Tony Valente est, grâce à Radiant, l’un des premiers mangakas français en passe de faire accepter auprès des fans qu’un auteur non japonais puisse réaliser des mangas de qualité. Il revient avec nous sur sa passion pour le manga, lui qui a commencé sa carrière dans un format plus classique. Rencontre.
Bonjour Tony. Avant de travailler sur Radiant, tu travaillais dans un format plus classique. Qu’est-ce que cela t’a apporté de passer de ce format classique à un format manga ?
Cela m’apporte toute la liberté que j’essayais d’avoir depuis mes débuts en bande dessinée mais que je ne pouvais avoir. J’étais très frustré par le format quand j’écrivais mes propres BD et aujourd’hui je me rends compte que j’étais clairement fait pour écrire du manga. A force de baigner dedans et d’en lire, c’était évident que le type d’histoire auquel je pensais était fait pour coller à ce format là. Au-delà de cette liberté, ça m’amène toute la place dont j’ai besoin pour approfondir les personnages et d’en mettre un peu plus qu’avant. Ainsi je peux multiplier les scènes où les personnages sont en interaction. Les faire évoluer les uns aux côtés des autres ou bien les uns contre les autres est vraiment très important pour moi. Cela réduit le nombre d’ellipses à faire même si je dois faire attention à ce niveau là malgré tout.
T’imagines-tu désormais travailler exclusivement dans ce format manga ?
Je pense que si je reviens à un format plus classique, il ne faudra pas que j’adapte une histoire que j’ai pour ce format mais que je trouve une histoire qui soit déjà faite pour celui-ci. Finalement, toutes les histoires auxquelles je pense se prêtent à un format qui est long. Par exemple, quand je travaillais sur la série Hana Attori, je tranchais malheureusement plus de la moitié en raison de la place restreinte. J’essayais de faire rentrer une histoire manga dans un format franco-belge et du coup ça n’allait pas.
Du coup, pour te retrouver dans une série franco-belge, il faudrait que tu t’associes à un scénariste ?
En fait, j’ai du mal à travailler avec quelqu’un d’autre. Par exemple, je fais S.P.E.E.D Angels (NDLR : deux tomes parus à ce jour) en parallèle avec Didier Tarquin au scénario, on s’entend vraiment super bien et c’est un régal de travailler avec lui, mais il n’empêche que toute la liberté que j’ai à écrire mes propres histoires c’est de ça dont j’ai besoin. Je m’en suis assez vite rendu compte et on s’est donc mis d’accord avec Didier afin que je travaille sur cette série jusqu’au tome 3 puis que je me consacre à mes propres projets. Donc, pour répondre à la question posée, je ne pense pas que cela fonctionnerait puisque j’ai déjà testé cette configuration. Pour revenir au format franco-belge, il faudrait vraiment que j’imagine une histoire spécialement pour ça, ce qui n’est pas exclu comme je le disais précédemment mais pour le moment je suis vraiment concentré sur la série Radiant.
Techniquement est-ce que cela change quelque chose pour toi de travailler l’un ou l’autre genre ?
Le plus gros changement n’est pas tant le format mais c’est surtout le fait d’être en noir et blanc. Auparavant je réalisais mes propres couleurs et je pensais l’image différemment. Comme je savais qu’il y avait plein d’éléments qui allaient être intégrés au moment de la mise en couleurs, je me contentais souvent juste de dessiner très vite aux contours mais là je ne peux pas me le permettre parce que sinon ça n’est pas crédible, en noir et blanc on voit de suite qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Du coup, cela demande un peu plus de patience mais au final m’amuse encore plus. Au niveau du format papier, c’est sensiblement identique même si par la suite c’est réduit au scannage, je travaille au format B4.
Comment a été accueilli Radiant par les fans de manga car on sait qu’ils sont réputés assez difficiles avec les mangakas français ?
A ma grande surprise, ils ont l’air d’être plutôt contents de la série et j’ai l’impression que cela suscite une espèce de fierté car il y a énormément de lecteurs qui veulent faire du manga. A la Japan Expo, j’ai posé la question à toutes les personnes qui sont venues me rencontrer, ce qui correspond environ à 200 personnes, de mémoire il n’y a que deux personnes qui m’ont répondu qu’ils ne souhaitaient pas faire de manga, tous les autres l’envisageaient sérieusement. Le fait de savoir que des auteurs font cela en France tout en essayant de faire cela d’une manière qui ressemble à la manière japonaise les rend fiers. Je reçois presque tous les jours des messages touchants sur ma page officielle facebook et j’en reçois même des dizaines en période de sorties d’un nouveau tome. Le concours que nous avions lancé lors du tome 1 a également suscité pas mal d’intérêt de la part des lecteurs, je recevais leur participation ainsi que très souvent un petit mot de soutien. C’est une agréable surprise pour ma part de voir cet effet positif autour de la série, je ne vais pas me plaindre de cela, au contraire. Au niveau des critiques sur le net, Radiant a été jugé comme n’importe quel manga et non pas comme un manga français et c’est donc méga positif. Certains ne se sont rendus compte que plusieurs mois plus tard que j’étais français, ils n’avaient pas vraiment prêté attention au nom sur la couverture.
As-tu justement pensé à un moment signer d’un pseudo pour éviter que l’on te juge comme auteur de manga français ?
