Nous ne pouvions arpenter Quai des Bulles sans partir à la recherche du seul véritable super-héros de bande dessinée, Imbattable… Sans doute vexé par la présence d’Astérix et Obélix à l’entrée du festival, il ne s’est pas montré, mais nous avons mis la main sur son papa, Pascal Jousselin.
Bonjour Pascal ! Imbattable a rapidement trouvé son public dans Spirou, qui a salué l’inventivité des gags. Comment avez-vous vécu ça ?
Euh, ça m’a fait plaisir mais bon après… c’est quand même venu progressivement. On a eu quelques mails, en effet, lors de la parution d’Imbattable. Ils semblaient plutôt contents mais ce n’est pas non plus… On est content que son travail soit reconnu mais voilà… je ne suis pas digne… comment vous avez tourné le truc ? Le succès, ouais, voilà, moi je n’ai pas défini ça comme un succès. J’ai dit « ah, c’est cool ». Déjà, j’étais content qu’on me fasse confiance et que ce projet soit pris chez Spirou. J’y suis entré de manière pas hyper préméditée parce qu’en fait, je n’avais fait que deux planches, les deux premières qui sont dans l’album, et je me suis dit « peut-être que ça intéressera Spirou ». J’ai envoyé ça à la rédaction, que je ne connaissais pas – je ne connaissais personne là-bas – et ils m’ont répondu que ça les intéressait. Donc, suite à ça, j’ai continué un peu et vers les planches 3 et 4, c’est là que j’ai aussi commencé à me poser des questions : j’ai dit à Frédéric Niffle, quand il a accepté le projet, « vous savez, je vais faire 10 pages et j’aurai fait le tour de la question » et c’est en faisant les premières pages que je me suis rendu compte que ça pouvait me permettre plus de choses que ce que je pensais. Donc le projet s’est développé vraiment petit à petit. À aucun moment, quand je suis allé chez Spirou, je suis arrivé avec l’idée d’un album. Les bons retours des lecteurs qu’on a eus, je ne me suis pas dit « c’est cool, ça me permettra de faire un album ». Parce que ce n’était pas du tout l’idée.
Ça ne vous a pas motivé davantage à trouver des idées, ce plébiscite ?
Euh… Non, non. En général, je me motive tout seul. Parce que je sais aussi que c’était à double tranchant, cette histoire : le concept est tellement simple que j’avais peur que ça tourne en rond. C’est pour ça que j’avais dit à Frédéric Niffle que je ne pensais pas pouvoir faire beaucoup de planches.
Ce qu’on se dit, en lisant vos planches, c’est que le temps de préparation d’un gag doit être colossal : il faut penser à l’ordre des cases. Comment ça se passe ?
Oui, c’est long. Oui, oui, c’est long.
Beaucoup de réflexion…
Oui, voilà. Frédéric Niffle m’a demandé : « Il y a moyen que tu continues ? » J’ai dit « ouais mais déjà, ce ne sera pas toutes les semaines, sinon je vais tourner en rond, et donc, pour ne pas tourner en rond, il faut que vous me laissiez faire des histoires de pagination variable. Si j’ai une idée qui mérite quatre pages, je fais quatre pages, si j’ai une idée qui fait trois, six… ». En fait, en faisant comme ça, il ne pouvait rien programmer.
Finalement, entre les gags en une planche ou ceux en plusieurs pages, vous n’avez pas de préférence…
C’est selon l’inspiration, encore que ! Le fait d’éviter de tourner en rond, c’est aussi pour sortir des gags en une planche… qu’il puisse rencontrer des personnages, qu’on puisse faire des histoires plus complexes… Par exemple, il y a quelque temps, j’avais noté une idée en me disant « tiens, Imbattable pourrait, avec son aspirateur, aspirer l’arme du méchant qui est le strip en dessous ». Cette idée-là, je l’aurais eue pendant les 15 premières pages, je l’aurais adaptée en gag en une planche. Maintenant, il y a ce passif, ce n’est pas assez riche pour tenir dans un gag en une planche donc je le mets de côté et ce sera plutôt dans une histoire plus longue, comme un rebondissement seulement. Tout au début, je me serais autorisé à le faire en une planche. Aujourd’hui, j’estime que ce serait répétitif ou déceptif.
Plus on avance et plus il faut être original pour ne pas se répéter, c’est compliqué…
Oui ! C’est pour ça que je n’avais pas poussé Spirou à faire un album parce que je voyais le temps passer et je me disais « peut-être que je vais pouvoir faire un album » puis je continuais, « peut-être que je vais réussir à faire que 60 pages ou 80 » puis « ce serait peut-être bien de ne faire qu’un seul gros album » et puis… je ne sais plus quelle était la question… (rires)
C’était ça ! L’inventivité. Par exemple, dans Rififi pour Toudi, il y a un découpage très particulier, vous pensiez à ça dès le départ ?
