Par une belle journée estivale, en plein octobre, pendant le festival de Quai des Bulles à Saint-Malo, nous avons eu le privilège de rencontrer un tout jeune dessinateur : Valentin Sécher. Et d’aucuns s’accordent déjà pour dire qu’il est tout aussi talentueux et renommé dans le monde de la BD SF que certains.
Concernant Khaal, on ne peut que constater son succès pour une première BD. Il y a un super boulot qui a été fait et qui est reconnu. Qu’en pensez-vous ?
Déjà, c’est vrai que c’est un succès car nous avons épuisé tous les tirages du premier tome. Donc, en soi, nous pouvons dire que c’est un succès mais ce n’est pas non plus un best-seller ! C’est bien d’avoir pu faire sa trace mais, je l’ai toujours dit à Louis et à tous ceux à qui je pouvais en parler, pour moi, Khaal, je n’en attendais rien. C’était pour moi une manière de mettre un pied dans l’industrie de la bande dessinée en fait. De voir comment ça se passe, de voir comment on fait pour travailler avec un scénariste, de voir ce que c’est de travailler avec un éditeur… donc, ce que j’attendais de Khaal, ce n’était pas un succès immédiat mais plutôt un grand champ expérimental où Louis m’apprend tout ce qu’il peut m’apprendre et donc, pour ça, ça a été génial ! Je souhaite à tous les jeunes dessinateurs de débuter l’aventure de la bande dessinée avec quelqu’un comme Louis. C’est une personne qui va cadrer, qui t’apprend toutes les ficelles du métier, qui est là pour dire quand ça ne va pas, qui humainement parlant est exceptionnel, voilà donc ce que j’attendais d’une première BD pour moi. Ce n’était pas du tout de vendre des tonnes de bouquins. Je ne me suis jamais dit que j’allais faire ma carrière sur Khaal. C’était plus pour voir à quoi ressemble le monde de la BD. Et donc, si ça a marché c’est très bien, mais je pense si ça a marché c’est aussi parce qu’avec Louis on s’entendait très bien, on a toujours été confiants et honnêtes dans ce qu’on faisait, et si succès tant mieux. Moi ce qui m’inquiétait, ce n’était pas les ventes mais l’accueil critique qui a été… on ne pouvait pas rêver mieux, pour dire vrai ! (sourires). Pour une première bande dessinée, ça été génial.
D’après les critiques au sujet de cette série, la BD mérite sa place dans le monde de la SF.
Je ne sais pas si la BD est reconnue, mais comme je l’ai déjà dit, avec Louis c’est vraiment quelque chose qu’on a fait sans anticipation. Louis a tenu compte de mes envies de l’époque. Que ce soit Jean-Luc Istin ou Louis, ils ont tenu compte de ce que j’avais envie de faire. Pour ça, un jeune auteur qui sort des écoles et qui rencontre Louis qui lui confie : « on veut faire une histoire en fonction de ce que tu veux faire »… là tu te dis « ouah ! il me fait confiance sans faire d’essai et tout ». J’ai démarré ma première page dessinée pour l’industrie de la BD. Et c’était directement ma première page de Khaal ! Ça n’allait pas du tout parce que c’était trop lent, certes… j’avais du lavis… et je me suis rendu compte que la bande dessinée c’était un métier, qu’on pouvait passer un mois sur une page, et que c’est bien peut-être bien pour les collectionneurs mais pas pour l’industrie… Mais voilà, pour moi, Khaal, c’est ça. C’est une super première expérience !
On compare ton dessin à Moebius, Druillet, Bilal, tu es la relève de ces grands auteurs ?
Tous ces auteurs sont des influences. De toute manière, du plus lointain souvenir que je peux avoir de la bande dessinée, le premier livre qui m’a marqué, c’est L’Incal en tant que grosse claque ! J’étais jeune, c’était bien avant de lire Tintin. J’ai eu la chance d’avoir un père très amateur de BD. Il avait déjà tout ça, il achetait Métal Hurlant, il était fan de Moebius, Druillet et Bilal avec Les Immortels. Donc, à huit-neuf ans, tu te retrouves à ouvrir des BD comme ça avec un père qui dessine déjà… c’était inévitable.
Tu sors de l’école Pivaut, le choix de tes camarades ne s’est pas spécialement orienté vers la BD, qu’est ce qui a fait que tu as choisi cette orientation ?
