Série rafraîchissante et rythmée, Bots apporte un souffle nouveau au récit d’anticipation grâce à l’inspiration de ses deux créateurs. Sombre et drôle, pleine de références mais ouverte à tous les publics, la série vous est hautement conseillée ! Pour en discuter avant la sortie du troisième et dernier tome, nous avons rencontré son dessinateur, Steve Baker, lors du festival Quai des Bulles à Saint-Malo.
Bonjour Steve ! Bots semble avoir plu à un public très large, et pas forcément fan de SF. C’était un des buts de la série ?
J’ambitionnais de toute façon, avec Aurélien Ducoudray, de faire une série tout public. Je pense que mon dessin joue pas mal en cette faveur parce que du coup, comme il a un côté assez rond, on a l’impression que c’est surtout de la comédie mais on arrive à faire passer des idées assez dures assez facilement. Il se passe quand même des trucs horribles, avec les expériences dans les camps, le génocide… Si on changeait les robots par des humains, ce serait l’horreur. Certains se font éviscérer, à la fin du tome 1 il y a quand même un gosse et son père qui se font défoncer, c’est horrible. Du coup je trouve ça bien qu’on arrive à parler à plein de gens et que ce soit vraiment tout public. En l’occurrence, j’ai remarqué qu’on avait vraiment réussi un truc quand j’ai fait lire la série à ma femme, qui n’est vraiment pas fan d’anticipation et de récits de genre. En fait, elle n’a pas lâché le bouquin et l’a lu du début à la fin d’une traite en me disant que c’était vachement bien… comme si ça l’étonnait ! (rires) J’avais pourtant déjà fait des albums, comme Inoxydable chez Casterman, où elle me disait « ça va, t’es gentil avec ta SF mais c’est vraiment pas mon truc ». Je me demande si ce n’est pas un peu dommage que la couverture ne transmette pas justement cette ambiance un peu sombre. D’ailleurs, à la base, c’est le quatrième de couverture qui devait être la couverture du tome 1. On voyait peut-être mieux les enjeux sur la sécurité de l’enfant. C’est clairement le sujet de toute la série. Donc voilà, on n’a pas eu ça, je n’ai pas eu le dernier mot, Aurélien était contre aussi, tant pis !
D’ailleurs, comment est née votre collaboration et cette série ?
Il y a eu deux points de départ. Le premier, ça a été quand Aurélien a vu mes pages d’Inoxydable pour Casterman. Il trouvait que mes robots étaient chouettes et ça l’intéressait de me faire dessiner un road movie avec des robots, avec l’idée d’inverser le rapport entre les humains et les robots. Le second, c’est qu’il allait devenir papa. Et il allait pouvoir retranscrire ses inquiétudes et ses questions sur sa future paternité. Comment apprivoiser ces petits personnages qui sortent de nulle part et qui ne parlent pas la même langue. Donc ça vient de là en fait, vraiment. Du coup ça a un côté très concret. Et puis, quand on connaît un peu le travail d’Aurélien, on sait qu’il va y avoir une dimension un peu sociale dans le récit. On peut retrouver cette humanité dans ses autres projets, que ce soit Amère Russie ou A coucher dehors. Il y a toujours cette dimension sociale qui me plaît vraiment dans ses récits. Moi je l’avais découvert en lisant The Grocery et franchement j’avais trouvé ça vachement bien, très très fort, avec un ton très décalé. Et puis on est chez Ankama et, même si on n’est pas au Label 619, on est quand même dirigé par Run qui nous édite et avec qui on fait un chouette travail parce qu’on a une liberté assez grande, on peut gérer le truc comme on veut.
Est-ce que cela a été facile de trouver le bon équilibre entre la noirceur, l’humour et les nombreuses références ?
En fait, Aurélien me fournit une première trame avec les dialogues et je viens toujours ajouter une couche à moi. J’ai tendance à modifier les dialogues pour que ce soit plus fluide et je lui soumets, c’est vraiment un travail à deux où on vient rajouter des couches. C’est assez facile de travailler avec Aurélien, il est à l’écoute et pas du tout obtus sur quoi que ce soit. C’est comme ça que petit à petit l’univers se forge et les références multiples viennent à chaque fois naturellement. Il n’y a pas une page où il n’y a pas une allusion un peu détournée, comme l’espèce de fast food qu’on découvre dans le tome 1 et que les robots prennent pour une usine de fabrication. On trouve ça drôle aussi qu’il y ait forcément des archéologues qui ont raconté n’importe quoi et qui sont complètement à côté de la plaque.
Quelle part de création ont pris les recherches sur les personnages ?