Quand j’ai créé Imbattable ?
Oui. Vous étiez d’abord sur le côté « je fais des gags en une planche » et après…
Non non. Moi, j’ai été marqué par tous les gens que je lisais gamin, par Fred, par Gotlib, par Marc-Antoine Mathieu… par des gens qui jouaient avec le langage BD. Les trucs à contraintes, etc. Qu’est-ce qui fait la spécificité de la bande dessinée ? Il y a certains gags qu’il faut adapter différemment si on les fait sous forme de bande dessinée, de dessin animé ou avec des acteurs en « live ». Le même gag va avoir des variations… J’estime que c’est intéressant. Donc, le postulat d’Imbattable, c’était de développer un personnage qui a un pouvoir qui ne peut exister qu’en bande dessinée. Si on le transpose au cinéma ou en roman, il perd tous ses pouvoirs (rires). C’était vraiment ce postulat. Ensuite, il y a eu l’idée d’autres pouvoirs. Mais comme j’avais fait une dizaine de planches, je trouvais ça bizarre que, tout d’un coup, on dise « tiens, au fait, Imbattable il a aussi ça comme pouvoir ». Au contraire, j’ai pensé utiliser ça pour qu’il affronte des personnages. Il y avait d’abord la liberté sur la longueur des histoires, puis je me suis dit que je pouvais faire un truc sur les bulles. La complexité, maintenant, c’était d’intégrer ça dans l’univers parce que, pendant ce temps-là, il s’est développé, le temps s’est développé et il y a quand même une espèce de cadre, ce qui devient compliqué. Pour faire simple, quand je me dis « tiens, je vais faire un personnage qui aura un pouvoir lié à tel truc », comme on est dans un univers où tout est décalé, il faut que je trouve une manière pertinente d’amener ce protagoniste. Je dépense presque plus d’énergie sur certaines histoires à trouver l’angle d’attaque pour en faire une histoire intéressante… euh, j’ai des trucs d’avance, alors je ne voudrais pas « spoiler » (rires). Quand j’ai fait Pépé Cochonnet, qui maîtrise les bulles, je me suis dit : « bon, à partir du moment où on fait un truc comme ça, qu’est-ce que ça permet ? » C’est presque un truc mathématique. Il faut essayer d’en mettre le maximum dans l’histoire en question mais je savais que je n’allais pas tout utiliser. Le trou dans la page, qui moi m’a marqué chez Mathieu quand j’étais lycéen… je sais que ce truc, on va ne le faire qu’une fois ! Je pars du principe qu’on ne va le voir qu’une fois.
Pourtant, vous prévoyez de faire revenir certains personnages…
Je ne me l’interdis pas, oui. Avec Le Plaisantin, c’est ce qui est arrivé, en fait. Ce n’est pas dans le tome 1 mais dans Spirou, il y a eu une histoire où il s’échappe de prison et ça, je l’ai juste fait parce que j’estimais ne pas avoir fait le tour.
Il s’évade donc il y a possibilité de le réutiliser après.
Oui, en fait c’est plus l’inverse : je pourrais lui faire faire ça donc faisons-le s’évader ! (rires)
Au bout de combien de temps avez-vous eu l’idée d’assortir Imbattable d’un « Robin », Two-D Boy ?
Euh…
C’était pour faire encore plus super-héros ?…
Oui alors ça, c’est bizarre… Le fait qu’il soit petit, gros, qu’il soit tout le temps en costume, qu’on le voie faire des tâches ménagères, c’est un truc que je n’ai pas fait de manière préméditée. Je ne me voyais pas faire un truc premier degré. Il n’habite pas à Gotham City, il vit dans un petit lotissement, il n’est pas copain avec le FBI mais avec des gendarmes… Les gens qu’il rencontre devaient s’inscrire dans cette logique. C’est pour ça que j’ai eu du mal à lui faire son premier vrai ennemi : Pépé Cochonnet à la base, j’y ai pensé et puis je n’arrivais à faire un ennemi dans cet univers, donc j’en ai fait un faux, qui partait sur un malentendu. Il a fallu attendre Le Plaisantin pour arriver à lui créer un ennemi vraiment méchant…
Justement, Imbattable n’est pas le premier super-héros que vous créez. Voltige [dans Voltige et Ratatouille], c’est un super-héros…
Oui, alors Voltige c’est un cas un peu particulier : c’est un projet d’un petit éditeur qui avait envie qu’on fasse quelque chose qui puisse être repris, dessiné à chaque fois par des gens différents. Et scénarisé aussi. Dans l’esprit de Donjon. Ce qui est rigolo, c’est qu’il y a des petits parallèles avec Imbattable : j’ai du mal à faire un héros…
… sérieux ?
