Durant le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, les éditions du Lombard ont sorti en avant-première Ze Journal de la Famille (presque) Zéro déchet.C’était donc l’occasion idéale pour rencontrer Bénédicte Moret, son autrice, pour un entretien passionnant et passionné !
Bonjour Bénédicte. Tout d’abord, pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours, de ce qui vous a amené à faire cette bande dessinée pour Le Lombard?
Je bosse dans l’illustration depuis une quinzaine d’années, depuis la fin de mes études.
Quelles études ?
J’ai fait une école de dessin animé, bande dessinée, infographisme et illustration qui s’appelle Emile-Cohl et qui se trouve à Lyon et après j’ai fait une formation de webmaster. Ça ne m’a pas plu spécialement, l’école était chouette mais c’est trop geek pour moi, j’aime vraiment le dessin. Après j’ai directement bossé avec des associations environnementales. Je suis très investie dans la cause, je me suis dit que si je pouvais travailler dans ma passion et me battre pour mes convictions, il fallait le faire. A l’époque, j’ai développé avec mon mari Jérémie une association qui s’appelle Mountain Riders, on a aidé le développement graphique, créé des supports pédagogiques…
On retrouve cette anecdote dans la BD…
Oui, je la raconte car ça a été le démarrage de ma grosse prise de conscience écologique, qui était déjà là mais qui a confirmé la chose. J’ai travaillé gratuitement pour eux pendant deux ans, j’ai tout fait, toutes leurs images. En deux ans, on a suffisamment développé pour que Jérémie soit salarié, il est devenu directeur et coordinateur de l’association et moi la graphiste officielle. On a pu avoir un vrai salaire raisonnable. On avait énormément de partenaires, comme Nicolas Hulot, qui du coup m’a fait participer à un appel d’offres sur le petit livret vert pour la Terre, que j’ai remporté. Cette année, ils changent le graphisme car il date de 2007. Ils m’ont demandé si je voulais faire le prochain. Mais ils sont avec Shaka Punk maintenant, qui sont un peu noirs alors que moi je suis plutôt hyper colorée. J’aurais adoré si ça avait été dans mon style graphique et si j’avais eu le temps.
J’ai ensuite travaillé pour l’ADEME, pour la fondation Nicolas Hulot, et une association qui s’appelait Corabio et qui s’appelle maintenant FRAB AuRa, c’est le réseau des agriculteurs bio de France qui a des antennes dans toute la France. Ils aident les agriculteurs à passer en Bio et font de la pédagogie pour le grand public et dans les écoles. C’est eux qui font la campagne « Manger bio et local c’est bon pour le climat ». J’ai fait pour eux les illustrations pour le Guide pour vos amis biosceptiques, qui regroupe toutes les idées reçues sur l’agriculture bio, chacune que j’ai illustrée en trois cases. Mais j’ai été très piquante, si bien qu’ils ont eu un procès. J’étais hyper désolée mais ils ont été très sympa en me disant « si on a eu un procès, c’est que tu as mis le doigt sur quelque chose ». Là dernièrement on a sorti une BD en ligne, la BD pour vos amis BioClimatosceptiques. On explique pourquoi et comment il faut éviter le réchauffement climatique. Là encore, j’ai été attaquée par des lobbies sur mon Facebook. Et comme je suis une éponge à sentiments, on a beau me faire cinquante compliments dans la journée, s’il y a un truc négatif, je vais sans cesse me demander « pourquoi les gens ne m’aiment pas ? ». Il y a six ans, avec Jérémie et les enfants, on s’est lancé dans une aventure familiale, on a choisi de le faire de manière très égoïste, c’était pas du tout un contrat ou dans le but de communiquer…
Justement dans la BD, à la page 36, on a l’impression que vous cherchez une cause à défendre, mais sans trop savoir quoi. C’est-à-dire que vous êtes partis de l’envie de faire quelque chose pour arriver au Zéro déchet, et non dans l’autre sens.
