourt, et il m’a dit : « Banco, on repart à zéro. On ne va pas publier ces premières histoires, on va repartir sur un format pensé et adapté directement pour Delcourt. » De là, l’idée de m’éloigner d’un portrait assez simple, d’une sorte de Peter Parker, plutôt sympathique, un ado qui a des pouvoirs, une identité secrète et qui jongle avec tout ça – une sorte de Spider-Man breton, moi aussi je retombais dedans. Et du coup, avec l’idée de le rendre moins sympa et d’en faire le personnage un peu salopard qu’il est devenu par la suite. Un peu plus d’aspérités pour qu’on parte de plus loin et qu’on prenne le risque de prendre un tome complet où on le voit finalement très peu en costume, très peu en situation, le parcours initiatique d’un gamin.
Sinon, qu’est-ce qui est le plus plaisant à dessiner ? Les postures typiques des super-héros, les positions sur le toit…
C’est un peu tout ça. C’est un peu pour ça qu’on fait du super-héros, c’est pour se la jouer, en fait. Pour bien se la jouer : je suis Stan Lee, je suis machin, effectivement il y a de ça, il ne faut pas raconter d’histoire. D’ailleurs, si je lis du super-héros, c’est toujours pour retrouver un peu ce côté gamin qui n’a pas grandi. Ça, c’est évident.
Est-ce que ça fait plaisir de voir son personnage prendre vie ?
Oui, et de surprendre les gens. L’envie de prendre des codes et de rester à la marge du genre. Je cite souvent Impitoyable, un des meilleurs westerns parce qu’il est à la marge. C’est dur de faire un western après celui-là. Et moi, ce que j’aime dans le super-héros est d’en prendre certains et d’en oublier d’autres. Les gens me demandent souvent quel sera son ennemi, parce qu’ils sont tellement formatés au fait que, dès qu’un type a vaguement des pouvoirs, il y a un double négatif un peu supérieur histoire que ce soit un peu plus compliqué, mais justement NON, ne le faisons pas, surtout pas, jamais ! Il y aura d’autres choses, plein d’autres choses, peut-être même qu’il y aura de la misère sociale, de l’isolement de Facebook, des problèmes de gaz de schiste où en faisant des forages on va libérer des choses, peut-être du fantastique à la Lovecraft ou de conte breton ou peut être de la science-fiction, partir du génétique. Il y a une usine Monsanto installé très discrètement au nord de Rennes, j’ai des copains journalistes sur le coup qui m’en parlent, ils ne peuvent pas trop sortir de papier, ce n’est pas étayé. Ce sont des viviers pour créer des histoires. Je fais des BD reportages pour la ville de Rennes qui sont visibles sur le site de la ville. Des fois on va voir des policiers qui travaillent avec des jeunes dans la rue ou le quarantième anniversaire d’Emmaüs, des fois c’est sur les Transmusicales. On rencontre des gens passionnants et intéressants qui ont plein de choses à raconter et de là naissent plein d’idées de cadres. Moi, j’adorerais faire quelque chose de Fox-Boy avec les compagnons Emmaüs, ce sont des décors incroyables : des montagnes d’objets, de trucs à recycler, des livres. C’est un univers vraiment fascinant. Retomber dans un super-Bouffon ou un sous-Magneto n’a aucun intérêt. Ça a été fait mille fois, et mieux. Utilisons ce qu’on a de local, recréons nos propres variétés de patates avant de pleurer qu’il n y’ait plus qu’une seule variété pour la planète entière… revoir le chapitre Monsanto cité plus haut. Voilà ! Recréons de la diversité. Il n’y a pas que la mondialisation de l’argent, il y a aussi la mondialisation et l’uniformisation des imaginaires. Partout où on va maintenant, il y a un Pikachu, un Wolverine, un costume de catcheur américain et c’est partout dans toutes les grandes capitales de la planète. Fox-Boy, très petitement, c’est le début, ce n’est rien, mais en tant qu’auteur, on a, nous, cette possibilité de tenter quelque chose, de dire qu’on a au moins cette marge de manœuvre-là. Tout le monde ne l’a pas, tout le monde n’est pas dessinateur. Moi, je fais le pari qu’il y a des lecteurs qui se disent que c’est ce genre de démarche qui les intéressent parce que les autres démarches commerciales qu’on voit arriver à 4 kilomètres, qu’on voit déclinées en collections de 7 ou 11 machins, ça va, on a compris : où est l’histoire, où est le principe un peu différent, quel intérêt de refaire ça si ça a déjà été fait plus ou moins mille fois ? Certes, c’est du super-héros, c’est de la recette archi-rabâchée, mais je prétends qu’il y a une marge de manœuvre qui permet de faire quelque chose avec un goût différent.
Ce qui fait penser au virage qu’a pris Kick-Ass moins intéressant quand il est sorti de son truc justement typique qui était de régler les problèmes de voisinage. La série a perdu à partir du moment où il y avait un super-méchant.
Et en plus oui, il faut passer par autre chose que l’ultra-violence. Dans les histoires que je lisais, on parlait beaucoup de la censure sur les éditions Lug, sauf que souvent les bandes dessinées de Frank Miller, par exemple, étaient extrêmement graphiques, il n’y avait pas besoin de dessiner l’intérieur d’une tête, même si on trouve ça très cool quand on a 12 ans, je regardais Ken le Survivant et ça m’éclatait. Ceci dit, pas besoin de faire tout ça, on peut raconter des choses plus simples sans passer par la violence, le sexe etc. Gamin, j’adorais regarder Les Goonies, Indiana Jones, un paquet d’histoires où les thèmes adultes pouvaient passer sans de l’ultra-violence. Après, il y a eu Spawn, ces trucs-là qui m’ont éloigné des comics pendant quelques années, toute cette génération chez Image Comics, en tout cas celle des débuts, qui m’a complètement éloigné et même quasiment fait lâché le truc parce que pour moi, les personnages étaient des coquilles vides, pleines de poses, d’attitude qui disaient « Fuck you », mais qui allègrement faisaient tout ce que la censure et le code, le fameux code des comics, leur interdisait de faire. Sauf que les scénarios n’ont rien gagné, l’émotion n’était plus là, les histoires n’étaient plus là, les renversements de situation, les nuances de personnages, tout ça à mon sens, et ce que j’en lisais, n’existait plus. Il y avait même une négation de la continuité des personnages qui pourtant avaient continué d’évoluer plusieurs décennies. J’aime bien l’idée qu’on puisse s’adresser à du grand public, qu’un gamin de 10 ans puisse lire ma BD sans qu’il y ait des jets de sang et sans pour autant qu’il soit infantilisé ou qu’on retombe comme dans Kick-Ass sur certaines facilités. Comme si, dès qu’on sort un tout petit peu du bain chaud, on a tout suite froid et on va se rassurer en y retournant. Non, il faut se dire qu’il y a tellement d’autres possibilités. Les gens lisent des auteurs parce que je pense qu’ils attendent d’eux d’avoir des idées pour les emmener dans d’autres ailleurs, d’autres merveilleux ailleurs. Le super-héros à Rennes, pourquoi pas ? Tout est possible. On peut traiter de tout : de politique, d’écologie, de drames sociaux, mais aussi bagarres de super-héros et de poses sur le toit parce que ça fait plaisir aussi. Voilà, l’idée c’est ça.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 11 octobre 2014.
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