C’est ça, il n’a peur de rien, il est très impassible, parce qu’il est sûr de gagner. Sauf que Voltige était un peu plus donneur de leçons. C’était une espèce de Tintin. Imbattable, il n’a pas trop d’humour, il a un peu de mal à comprendre le sarcasme : quand le maire est avec la PDG qui voudrait bien qu’Imbattable soit associé à son image de marque… On lui raccroche au nez. Pour Imbattable, ce n’est pas concevable qu’on puisse lui raccrocher au nez, c’est tellement malpoli que c’est forcément son téléphone qui est en panne.
C’est le thème du super-héros qui vous inspire ? Vous avez plein d’idées pour développer ça ?
Je ne sais pas, peut-être parce que, culturellement, la BD franco-belge m’a nourri. Non, je ne connais pas grand-chose en super-héros.
Pas de références particulières…
Non, non. En tant que lecteur, je fais le grand écart entre les trucs traditionnels franco-belges – qui ont fait que je suis venu à la BD – et des trucs plus indés, les indés américains type Chris Ware, des choses comme ça… C’est ce grand écart-là de lecteur… Je pense qu’inconsciemment, c’est comme ça que le mélange s’est créé de jouer sur le langage mais dans un décorum de BD très classique, franco-belge.
Et le sticker sur la couverture de l’album, c’est vrai ?
Oui, il y en a quatre, ce sont des vrais mails ou lettres qu’on a reçus.
On peut se demander…
Oui, c’est vrai. J’aurais écrit un truc plus gros si c’était une blague (rires).
En parlant de Laurence [le sticker de notre exemplaire est un message signé Laurence], vous avez demandé spécifiquement à Laurence Croix d’insister sur le costume jaune et noir du héros qui saute aux yeux. Vous avez suivi de près son travail ou vous avez seulement donné quelques indications ?
Avec Laurence, on avait déjà bossé ensemble. Je m’étais dit que quand j’aurais l’occasion, on rebosserait ensemble parce que j’aimais bien son travail. Il y a eu des allers-retours sur le début, histoire de caler les choses. C’est vrai qu’une fois qu’il y a cette contrainte-là, il y a quand même des règles qui s’établissent assez rapidement. Du coup, je finis une histoire, je lui envoie. Les couleurs… En général, c’est plus du déplacement… J’interviens rarement sur ses gammes : en général, elles sont toujours réussies. Je suis un peu obsédé par la lisibilité. Comme certains trucs peuvent être un peu compliqués, que ce soit au niveau de la mise en page, du dessin ou de la couleur, je veux vraiment que ce soit le plus fluide possible. Déjà en temps normal, ça m’importe beaucoup mais, par exemple, sur les gags en une page où il bascule, c’est important d’être toujours exactement sur la même proportion du personnage.
Vous avez intégré la famille Dupuis avec Imbattable. Vous avez d’autres projets avec eux ? Ou vous vous concentrez vraiment sur Imbattable ? Vous êtes dans L’Atelier Mastodonte, également…
Oui, oui, oui, oui. Mais ça fait longtemps… Mastodonte, c’était en 2013, pas longtemps après que j’ai commencé Imbattable. Assez rapidement, quelques mois après le début d’Imbattable, j’ai eu une proposition pour travailler à L’Atelier Mastodonte. Comme c’était une série qui m’amusait beaucoup en tant que lecteur, ça a été sans hésitation même si c’était un peu impressionnant parce que je connaissais juste Alfred.
Vous avez également travaillé pour Fluide Glacial avec Colt Bingers, une parodie de policier.
Oui c’est ça, en tant que scénariste. Et puis après, quelques histoires courtes en tant qu’auteur complet mais le seul album qui est sorti, c’était ça.
Le format magazine, c’est ce qui vous tient à cœur ?
Je m’y suis habitué maintenant. Après, c’était l’occasion qui a fait le larron. Vous n’allez pas forcément chez quelqu’un en disant « tiens, on en fera un album ». C’est aussi histoire de publier… ça s’est trouvé comme ça. Et finalement, le format court me convient. Maintenant que ça fait plusieurs années que je publie uniquement dans la presse, en tant qu’auteur, ce qui est agréable, c’est le travail en atelier avec les collègues. Être isolé pendant deux ans, à faire un album… et puis tout se joue en quinze jours. Alors que ce qui est agréable avec la presse, c’est qu’on a les retours tout de suite donc, sans vraiment s’en rendre compte, ça donne un album qui est prêt et puis le truc a fait son bonhomme de chemin. Et puis aussi, le truc nous échappe, tout de suite ! Quand on va faire un album, on peut se dire « tiens, je vais peut-être revenir sur ça… » Mais là on ne peut pas revenir en arrière ! C’est assez tendu mais j’aime bien.
Merci à vous et bonne continuation !
Propos recueillis par Nicolas Raduget et Chloé Lucidarme.
Interview réalisée le 28 octobre 2017.
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