Aujourd’hui nous vous proposons de découvrir Wilfrid Lupano, qui est selon nous l’un des meilleurs scénaristes de ces dernières années. C’est avec générosité qu’il s’est livré aux jeux des questions-réponses sur son travail et sa vision des choses. Rencontre.
Bonjour Wilfrid. Au vu de votre bibliographie, peut-on vous définir comme un touche à tout ?
On peut, en effet, je me définis moi-même comme un touche à tout. Ma production en BD reflète mes centres d’intérêts et ma personnalité, je m’intéresse à beaucoup de choses. Je n’ai jamais vraiment eu, à un moment donné, une passion qui aurait écarté tout le reste. Il y a encore plein de sujets et thèmes que je n’ai pas abordés et c’est ce qui rend tout cela excitant, car cela montre que l’on n’est jamais à court d’idées. Je trouve de plus en plus que la bande dessinée est un formidable moyen de vulgarisation dans le sens noble de la chose. Je compare de plus en plus la BD à la chanson, la bande dessinée est à la littérature ce que la chanson est à la musique. C’est un art populaire qui sait se rendre populaire à tous et qui peut quand même être super pertinent.
Vous êtes l’un des scénaristes les plus talentueux de votre génération, est-ce que vous en êtes conscient ?
Oulah,, non pas du tout, je ne me pose jamais ce genre de question. En plus, je ne suis pas super cultivé en BD, je n’en lis pas beaucoup, non par manque d’intérêt mais plutôt par manque de temps. Je travaille pas mal sur mes propres albums, pour bosser dessus je lis des livres mais pas de BD, sinon on se mord la queue. Justement je considère que mon boulot est plutôt d’essayer de faire passer dans mes histoires des choses que j’ai apprises et qui sont intéressantes à développer, donc je lis plutôt des essais, des documents… Du coup, cela ne me laisse pas beaucoup de temps pour lire les albums des collègues et, même si je l’avais, cela me rappellerait un peu le boulot et à la fin de la journée j’ai envie de faire autre chose.
Vous avez récemment révélé que vous aviez pioché dans votre expérience personnelle en tant qu’employé de bistrot et boîte de nuit.
C’est un peu une banalité de le dire mais le bistrot c’est un peu le monde en petit, c’est une espèce d’accélération de particules autour du comptoir. Comme ça, on y croise plein de personnages très étonnants. C’est un super endroit quand on est jeune pour se frotter à l’humain, dans la même journée on voit un avocat, un maçon, un artiste, un punk, un juge, un flic, un boucher, etc. Ce n’est pas dans tous les métiers que l’on a ce foisonnement, or chaque milieu social a sa façon de penser, ses codes donc c’est super formateur. J’ai adoré ces années-là, après c’est difficile comme boulot, en particulier la nuit. Je ne pourrais pas dire où je me suis resservi de chaque rencontre mais oui, en effet, je me nourris de cette expérience et de ces souvenir pour écrire mes récits.
Y a-t-il un genre dans lequel vous prenez plus de plaisir qu’un autre ?
Non, pas vraiment. Par contre, sans parler de genre, on va dire que j’ai du mal à ne pas utiliser du tout l’humour, c’est très rare que je le fasse. L’humour est une sorte de protection, si je n’utilise pas d’humour du tout je raconte des choses horribles. Par exemple, dans L’Assassin qu’elle mérite, on part tout de suite dans quelque chose de très lugubre dès que j’essaie d’être sérieux, donc comme je sais que ça n’est pas non plus ma personnalité, je trouve que l’humour et la BD c’est vraiment lié pour moi. L’humour est dans l’ADN de la BD. Il faut juste trouver le bon dosage entre le comique et le dramatique, c’est ça qui m’intéresse dans ce métier.
Dans vos séries, les anti-héros ont souvent la part belle, comment expliquez-vous cela ?
En fait, je ne m’intéresse pas tellement aux héros, je n’arrive à rien écrire avec un personnage principal qui est le plus beau, le plus fort, le plus intelligent, le plus doué, le plus séduisant, etc. Dès j’ai dit ça, je commence à m’ennuyer, je ne vois pas l’intérêt de la chose. Le super-héros, par exemple – je ne critique pas du tout car j’en ai lu toute mon adolescence – me paraît pratiquement être une idéologie libérale et moi je ne le suis pas. Je préfère m’intéresser aux gens ordinaires qu’une situation rend extraordinaires.
Votre programme 2014 est plutôt chargé.
En effet, cette année il y a eu et il y aura pas mal de tomes 2, 3 et 4. Le tome 3 de L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu est sorti au mois de mai, idem pour le troisième opus de L’Assassin qu’elle mérite. Au rayon nouveauté, le premier tome des Vieux fourneaux paraîtra aux éditions Dargaud au mois d’avril, le second tome avant la fin de l’année. Et pour finir, je ne sais pas si ça sera pour la fin d’année ou pour Angoulême 2015, je réalise un album avec Grégory Panaccione (NDLR : auteur de différents albums muets édités dans la collection Shampooing des éditions Delcourt). Ce sera une histoire d’amour en mer muette et en couleurs qui s’intitulera Un océan d’amour. C’est un récit que j’ai essayé d’écrire il y a plusieurs années, je voulais m’imposer cet exercice de me passer totalement des dialogues pour raconter une histoire afin d’améliorer ma façon de les raconter dans le futur. Au final, cela m’a beaucoup plu, cela m’est venu assez facilement et j’ai trouvé que c’était un domaine d’expression intéressant.
Pour conclure, y a-t-il une question que vous aimeriez que l’on vous pose mais qu’on ne vous pose jamais ?
On pourrait me demander s’il manquait au moins un album dans la sélection officielle d’Angoulême 2014 et je répondrais oui, il manque Les Ombres de Vincent Zabus et Hippolyte, édité aux éditions Phébus. C’est vraiment un superbe album et je ne comprends pas comment il n’a pas pu être sélectionné.
Merci à vous d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 30 janvier 2014
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