Tout à fait. Le truc c’est qu’on était des grands voyageurs et notre fille que j’aime profondément était un démon malfaisant quand elle est arrivée. Elle adore que je le raconte d’ailleurs. Elle me demande tout le temps « maman raconte-moi comment j’étais horrible petite ! » et du coup j’ai fait quelques voyages avec elle et je me suis rendue compte que c’était horrible. Mais j’adore sortir de ma zone de confort, ce que j’adore dans les voyages c’est apprendre de nouvelles choses, de nouvelles règles… Jusqu’au moment où tu trouves ton équilibre et là t’es dans l’expérience optimale. Et ça me manquait. Je l’ai fait dans l’alimentation, je l’ai fait dans tout un tas de choses. Et là j’ai dit à Jérémie que je suis tombée sur le blog d’Adrien qui a fait un an sans huile de palme et je me suis dit « mais c’est génial, il a complètement raison », il faut faire des tests, voir un peu jusqu’où on est capable d’aller et j’avais vraiment envie de faire un truc. Il y avait des gens qui décidaient de vivre sans voiture un mois ou des trucs comme ça et du coup il a fallu trouver quoi faire. On voulait faire quelque chose qui nous correspondait. Du coup, je me suis dit « ça me saoule de sortir les poubelles ». Et donc on a pris notre poubelle, on l’a vidée sur une bâche dans le jardin et on a regardé ce qu’il y avait dedans. On s’est dit en plus – à l’époque on n’avait pas trop de boulot – qu’on allait bosser pour nous et faire ce que l’on avait envie. Lui a écrit, moi j’ai fait les dessins. Et on a lancé notre blog comme ça. Mais sans en parler autour de nous.
Pourquoi ne pas en parler ? Peur d’être mal perçus ?
Non, pas du tout. Parce que c’était notre truc.
Vous vouliez que ça reste quelque chose de familial….
Oui, voilà. On n’était pas là pour se faire mousser. C’était notre aventure. On a quand même fait un blog mais sans dire qui on était. En fait, c’était rigolo parce que les gens autour de nous commençaient à nous dire « vous connaissez la Famille Zéro déchet ? » et nos amis se sont mis à voir que ça changeait. En nous demandant « pourquoi tu viens avec tes boites ? », on leur expliquait qu’on s’était lancé dans une expérience de réduction des déchets, pour voir jusqu’où on est capable d’aller. De fil en aiguille, ils s’y sont mis aussi petit à petit, pédagogie par l’exemple.
Ça n’a pas été trop difficile pour les enfants ? Parce que vous en tant qu’adulte, vous avez choisi, mais pas les enfants. On pense notamment à l’école avec les copains qui avaient les gâteaux emballés par exemple…
Les enfants étaient très petits quand on a commencé, le petit avait 3 ans et la grande avait 6 ans. Le petit a d’ailleurs eu une interview il n’y a pas longtemps et en fait il le dit lui-même, il ne s’en souvient pas. Chose marrante, la première question de la journaliste était sur l’interdiction des cotons tiges. Il lui a demandé ce que c’était qu’un coton tige, la journaliste a explosé de rire ! Il lui a alors expliqué qu’il a un bâton en bois pour se curer l’oreille ! Effectivement ils sont nés là-dedans. Leurs copains sont sensibilisés, pour les anniversaires par exemple… et dans l’ensemble c’est très bien accepté, très bien perçu. Les maîtresses font de plus en plus de cours zéro déchets. Notre livre pour les enfants est très utilisé dans les écoles.
A un moment vous racontez que vous avez quitté votre maison pour vous installer dans un mobil home. Vous y êtes toujours ?
Non. Mais pas pour des raisons de confort. En fait on a eu un souci. En France, tu n’as pas le droit d’habiter dans un habitat léger, tu es obligé d’avoir une adresse fiscale. Bon là on s’est débrouillés mais en fait les campings n’ont pas le droit de rester ouverts 12 mois. Ils ont un arrêté qui fait que pendant un mois et demi ils nous mettent dehors. Alors qu’on est propriétaire, que c’est notre mobil home. Donc au début on a joué le jeu, on est parti dans le chalet de ma grand-mère, on en a profité pour faire des conférences en Suisse mais au bout d’un moment, on était fatigué de se déplacer. On fait beaucoup de déplacements, Jérémie fait beaucoup de conférences depuis 3-4 ans. C’est très très fatigant et moi je travaille beaucoup aussi, j’écris en plus de dessiner, c’est nouveau. Donc on s’est dit tant pis pour le mobil home, on l’a revendu.
Et du coup vous êtes dans une maison classique ? Parce qu’il existe les tiny houses, les maisons en bois…
Non, on est dans un appart… On aimerait bien construire une maison en paille par exemple. Mais les terrains sont très chers et on est trop occupé pour s’en occuper vraiment pour le moment. Ah, mais je n’ai pas répondu à ta question tout à l’heure, quand tu me demandais comment on en est arrivé à faire cette BD avec Le Lombard. Donc en fait, quand on s’est lancé dans l’aventure, une éditrice des éditions Thierry Souccar nous a suivis sur le blog à titre personnel et au bout de six mois m’a appelée en me disant « bonjour j’adore ce que vous faites, ça vous dit d’écrire un livre ? ». J’ai cru d’abord que c’était un canular, on a réfléchi, on en a discuté mais c’était mon rêve de faire des livres depuis toute petite, et de la BD encore plus. Donc on a dit ok pour tenter l’aventure. On ne savait pas si on en serait capable. Et finalement le livre a été écrit en quatre mois. On a fait l’écriture avec Jérémie. Puis moi j’ai fait les illustrations et la maquette. Là pour la BD, je n’ai pas fait la maquette, je n’avais pas le temps. Elle m’a pris un an et demi, mais ce n’est pas le même niveau de dessins ! Du coup, gros carton du livre. Tout le monde était très enthousiaste, très content. On a enchaîné avec le livre des enfants. Et Le Lombard nous a appelés.
