Non content d’avoir une actualité et un planning chargés par ses créations, André Taymans est maintenant aux commandes de la collection Place du Sablon, dédiée aux séries patrimoniales belges, dans le catalogue des éditions Paquet. Invité au festival Quai des Bulles, nous sommes revenus avec lui sur ce rôle récent, sur son travail en tant qu’éditeur, mais aussi sur ses propres œuvres en cours, comme le deuxième tome du diptyque La Main de Pangboche, rattrapé par les tristes événements survenus au Népal.
Bonjour André ! Place du Sablon commence à se faire un beau catalogue. Comment se déroule la gestion de cette collection ?
Ça commence bien, en effet. Pas aussi vite qu’on voudrait mais on n’est que deux à s’en occuper, Pierre Paquet et moi. Comme on a chacun nos activités en plus sur le côté, ce n’est pas évident. L’édition pour moi ce n’est pas nouveau parce que j’avais monté Flouzemaker à l’époque, il y a à peu près dix ans d’ici. Donc j’avais quand même l’habitude de ce genre de trucs. Là l’idée c’était de monter une petite maison, de commencer doucement, en faisant maximum un album par mois, soit 10 à 12 par an grand max. On verra ce que ça donne, avec comme « ligne directrice » de ne faire que de la réédition, sauf si un auteur décide de poursuivre une série qu’on est en train de rééditer. C’est le cas par exemple avec Sydney Bruce, de Francis Carin et François Rivière. François nous a dit d’emblée que c’était le héros qu’il avait préféré créer, qu’il adorerait continuer la série et on a dit OK, allons-y. Donc des rééditions et des licences avec Petzi, Bob et Bobette et maintenant Agatha Christie qui va arriver aussi. C’était chez Emmanuel Proust, c’est le même groupe donc on a récupéré les droits.
Avec une réédition des albums déjà parus ?
Non, on a décidé de faire table rase, donc ce qui était au catalogue n’y sera plus et on recommence à zéro. L’idée est que, pour chaque héros d’Agatha Christie, ce soit par un dessinateur par série. Par exemple, Hercule Poirot sera dessiné par Chaiko. On est en train de monter tout le projet, les auteurs ont commencé à travailler dessus, etc. C’est un gros truc, surtout qu’il y a beaucoup de demande, surtout à l’étranger, car c’est traduit en Angleterre, un marché où il est très difficile de percer d’habitude.
C’est un bel écrin pour vos albums aussi.
On a évidemment décidé de remettre mes albums là, mais je ne suis pas l’éditeur de mes albums. Je ne voulais pas, c’est Pierre Paquet qui est mon éditeur, comme ça les choses sont claires. Je n’avais pas envie de m’auto-éditer. Donc moi je m’occupe de tout le reste et Pierre s’occupe de mes albums. Mais je suis content, ça m’a permis de rééditer des trucs qui me tiennent à cœur, comme Assassine, et que des gens me demandaient. Ça me titillait depuis longtemps de mettre Assassine en couleurs tout en essayant de trouver les couleurs qui allaient fonctionner puisque l’album avait été fait pour le noir et blanc, donc ce n’était pas évident non plus. On a beaucoup bossé dessus et tâtonné pour essayer de trouver quelque chose qui collait. Je suis content du résultat.
La maquette de la collection est magnifique aussi.
C’est ce que je voulais depuis le départ, j’avais envie d’une maquette unique pour la maison d’édition parce qu’il y a tellement de BD qui sortent aujourd’hui que je voulais que le lecteur qui aille dans une librairie, au premier coup d’œil, reconnaisse un Place du Sablon. Et on s’est rendu compte que cette maquette collait avec pratiquement tous les titres, que ce soit les titres jeunesse comme Petzi ou les titres adultes comme Assassine. La maquette fonctionne pour tout. Comme c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes, on est un peu parti de la maquette d’Hergé. Pour le moment, on n’a que de bons échos. Les gens trouvent ça chouette, donc on va continuer dans ce sens-là.
Comment en êtes-vous arrivé à vouloir mettre en avant ce côté patrimonial de la BD belge ?
