Patrick Prugne n’en finit plus de nous émerveiller avec ses albums, et Vanikoro ne fait pas exception à la règle. Nous sommes allés poser quelques questions à ce talentueux auteur à l’occasion de sa venue à Saint-Malo. Rencontre.
Vanikoro sort en avant-première pour Quai des Bulles, pouvez-vous nous parler de ce nouveau titre et les raisons qui vous ont poussé à parler de ce mystérieux naufrage ?
Alors pour moi, quand j’ai découvert ce récit épique, je devais avoir une quinzaine d’années, je l’ai toujours gardé dans un coin de ma tête. C’est quand même fabuleux deux frégates, fleuron de la marine royale, qui partent pour découvrir peut-être de nouvelles terres, de nouvelles routes de commerce, de nouvelles peuplades, sympathiser avec les autochtones, etc. Ces deux frégates sont parties le 1er août 1785, on ne les a jamais revues.
C’est d’autant plus tragique que ces navires étaient sur la route du retour quand ils ont disparu.
Les dernières nouvelles que l’on a de La Pérouse, c’est à Botany Bay (NDLR : actuellement connue sous le nom de Sydney en Australie) en mars 1788, il donne des lettres à un bateau anglais qui y est accosté. Ils partent, ils sont censés remonter le Pacifique et arriver en décembre à l’Île de France, connue aujourd’hui sous le nom de l’Île Maurice, pour ensuite rejoindre la France mais ils n’atteindront jamais l’île de France. On retrouvera des années plus tard des indices de là où ils ont pu échouer. On a commencé par trouver des objets et de fil en aiguille on en a découvert d’autres, des épaves…
Comment préparez-vous un album tel que Vanikoro ? On imagine des tas de documentations sur le sujet et l’époque, choses dont vous ne devez pas manquer depuis que vous traitez ce type de récit (et il y en a).
Effectivement tout passe par là, c’est lire beaucoup de récits, de témoignages, des écrits. Sur Vanikoro il n’y a rien ou presque car il y a tout de même eu des fouilles mais sur le voyage en lui-même il y a de nombreux écrits. On sait par exemple exactement qui a embarqué, à quel poste, etc. Je savais d’après les recherches qu’il y avait un bateau qui avait coulé à pic et que l’autre s’était échoué sur les récifs. Il avait eu le temps quand même de décharger pas mal de matériel. On sait, d’après les fouilles, qu’ils ont construit un camp, on a retrouvé des restes de palissade, pleins d’objets du style chandelier, pierre à fusil et ainsi de suite. Si on connaît tout ça, on ignore ce qu’ils sont devenus sur cette île. Les Naturels (NDLR : peuple indigène), de génération en génération, ont raconté qu’ils avaient construit un bateau, ce qui est fort probable puisqu’il y avait des charpentiers, des arbres autour d’eux et également tout ce qu’ils avaient déchargé du bateau. Ils pouvaient construire un bateau, ce n’était pas infaisable mais ont-ils pu le prendre ? Ont-ils été massacrés avant ? Et s’ils l’ont pris, pourquoi n’avons-nous jamais eu de traces d’eux ? Se sont-ils échoués ailleurs ? On ne le sait pas. Ce qui est avéré par contre, c’est que deux hommes sont restés sur l’île et que entre 35 et 40 ans plus tard il y avait encore un des rescapés sur l’île, c’est assez impressionnant.
Autour du naufrage de l’expédition La Pérouse flottent de nombreux mystères, vu tout ce que vous venez de nous dire. Comment construit-on un récit avec autant d’inconnus ?
Quand j’ai dit à mon éditeur Daniel Maghen que j’aimerais beaucoup traiter du sujet, je n’avais pas encore d’angle d’attaque. J’avais les pièces, comme au jeu d’échecs, on a les pièces posées mais on ne sait pas comment les faire avancer. Je savais qu’il y avait sur cette île probablement des Mélanésiens des Polynésiens, deux bateaux échoués,des rescapés, un camp où ils ont construit un bateau. À moi après d’imaginer ce qui a pu se passer tout en étant le plus plausible possible. Je pense que dix auteurs qui travailleraient sur le sujet imagineraient dix histoires différentes.
Vous qui avez débuté dans le métier avec Jacky Goupil sur une série humoristique, comment avez-vous « dérivé » vers la BD réaliste et plus précisément vers le thème des indiens et des colons ?
Si je vous montrais des dessins de quand j’étais gamin, c’était souvent très historique. Par contre, pour mes premiers albums, c’est vrai que c’était dans un style animalier humoristique, et j’en ai fait cinq. Ça remonte quand même à pas mal de temps parce que le dernier est sorti en 1993 ou 1994. Après j’ai fait Fol qui était un peu jeunesse mais un peu moins dans l’humour et non animalier, puis ensuite j’ai travaillé sur L’Auberge du bout du monde. Et après je me suis lancé dans toute la saga sur les Amérindiens. En fait, au fond de moi j’adore l’Histoire, une certaine forme d’Histoire on va dire entre guillemets, celle des grandes aventures humaines.
Vous avez travaillé avec quelques scénaristes mais depuis quelques albums vous êtes maître du scénario.
Ce n’était pas l’objectif de travailler avec eux pour apprendre le métier de scénariste mais oui bien sûr j’ai appris à leurs côtés. J’ai beaucoup aimé travailler avec Tiburce Oger, je pense que c’est un très bon scénariste et il m’a apporté beaucoup dans la narration d’une histoire. Jacky Goupil aussi, j’ai eu de très bons souvenirs de collaboration avec lui. Par la suite, j’ai eu envie de raconter mes propres histoires tout simplement, comme plein de dessinateurs de bande dessinée qui se disent un jour « mais moi j’ai envie de raconter ça parce que ça me tient à cœur ». Quelque chose comme par exemple Vanikoro, on ne peut le faire que si on est passionné par l’envie de raconter cette histoire. Je ne suis pas sûr que ce soit une BD où un scénariste puisse communiquer sa passion à un dessinateur. Il faut vraiment que les deux soient sur la même longueur d’ondes alors que quand on est tout seul c’est parfait.
Les planches de l’album seront exposées à la galerie Maghen tout comme pour vos titres précédents publiés par cet éditeur. Est-ce que cet aspect a été déterminant dans le choix d’être édité par Maghen ?
C’est sûr qu’il y a de plus en plus un marché de l’original qui est indéniable. C’est vrai que j’en profite, il faut être réaliste mais je ne fais pas de la bande dessinée pour vendre mes originaux au départ parce que quand j’ai connu Daniel Maghen, il avait fait une exposition sur L’Auberge du bout du monde que je faisais chez Casterman. En fait ce sont deux choses bien différentes, je fais un album chez Daniel Maghen, certes en tant qu’éditeur, et ensuite j’ai une exposition dans sa galerie. Il n’expose pas que mes originaux, il expose plein d’auteurs. Il se trouve que moi je suis édité chez lui, du coup il aime mon travail puisqu’il m’édite.
Avez-vous déjà un projet sur le feu ?
J’ai des idées mais je vais d’abord savourer ce petit moment qu’est la sortie de Vanikoro. Des idées on en a toujours, mais je préfère ne pas trop en parler puisque je ne sais pas laquelle je vais vraiment exploiter.
Merci beaucoup.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau
Interview réalisée le 12 octobre 2018.
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