Donc là encore c’est Le Lombard qui vous a sollicité ?
Il y a une éditrice du Lombard qui avait vu Jérémie en conférence. Elle a ensuite rencontré un de nos amis communs, ils ont discuté et il lui a dit que si elle nous proposait de faire une BD, on dirait forcément oui. Il lui a alors donné nos coordonnées.
Vous n’avez eu personne à démarcher, cela prouve que c’est un sujet qui intéresse les gens, qui marche. Et puis d’ailleurs, il y avait du monde tout à l’heure pour les dédicaces !
Oui, c’est cool, d’autant que la BD n’est pas sortie encore !
Après c’est peut-être des gens qui vous connaisse déjà ?
Pas du tout ! J’ai été très étonnée, ce n’est pas du tout le public que j’ai d’habitude. Enfin sauf un, c’était marrant, il est venu avec les autres livres en fait. Et le lendemain, sa femme est arrivée en me disant « je suis un petit peu gênée parce que mon mari est venu hier, me faire signer mes livres et ce gland il ne m’a pas acheté le nouveau ! »
C’est sympa !
Ah mais j’adore ! Je n’ai que des gens sympas, bienveillants… qui ont plein de choses à raconter.
Il y a une anecdote dans la BD sur les chips…
Ah, les chips on me pose souvent la question « comment vous avez fait pour les chips ? »
Alors non ce n’est pas ma question mais plutôt ce qui a été le plus dur dans toute l’expérience : se passer de certains aliments parce que ça n’existe pas « non emballé » ou autre chose ?
Je pense que le plus dur c’est les autres. Il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas, à qui ça fait peur. Alors qu’on n’est pas là pour faire les ayatollahs, on ne force personne mais peut-être que le fait de faire quelque chose ça peut faire culpabiliser ceux qui ne font rien. C’est pour ça que j’ai sorti cette BD aussi, pour montrer qu’on n’est pas parfait, qu’on a fait des erreurs aussi et que même en étant totalement imparfaits on a réussi à faire de grandes choses quand même. Enfin, des petites choses plutôt, mais que ça a un réel impact et que, si tout le monde faisait un peu, ça changerait vraiment la donne.
Et pour finir, quels sont vos prochains projets ?
Alors il y en a plusieurs. Déjà le dessin animé qui est en cours. Mais ça c’est très long. Ce n’est pas moi qui travaille dessus, mais la boîte de production. Ça fait déjà deux ans qu’ils travaillent dessus et à mon avis ça ne va pas sortir avant au moins un an ou deux. Par contre, là je suis en train de travailler sur le personnage de Slipman, c’est l’un des super-héros du livre pour enfant. En dédicace, les enfants me disent toujours « mon préféré c’est Slipman ». Il est drôle, il n’a pas de super pouvoir. Mais comme les autres personnages, ce sont juste des super-héros de l’écologie. J’ai donc décidé de travailler Slipman quand il était enfant, il s’appellera Slippy. Tous les super-héros qui sont aussi dans le bouquin seront aussi enfants avec lui et ça racontera leur parcours pour devenir les héros par la suite. Par contre, je ne me limiterai pas au zéro déchet parce que j’ai vraiment envie de traiter plein de thématiques. J’ai plein de choses à dire. Il y a énormément de choses qui intéressent les enfants déjà, comme l’addiction aux écrans, les relations homme-femme, vraiment de tout. Donc on va faire des petits tomes, un peu comme Tom-Tom et Nana, qui sortiront en octobre-novembre. J’ai un autre projet avec Le Lombard encore mais là je n’ai pas de date de sortie. Ce sera sur Pascal et Michel, mes chats : en gros la ligue féline contre les humains écolos. Parce que les félins j’adore ça, j’ai plein d’idées et donc ce sera de l’humour gratuit qui n’apportera rien.
Toujours le même thème mais avec une autre approche…
Oui, voilà c’est ça ! Et puis c’est clair que les gens aiment bien les chats ! En général ils me le disent en dédicace « j’ai bien aimé les gags avec les chats ».
Eh bien Bénédicte, merci beaucoup d’avoir passé ce long moment avec nous et d’avoir répondu à nos questions !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 30 janvier 2020.
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