Effectivement, je me suis posé la question. Je voulais surtout faire la scission avec les lecteurs qui attendaient la suite de ce que je faisais avant. Je faisais des choses assez différentes, j’avais commencé à faire de la fantasy tout ce qu’il y a de plus basique dans le paysage de la bande dessinée française. Du coup, je me disais que, pour ne pas induire ces lecteurs en erreur, peut-être qu’il faudrait que j’utilise un pseudo mais au final j’ai laissé tomber l’idée. C’était bête car je me suis dit que signer de mon nom était la meilleure façon de montrer à ceux qui souhaitent se lancer dans le manga que cela est possible même lorsque l’on est français. Et puis pour moi Radiant c’est le Hana Attori 2.0. C’est tout ce que je n’avais pas pu mettre dans la série, frustré par le format et du fait que la série devait s’arrêter, j’ai repris des personnages carrément en changeant uniquement leur nom car ce n’est pas la même histoire, mais j’avais du mal à les laisser de côté.
Est-ce qu’être publié au Japon serait pour toi l’objectif ultime ?
Ça n’est pas du tout un objectif, ça fait longtemps que j’ai mis cette idée de côté de manière définitive. Comme tout fan de manga, on peut en rêver mais vivre n’importe comment tout ça pour abattre un rythme et être soumis aux contraintes éditoriales, je ne pourrais pas. Après, pour ce qui est d’être importé au Japon, je ne pense pas qu’ils voudraient de ma série, il y en a tellement déjà là-bas qu’ils n’auraient pas vraiment d’intérêt à importer des mangas issus d’un autre pays. Si ça venait à se faire et que cela intéressait quelques personnes, je serais fier mais ça ne fait pas partie de mes plans que de voir ma série éditée au Japon. Mon but est avant tout de continuer à faire du manga en France, je me consacre actuellement au tome 3 de Radiant et j’espère que l’on ira bien au-delà de ce titre. J’aimerais bien faire au minimum 10 tomes de cette série et même plus si cela continue à me botter. Faire une histoire qui tienne aussi longtemps, c’est un challenge pour moi car cela permettrait de bien développer les personnages et l’aventure qui est autour.
Le tome 3 de Radiant conclura-t-il un cycle ?
Je saurais prochainement si la série aura droit à une suite de la part de mon éditeur mais je peux d’ores et déjà annoncer que le tome 3 ne conclut pas de cycle. Je tire d’ailleurs mon chapeau à Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre qui ont réussi cela avec City Hall et ils l’ont très bien fait. Personnellement j’en étais incapable, j’ai créé cette histoire comme une espèce de série fleuve sur le modèle des séries que j’aimais telle que One Piece. J’ai envie de développer tout cet univers, je ne pourrais pas m’arrêter au tome 3 et faire une fin de cycle, ça ne marcherait pas. Du coup je croise les doigts pour que l’aventure continue mais ça semble plutôt bien parti puisque la mise en place du tome 2 en librairie a été plus importante que pour le tome 1, ce qui est assez rare pour être souligné, c’est la première fois que cela m’arrive. Les différents retours de libraires où je suis passé sont également positifs, le tome 1 est réédité à l’occasion de la sortie du tome 2 et c’est encore une fois une première pour moi. Il y a un engouement autour de la série c’est certain, maintenant est-ce que cela va créer un déclic qui va faire monter la série et en faire un top des ventes ? Je ne peux que l’espérer. En tout cas je vais essayer de maintenir un certain rythme de travail mais il faut que le tome 2 plaise, c’est ce qui va conditionner la suite.
Pour conclure, y a-t-il une question que tu aimerais que l’on te pose mais qu’on ne te pose jamais ?
Il y a une question que les lecteurs me posent mais à laquelle je n’ai pas forcément pu répondre à chaque fois, en espérant que ces personnes lisent cette interview. La question est : que faut-il faire pour être publié en tant qu’auteur manga ? Je leur conseillerais tout d’abord d’oublier Bakuman. Les lecteurs lisent la série Bakuman comme un espèce de modèle qui donne la manière de fonctionner pour faire du manga mais ce n’est pas un modèle qui correspond à la France. Pour ceux qui ne connaissent pas, Bakuman est une série sur le thème des mangakas créée par l’auteur de Death Note. C’est un manga génial mais c’est une fiction et il ne faut pas l’oublier. Les gars que je rencontre ont l’impression que ça se passe réellement comme cela, que l’on est payé aussi cher, que l’on travaille avec des assistants, à ce rythme là, etc. Sauf qu’on ne voit jamais les personnages de Bakuman travailler, ce qui est normal puisqu’il faut bien raconter une histoire. Donc je dirais à tous ceux qui veulent faire du manga d’oublier cette série, en France ça se passe plus en solo. Je leur conseillerais également de peaufiner leurs histoires car il y a beaucoup de tueurs au niveau du dessin en France, je pense par exemple aux membres du fanzine Chaud Nemp Jump qui mettent une claque à la plupart des mangakas qui sont publiés en librairie. Il y a un vivier en France qui est important et qui a malgré cela son originalité vis-à-vis de ce qui se fait au Japon. Et pour revenir à ce que je disais un peu plus haut, faire un manga ce n’est pas enchaîner les dessins mais c’est raconter une histoire avant tout. Tous les mangas que les lecteurs aiment lire c’est avant tout parce que l’histoire les botte, le dessin vient appuyer le scénario.
Merci à toi d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau
Interview réalisée le 1er février 2014.
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