Les créateurs de la série Alisik étaient également présents lors du week-end BD des treizièmes Rencontres du 9ème Art d’Aix-en-Provence. Cette rêverie gothique, composée de quatre tomes au total, créée par Hubertus Rufledt (scénario) et Helge Vogt (scénario et dessin), deux auteurs allemands, est très rapidement devenue un titre phare des éditions du Lombard. Nous sommes donc revenus ensemble sur cette géniale création aux inspirations très « burtoniennes ». Wunderbar !
Bonjour Hubertus. Ma première question est pour toi. Tu as été marin, machiniste et caméraman, tu as déjà une vie incroyable derrière toi ! Qu’est-ce qui a fait que tu aies choisi de devenir scénariste de bandes dessinées ?
Hubertus Rufledt : Bonjour. Vingt-cinq ans en arrière, après la chute du mur de Berlin – je viens d’Allemagne de l’Est – c’était en 1994 si je me rappelle bien, j’ai contacté Mosaik, un des magazines de bandes dessinées de Berlin – Berlin-Est précisément – et je leur ai demandé si il était possible d’écrire quelques histoires pour eux. J’ai donc eu la chance d’écrire ma première histoire à ce moment-là. C’était une grande chance pour moi. Mais avant cela, j’ai écrit pour un journal. Avec la chute du mur, nous avons eu de nouvelles opportunités et de nouvelles perspectives donc j’ai commencé ma nouvelle carrière en tant que journaliste. J’ai écrit des articles et j’ai eu la chance, là aussi, d’interviewer le plus important dessinateur, auteur d’Allemagne de l’Est : Johannes Eduard Hegenbarth plus communément appelé Hannes Hegen. Il a créé trois personnages très intéressants qui sont Dig, Dag und Digedag. D’ailleurs, le magazine Mosaik avait trouvé très intéressant le fait que j’ai réalisé cette interview et c’est comme cela que j’ai eu le contact avec l’équipe rédactionnelle.
Bonjour Helge. Tu es un bidouilleur, tu essayes beaucoup de choses et cela dans divers domaines. Pourquoi as-tu choisi de faire de la bande dessinée ?
Helge Vogt : Bonjour. Premièrement, dans ma jeunesse je voulais trouver des dinosaures, des os et donc être paléontologue. Mais en grandissant, je me suis aperçu que c’était moins intéressant que ce que je pensais et que l’on n’était pas un Indiana Jones si on était archéologue. Tu vois ce que je veux dire ! J’ai toujours aimé dessiner. Je le faisais tout le temps en fait. Je préférais dessiner des montres et des créatures mais je n’ai jamais eu à l’esprit que cela pourrait être mon travail. Parce qu’en Allemagne nous n’avons pas cette culture de la bande dessinée comme vous en France. Il n’y a pas de grands héros de bandes dessinées allemands ou de grands noms de référence. Le seul – peut-être – était le magazine Mosaik qui parlait, nous informait sur la BD. Mais, il n’y avait rien de plus. J’ai donc fait du design graphique. Mais mon premier travail était concepteur de jeux vidéo. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré un gars qui faisait de la bande dessinée. Et c’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai rencontré Hubertus.
A quel moment vous êtes-vous rencontrés ?
HV : Nous travaillions tous les deux sur un projet Disney qui était réalisé en premier lieu pour un éditeur allemand.
HR : Pour Carlsen, qui est notre éditeur allemand pour Alisik.
HV : Nous avons travaillé pour eux et ils ont vendu le projet à la Walt Disney Company. Nous avons passé pas mal de temps à le développer sérieusement mais cela n’a été publié qu’en Italie.
Comment vous est venue l’idée de créer le monde d’Alisik ?
HV : Lorsque nous travaillions pour Disney, tout était rose, joli avec des couleurs très lumineuses. Un monde toujours joyeux ! Pendant mon temps libre, je faisais des dessins et je voulais faire un film d’animation pour moi-même. Avec une fille qui n’aurait pas les cheveux roses mais noirs, pas vivante, drôle mais plus triste. Mais elle devait être humaine. C’était juste une idée au départ et c’était pendant mon temps libre pour contraster avec le monde de Disney. D’ailleurs, on peut voir mon travail sur ma chaîne Youtube concernant cette animation et d’autres. Et un jour, j’ai montré cela à Hubertus qui m’a dit : « Faisons une bande dessinée avec tout cela ! » L’idée était née. Je lui ai parlé de mes idées et nous avons parlé de nouvelles idées pour ce projet. Nous avons développé l’histoire comme cela.
Vous parlez de la mort qui est un sujet dur et qui plus est, la série Alisik est destinée à un public plutôt composé d’ados. Pourquoi cette orientation ?
HR : Les histoires les plus intéressantes ont deux sujets : l’amour et la mort.
HV : Nous avons les deux !
HR : Oui ! Nous avons cette constellation de l’amour et de la mort de la façon la plus claire. J’ai trouvé cela très intéressant. Roméo et Juliette est un livre où l’on retrouve cela. Toutes les grandes histoires parlent de l’amour et de la mort parce que tout le monde connaît et essaie de comprendre. Et là nous avons une fille morte qui tombe amoureuse d’un garçon aveugle. Lui ne peut pas voir les fantômes et Alisik – qui le sait – doit garder le silence. Elle ne doit rien lui révéler et surtout pas qu’elle morte.