Ce qui s’est passé, c’est que, quand j’ai rencontré Pierre Paquet, il était arrivé à la conclusion que vouloir faire de tout sous le seul label Éditions Paquet, ça ne fonctionnait pas. Les éditions Paquet étaient connues chez les libraires pour leur BD « de niche » sur tout ce qui est avion, voiture et tout ce qui est ciblé. Par contre, parmi le reste il y avait certaines choses qui fonctionnaient très bien comme Le Voyage des pères par exemple ou comme le western humoristique Lincoln. Voilà le genre qui fonctionnait bien mais c’était l’exception qui confirme la règle. Dans sa réflexion, Pierre a décidé de créer plusieurs maisons d’édition qui ont chacune leur spécificité et une identité propres. Il était sur le point à l’époque de racheter Emmanuel Proust qui était en faillite et dans nos discussions il m’a dit qu’il aurait des maisons en Suisse, avec Paquet, Kramiek, Chours pour les livres pour enfants, bientôt une maison d’édition sur la France avec EP qu’il rachetait… Je lui ai dit oui, la Suisse, la France… mais pour moi qui suis belge, la BD c’est Bruxelles. De là est née la réflexion de faire quelque chose en Belgique. Mais il fallait un aspect bien ciblé et ça a été le patrimonial. Et le nom Place du Sablon tout simplement parce que c’est là aujourd’hui que se regroupent pas mal de galeries à Bruxelles, et que la Place du Sablon est dans le prolongement de la rue du Lombard. Pour moi ça faisait une continuité logique. Et puis toutes nos discussions se sont passées Place du Sablon parce que c’est là que Pierre descendait. Son hôtel était là, c’est un peu le hasard mais ça s’imposait.
D’où l’idée de reprendre notamment Bob et Bobette ?
Ça c’était déjà à l’époque des éditions Paquet puisque il y a eu Amphoria, il était déjà en discussion depuis longtemps pour cette intégrale du Bob et Bobette de Willy Vandersteen. Quand on a redécoupé tout le catalogue, on s’est dit que c’était vraiment pour un public belge ou suisse, que les Français connaissaient moins et que c’était plus difficile à imposer. Et puis ça fait partie du patrimoine belge donc ça nous semblait logique que ça retourne chez Place du Sablon.
Et ça a été aussi l’occasion de reprendre les aventures de Roxane.
Oui, mais là aussi, La Main de Pangboche était chez Paquet. Entre-temps on avait fait rééditer La Traque, qui était la première histoire avec Roxane. On l’avait éditée chez Place du Sablon, puis on s’est dit qu’on allait tout remettre là, sinon ce serait trop compliqué pour les gens. On a tout regroupé, on a réédité le tome 1, maintenant la série a trois volumes et je suis sur le quatrième. Qui avance gentiment car j’en suis à la page 20.
Être impliqué dans la collection vous laisse-t-il plus de liberté créative ?
Le gros avantage pour moi est que je peux gérer l’album de A à Z. Une de mes grandes frustrations avant, c’était que je scénarisais l’album, je le dessinais, et puis il partait à l’impression. On me disait toujours que je ne pouvais pas y aller car c’était trop loin, trop cher, et quand le bouquin revenait, ça n’allait pas du tout. On avait poussé les rouges à fond ou d’autres choses, il y avait toujours un côté frustrant à ne pas pouvoir vraiment s’occuper de tout, tandis qu’ici je n’ai pas d’excuse. Si quelque chose n’est pas bien, c’est de ma faute.
En réalisant le deuxième tome de La Main de Pangboche, l’actualité vous a rejoint…
Oui, c’est un peu compliqué puisque j’étais en train de dessiner des planches qui se passent dans la région du Langtang au Népal. Et à ce moment-là s’est produit le tremblement de terre, et les villages que je décrivais ont été rayés de la carte. J’ai été de nombreuses fois au Népal, ce sont des villages que je connais bien, je connaissais les gens, j’ai logé plusieurs fois là-bas… ça m’a quand même fait un gros choc. Et je me suis dit que je ne pouvais pas continuer à faire mon album comme si rien ne s’était passé, il fallait que je l’adapte d’une manière ou d’une autre. J’ai donc transformé mon scénario pour coller avec la triste actualité. C’était un peu particulier comme création d’album, mais il me semblait que je devais le faire plutôt que de faire comme si de rien n’était. L’histoire était déjà écrite, découpée et terminée, tout n’a pas changé car en gros elle reste la même, mais les événements participent à l’histoire sur la fin.
La suite prendra-t-elle un cadre complètement différent ?
Le prochain album se passe en France, en Haute-Savoie. Rien à voir avec le Népal mais il y a toujours la montagne. Pour Roxane, c’est un environnement de montagne dans pratiquement tous les albums, même quand elle intervenait dans Caroline Baldwin.
Où en êtes-vous justement avec Caroline Baldwin ?
Un nouveau volume arrive en fin 2017. J’en suis à la page 5, donc pas très loin, mais le scénario est bouclé aussi. L’histoire se passe entièrement à Montréal. Et il n’y a plus qu’à dessiner ! (rires)
Comment arrivez-vous à découper votre temps entre tous ces projets ?
Ça devient de plus en plus compliqué mais on s’arrange toujours. Heureusement, il y a beaucoup de rééditions. Mais comme ce ne sont pas de simples rééditions, il faut faire des remises en couleur, parfois les planches n’existent plus… C’est du boulot mais c’est moins lourd que si c’était de la création pure, même si ça occupe bien mon temps.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury
Interview réalisée le 29 octobre 2016.
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