Ismaël Méziane est un jeune auteur aixois et il va falloir compter avec lui car son Nas poids plume a déjà été primé deux fois (Prix des écoles d’Angoulême 2015 et Prix Lecture 2015 à Bulles en Hauts de Garonne) avant cette interview. Un fait indéniable car une semaine plus tard il obtenait le Prix jeunesse lors du 10ème Festival de la BD de l’Alpe d’Huez. Nas poids plume, c’est un poids lourd ! Montez avec nous sur le ring pour cette première interview issue des 12èmes Rencontres du 9ème Art d’Aix-en-Provence. Début du round !
Bonjour Ismaël. Tu es diplômé de l‘École Supérieure des Arts Saint Luc de Liège et Nas poids plume est ta première BD. Avant cela, tu as travaillé pour le magazine Tchô !.
Bonjour. Oui c’est ça !
Quels sont les éléments qui t’ont motivé pour devenir dessinateur ?
Dessinateur de bandes dessinées en particulier. Parce que dessinateur, je voulais le faire quand j’étais gamin. Je ne voyais pas le temps passer quand je dessinais. Pendant très longtemps, j’ai voulu faire du dessin animé en fait. Mais je n’ai jamais pu en faire. Ce n’est pas grave ! En professionnel, bien sûr ! En amateur, je m’amuse toujours à en faire. Et ce qui m’a poussé à faire de la bande dessinée, c’est juste le fait qu’il s’agisse d’un Art qui est complet. Aussi bien narrativement qu’au niveau du «Chara design». Dans le monde de l’Art appliqué, c’est celui que je trouve le plus complet. Ensuite, il y a aussi le fait qu’il s’agisse d’un Art où il suffit de s’y mettre pour apprendre. On a pas besoin de diplôme ou de n’importe quelle formation. « Il faut que tu t’y mettes et il faut que tu le fasses ». Là pour moi, tu fais de la bande dessinée. Et puis, on peut raconter énormément avec très peu finalement, un papier et un crayon. Pas besoin de budget, contrairement au dessin animé, ni de qui que ce soit. Tu peux raconter ton histoire, inventer tes personnages et apporter ton univers. On peut dire que ce qui m’a poussé, c’est le côté indépendant de la BD. Même si je dépends d’un éditeur, mes histoires elles ne dépendent pas de lui. Je l’ai au contraire en tant que très bon conseiller.
Comment est né Nas dans ton esprit ?
Cela a commencé quand je regardais mon petit cousin Nassim. Il porte le même nom d’ailleurs, c’est pour cela que je l’ai appelé Nas. Je le voyais passer par les mêmes étapes que moi à l’école, le fait qu’il essaye de s’imposer. Nas, cela fait six/huit ans que je le dessine et je trouvais intéressant de raconter tout ce que j’avais fait. Mais à la base, il n’y avait pas trop d’histoire de boxe. Cette histoire de boxe, c’est Julien Neel qui m’a poussé à la raconter. Enfin, il ne m’a pas poussé. Il m’a tapé sur l’épaule en me disant : « Hey, tu aimes la boxe alors parle de boxe ! ». Et j’ai commencé à creuser dans cette direction. J’ai également eu la chance d’avoir été très bien orienté et conseillé. Je n’ai pas été influencé mais conseillé. C’est vraiment le terme. Je disais cela à un collègue dessinateur. A un certain niveau, quand tu as fini l’école, ce qui fait la différence et ce qui est peut-être l’étape suivante de la formation, ce sont les conseils philosophiques. Quand j’ai fini mon école, j’avais de bonnes bases en dessin, de bonnes bases en narration, mais j’ai eu la chance d’être bien entouré par des gens comme Julien Neel, Jean-Luc Deglin, Guillaume Bianco et Éric Cartier. J’ai eu la chance d’être étudiant à Aix-en-Provence avant de partir en Belgique sur les conseils de Simon Van Liemt qui avait fait la même école. Julien Neel et Éric Cartier m’ayant conforté d’y aller, je suis parti là-bas un peu « Rock and Roll ». Je n’avais pas une thune ! (Rires). Pour en revenir à Nas, il y a un truc qui m’avait marqué à l’école. Je ne suis vraiment pas pour exagérer le côté violent de l’école car ce n’est pas si violent que cela. Cette violence-là, j’ai retrouvé la même voire pire dans le monde des adultes. En plus subtil et plus malsain d’ailleurs. Je trouvais cela intéressant de le raconter. Enfant, je pensais que l’on n’avait pas trop le choix. Qu’on était soit victime soit bourreau dans un délire très manichéen. En creusant, et au travers de la boxe que j’ai pratiqué quand j’étais gamin et cela m’a fait du bien, je me suis aperçu qu’il y avait une autre voie. Quelque chose de plus serein et de plus sain. Nas est venu de toute cette réflexion–là.
Dans notre chronique, nous disons qu’il y a beaucoup de respect, d’intelligence, de valeurs dans ta BD. C’est aussi beaucoup de toi ?