HV : Du côté visuel, c’était aussi intéressant d’avoir une « équipe noire » comme les morts et une fille innocente comme si on amenait la jeunesse dans le monde des morts. Il y a beaucoup de contraste dans Alisik. Mais une chose qu’il faut dire et qui est très importante, c’est que nous n’avons pas voulu faire quelque chose de morbide mais vraiment quelque chose de poétique et romantique comme les histoires de fantômes.
Votre inspiration est très proche de l’esprit gothico-romantique et fantastique de Tim Burton….
HV : Oui, mais nous sommes un peu moins « trash » car nos personnages n’ont pas de vers, d’asticots sur eux ou qui sortent de leurs yeux. Chose qu’il aurait certainement faite. Nous préférons les chats noirs par exemple.
Comment avez-vous défini vos personnages ?
HV : Tous les personnages devaient vraiment être très différents car on voulait en avoir un petit nombre. Mais, l’idée principale était que l’on devait visuellement pouvoir identifier la façon dont ils étaient morts. Allumette par exemple a du feu sur la tête. Le Général Von Rang a des blessures de guerre.
HR : Tous ont un secret. Joe la faux dit aux « Postis » (abréviation de Post-mortem) que Monsieur Morrt n’a pas encore décidé du sort qu’il leur réservait car il ne sait pas encore s’ils sont coupables ou pas. C’est aussi très intéressant d’avoir des personnages avec des secrets. Comme une boite que l’on ouvre et où l’on découvre le contenu pas à pas. Et cela nous a aussi permis de parcourir différentes périodes car tous ne sont pas morts en même temps. Il y en a qui sont dans le cimetière depuis un bon bout de temps. Par exemple, le Général Von Rang est décédé pendant la première guerre mondiale. Nous ne parlons pas beaucoup du fait historique en lui-même mais on sait qu’il est mort à cette époque. On le voit dans la courte histoire qui dévoile la manière dont il est mort. Il y en a un autre qui est bien plus vieux d’ailleurs. On parcourt ainsi le temps du 16ème jusqu’au 20ème siècle. C’est chouette de montrer ça !
HV : C’est notre bande dessinée et on voulait mettre notre boulot, notre manière de travailler dedans. Et le fait de parcourir plusieurs périodes nous a permis de proposer plusieurs styles graphiques. Par exemple, les passages avec Mamie Orties s’apparentent à des livres romantiques. Avec la guerre, on montre autre chose. C’est très intéressant car chaque personnage devient plus profond et il y a beaucoup de surprises cachées derrière cela. On comprend beaucoup mieux les personnages.
Comment procèdes-tu au niveau de ton dessin ?
HV : Habituellement, je commence au crayon. Je fais tous les dessins avec un crayon et après je fais les couleurs avec Photoshop. J’aime bien parce que tu peux faire plusieurs couches ou calques. Je n’ai pas vraiment de pages originales mais un grand nombre de personnages que j’assemble sur une page. C’est génial. Par exemple si je veux utiliser le cimetière une nouvelle fois dans une scène de nuit, je peux changer les couleurs ou mettre de la neige sur l’église. Je peux mettre les personnages où je veux. C’est aussi parce que j’ai commencé dans l’animation, et qu’il était important de le faire ainsi, que j’ai gardé cette manière de procéder. Mais j’ai également fait des illustrations à l’aquarelle ou encore à l’acrylique que j’ai pu mettre dans les albums. Et ça, c’était vraiment très bien aussi ! D’ailleurs, les pages titres en début de chapitre sont vraiment différentes des autres planches.
Oui ! Notamment, il y en a une qui représente une affiche de cinéma où toute la team éditoriale du Lombard est citée !
HV & HR : Oui !
Avez-vous d’autres projets maintenant que la série Alisik est finie ?
HR : Oui ! Mais je ne peux pas trop en parler car je cherche un éditeur. Et j’espère le trouver. J’aimerais qu’il soit édité en France.
HV : Oui ! Tous les jours (Rires). En Allemagne, je fais beaucoup de couvertures pour des livres destinés aux enfants. Mais aussi beaucoup d’illustrations. Et c’est cool comme boulot ! Je travaille aussi sur une nouvelle bande dessinée. J’ai en fait deux choses sur le feu. La nouvelle bande dessinée et un projet qui sera peut être développé en jeu PC et qui pourrait être une bande dessinée après ou en même temps. Les deux projets sont situés dans le futur et seront différents d’Alisik. Il s’agira plus d’histoires de science-fiction. J’ai plein d’idées que je pense bonnes (Rires). L’éditeur allemand est déjà intéressé et j’espère que Le Lombard le sera aussi. Parce que j’aime beaucoup ce pays de la bande dessinée qu’est la France. Et j’aimerais que cela sorte aussi en France.
Alisik a été publiée simultanément en France et en Allemagne ?
HV : Oui, au même moment quasiment. Un tout petit peu plus tôt en Allemagne car en France, l’éditeur voulait que le temps entre les différents tomes soit le même.
Merci à vous deux et à très bientôt.
HV & HR : Merci à toi.
Propos recueillis par Stéphane Girardot
Interview réalisée le 2 avril 2016.
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