En fait, c’est un travail de longue haleine. Comme on peut s’en apercevoir en lisant, dans chaque chapitre on change d’endroit, de personnages, et à chaque fois il faut avoir un univers particulier. Ce sont des robots, ils ont forcément un peu une forme ou une attitude qui dépend de leur fonction. Ils doivent être à peu près fonctionnels. Il faut que je le designe à chaque fois, ça demande beaucoup beaucoup de recherches parce que, pour chaque album, il doit y avoir une centaine de robots plus ou moins importants qui sont designés. J’essaie de placer des choses sans faire de redondance. Et comme on aborde différents thèmes, différents moyens de narration, je trouve ça bien de changer de manière graphique de raconter, pour que le lecteur comprenne qu’on est à un autre endroit et se demande pourquoi ça a changé, pourquoi ils le font comme ça. J’aime que le lecteur ne soit pas toujours en sécurité, qu’il soit désarçonné chapitre après chapitre. Je trouve que ça enrichit la série, qu’on ne s’ennuie pas… enfin j’espère qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer. Les personnages évoluent, il y a quand même un peu d’action. J’adore découper les scènes d’action, on me laisse carte blanche et du coup je m’éclate à raconter les scènes de combat. J’aime que ce soit simple mais efficace. Je n’hésite pas parfois à placer un aplat rouge pour que ce soit lisible et qu’on ait tout de suite une impression de violence ou de vitesse. Par contre, je dois avouer que les personnages ne sont pas si cartoon que ça. Moi j’aime bien modérer les effets. Quand les personnages sont très étonnés, c’est qu’il se passe vraiment un truc. Dans la vie de tous les jours, on n’est pas tout le temps en train de grimacer. Du coup j’essaie de modérer ça, sauf peut-être sur Rip-R qui a un côté un peu ahuri. Le problème, c’est pour l’animer. C’est un peu compliqué, il y a moins de possibilités. Évidemment, je triche un peu, je tords le métal pour le faire sourire, des trucs comme ça.
Les dialogues sont aussi très travaillés.
Oui, c’est vrai qu’on essaie toujours que ce soit fluide et qu’en même temps les gens comprennent. Il y a des références cachées mais si on passe à côté ce n’est pas très grave. Aurélien est très fort pour ça, il arrive toujours à avoir des récits un peu multicouches et, en fonction de son bagage, en fonction de son âge, on ne va pas lire la même chose. Toute proportion gardée évidemment, moi c’est ce que j’aimais aussi dans les albums de René Goscinny. On peut les relire et à chaque fois il y a une nouvelle couche qui apparaît. Évidemment c’est une très belle référence, on ne va pas comparer notre travail à celui de Goscinny.
Aviez-vous décidé dès le départ de découper les tomes par chapitres ?
Oui, Aurélien trouvait ça bien, moi aussi, parce que clairement on a des objectifs sur le long terme pour chaque chapitre et ça nous permet de basculer d’un moment à un autre facilement. Je me demande si ce n’est pas un truc qu’on va reprendre pour une éventuelle série plus tard. Parce que franchement c’est une rythmique qui me plaît bien. Et surtout moi ça me permet de ne pas trop m’ennuyer aussi. Je suis content qu’on change de narration à un moment pour qu’on passe à autre chose, qu’on retourne un peu dans le passé pour expliquer, je trouve ça hyper riche. Dans le tome 2, je me suis permis de passer en couleurs directes pour raconter des trucs et je trouve que ça apporte une autre touche. D’ailleurs c’est un truc que j’exploite aussi à côté pour dessiner d’autres choses. J’aime bien expérimenter et voir ce que je peux faire. Je me suis vraiment éclaté sur le passage du Golem, il fallait que je raconte un récit un peu antique, une sorte de légende. Graphiquement il fallait que je tranche et qu’en même temps ce soit facilement lisible et identifiable. Je pense que c’est un truc que je vais explorer pour mes prochaines productions parce qu’à chaque fois ça me donne des pistes et des envies.
Il ne reste plus qu’un tome avant de passer à autre chose ?
C’est exactement ça. Ça s’arrête au tome 3 et c’est terminé, l’histoire sera totalement terminée. Et quand bien même on aurait un succès intersidéral, on serait très très embêté pour continuer parce qu’on a vraiment une fin. Si on devait continuer, ce serait vraiment sur d’autres personnages parce que ce n’est pas possible autrement. En l’occurrence, ce n’est pas prévu, la série démarre bien mais ce n’est pas non plus un carton. L’an passé, pour Inktober, je n’ai pas suivi le thème mais tous les jours je créais trois nouveaux persos pour le prochain projet avec Aurélien. Ce sera un truc de SF, du coup je faisais plein d’aliens. On a une thématique, on sait à peu près où on va, par contre on n’a pas encore vraiment bossé dessus. C’était l’occasion de nourrir un peu le vivier avec des personnages, c’est un bon exercice. Du coup je pense que le trait sera un peu plus fin, avec un petit lavis.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 13 octobre 2018.
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