Merci. Je crois que ce qui a plu, c’est que je n’ai pas fait semblant. Je n’ai pas réfléchi en me disant que j’allais parler de valeurs, de respect pour la maman ou le pépé. C’était naturel. Je reviens sur ce que disait Julien (Neel) et les autres de mon « équipe » – je les appelle mes « bienveillants » d’ailleurs gentiment dans l’album. Au départ, je ne voulais pas écrire et je ne pensais que dessiner. Ils m’ont dit : « Tu es une personne intéressante donc tu as forcément quelque chose à raconter ! ». Je n’avais pas fait le rapprochement quand j’étais étudiant. Ma rencontre avec Julien a été un bouleversement dans ma vie – autant moralement que graphiquement. Également, sur le plan personnel car c’est plus qu’un pote. C’est la famille. Et quand j’étais un peu perdu – je ne trouvais pas de scénariste en fait – il a insisté sur le fait que j’avais vraiment une histoire à raconter et que j’étais intéressant. Et je ne voyais pas le rapport entre le fait que tu sois intéressant et le fait que tu puisses être scénariste. Mais en fait c’était évident finalement. Et pendant très longtemps, je pensais que, pour écrire des histoires, il fallait avoir fait des écoles de Lettres et qu’il fallait être calé en Littérature. Et bien non, il faut avoir un putain de vécu ! Avoir quelque chose à raconter, c’est avoir galéré aussi. C’est ce qui est intéressant à raconter, à lire. Moi, c’est ce que j’aime lire.
Et puis, il y a les petits clins d’œil à ta ville, Aix-en-Provence, je pense au bus à destination de Beisson par exemple …
J’ai kiffé de le faire aussi. Gamin, ce qui me frustrait également, c’est que des références pour des villes comme Aix on ne les voyait pas. Très rarement. Quand on voit des références à sa ville, on est content. D’autant plus que Beisson et la Pinette, pour le coup, sont les quartiers de mon enfance. Je m’entrainais à Beisson quand j’étais petit dans le club de Moussa.
Tu as réalisé l’album du scénario à la couleur. Tu as été très bien entouré par le «pool d’auteurs aixois». Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées dans la réalisation de l’album ?
En fait, c’est parti tout seul. Je n’ai pas galéré. Je n’ai pas lutté pour écrire. Je n’ai pas souffert du tout. Ni en dessinant. Avant je ne dessinais pas comme cela. Je faisais des dessins très comics, des super-héros à la base. Et quelque chose me revient. Nas, au départ donc huit ans en arrière et c’est quelque chose que je n’ai pas beaucoup dit, je le faisais pour que ma mère lise mes BD. Elle trouvait mes super-héros très beaux. Elle voulait que je fasse ce métier-là donc. Et Nas, elle trouvait cela génial. J’ai continué en me disant que cela lui faisait plaisir de la lire. Ma mère est donc aussi à l’origine de ce petit bonhomme.
Á l’heure où nous parlons, Nas a déjà été primé deux fois. Félicitations. Cela fait plaisir ?
Merci. Cela fait super plaisir. A part te dire la réponse banale : « Je suis très content »…
Qu’est-ce que représente pour toi ce succès auprès du public ?
Ce qui me touche énormément, c’est que ce sont des prix donnés par des gamins. Et ils ne font pas semblant. Les enfants, ils aiment/ils adorent ou ils n’aiment pas/ils détestent. Il n’y a pas flatterie ni de faux-semblant. Ils ont adoré Nas. Cela me conforte dans mes choix. J’étais content de me dire : « Voilà, Nas était aussi la BD que je voulais lire quand j’étais gamin ». Dans mes influences, il y a Titeuf. La force qu’avait Titeuf, c’est que cela répondait à des questions que je n’osais pas poser aux adultes. En toute modestie, c’est un peu la même démarche que j’essaye d’avoir avec Nas.
Comme si tu indiquais un chemin à suivre à certains gamins.
Je te le dis, c’est le gamin que j’étais aussi. Là il faudrait voir un psy ! (rires)
Aujourd’hui, tu travailles sur la suite de la série. As-tu envie de faire autre chose ? Pas dans l’immédiat bien sûr !
J’ai envie de faire autre chose, certainement. Je veux me concentrer à fond sur Nas pour l’instant. C’est un peu comme Lou !. Ce n’est pas un personnage fixe. Il y a tellement de chose à raconter. Je n’ai pas de limite dans mes histoires. Je ne suis pas cantonné à un genre, à un style ou à un type de narration. Je suis super content d’avoir fait cela. De me dire que Nas, ce n’est pas bouché. C’est ouvert sur plein de choses. Je peux parler de tout. Dans le tome 2, certains vont être surpris. Ils vont se dire : « Ah ! Pourquoi pas ! ».
Merci beaucoup Ismaël et plein de bonnes choses pour la suite!
Propos recueillis par Stéphane Girardot.
Interview réalisée le 10 avril 2015.
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