Quand je suis arrivé à Pivaut, je voulais faire de la bande dessinée. Je ne sais même pas si à un moment donné j’ai eu un doute sur mon choix entre m’orienter vers les dessins animés ou la bande dessinée. J’ai toujours eu envie de faire de la bande dessinée. J’aimais bien ce qu’on faisait dans le dessin animé mais il y a quelque chose qui ne me plaisait pas du tout contrairement à la bande dessinée et à l’illustration où on fait notre image de A à Z. Les gens qui font du dessin animé sont des génies, des génies d’images et de dessins, ils sont incroyables dans leur domaine mais, concernant la fabrication d’une image en dessin animé, il y a une personne qui va faire le rough, une les mouvements clés, une autre qui va faire cleaner le dessin, une personne qui va faire la couleur, deux autres qui vont faire les décors derrière et quelqu’un d’autre qui va assembler le tout… Derrière une seconde de film, il y a trente personnes. Bon j’exagère peut-être un peu mais c’est dans cet ordre d’idée là. C’est peut-être un peu individualiste, autre que celui d’avoir ton nom sur la BD, mais ce que j’aime par-dessus tout dans la bande dessinée et l’illustration, c’est que tu démarres ton image, tu la finis, et que c’est toi qui l’as faite. C’est ton truc. S’il y a quelque chose qui ne va pas, tu ne t’en prends qu’à toi-même. Ce n’est pas que je n’aime pas bosser en équipe, mais j’avais besoin de ça, j’aime autant le dessin que la couleur, que mettre en scène toutes ces choses différentes. Pour moi, faire de la bande dessinée, c’est vraiment trois étapes différentes donc c’est ça qui me plaisait le plus et c’est pour ça que je me suis orienté vers la bande dessinée. Je suis arrivé à Pivaut en me disant que je veux faire de la BD quand j’ai vu ce qu’on faisait en dessin animé. A un moment donné, je me suis dit pourquoi pas, mais non. Et puis de toute manière la bande dessinée c’est un peu un mixte entre l’illustration et le dessin animé : on raconte une histoire, un peu séquencée, avec de la mise en scène, il y a aussi de la technique et il y a aussi toute la partie finition, tout ce qui est encrage et couleurs. Ce sont des étapes qui sont tout aussi intéressantes. Même si c’est vrai, que quand on commence à toucher la bande dessinée, on se rend compte que le plus intéressant c’est de raconter une histoire avec des images, c’est le boulot du metteur en scène, c’est vraiment ça : tu fais ton film à deux ! Ce n’est pas la qualité visuelle d’un film mais c’est une œuvre quand même. Avec un film, entre celui qui a l’idée de départ et la fin, à part les gens qui chapeautent tout, il peut y avoir trois cents personnes qui peuvent passer par là. A la fin, ça ne ressemble plus du tout à ce qu’avait en tête la personne au début. Là, dans la bande dessinée, il y a le scénariste qui a une idée, il en parle au dessinateur, pour un peu qu’ils soient très proches, le final est en général pas si éloigné que ça de l’idée originale. Même si c’est toujours un peu éloigné, il y a toujours des différences c’est sûr, il y a soi des bonnes surprises, soit des mauvaises, mais c’est certainement moins éloigné que ce peut être un film.
Suite à cette première BD, quel est ton futur projet ? Et est-ce avec un scénariste aussi engagé que Louis ?
Je suis sur un autre projet depuis quelques mois mais je n’ai pas le droit d’en parler. J’en ai parlé à mon éditeur qui m’a dit que j’avais le droit de dire seulement ceci : je reprends une saga sur un personnage important et connu, avec un auteur qui est tout aussi « burné » que Louis. Un rêve de gosse ! *Suspens…*
Est-ce que depuis que tu veux faire de la bande dessinée, tu as un scénario en tête que tu aimerais mettre sur papier, peut-être pas maintenant mais dans plusieurs années ?
J’avais un scénario en tête que j’ai écrit comme ça, il traîne quelque part dans un tiroir… Plus j’y reviens, plus je me dis que ça ne vaut pas le coup. Mais en fait, ça va paraître très démago ce que je vais dire, la proposition qu’on m’a faite là correspond à toutes mes attentes… à tout mon univers de la bande dessinée ! Mais après, mon rêve le plus fou serait de mettre un pied dans le cinéma.
Comme dans les working progress de Baranger qui a travaillé notamment sur La Belle et la Bête et qui a fait un boulot magnifique sur les décors, les personnages, est-ce ce genre de projet qui t’intéresserait ?
Oui, c’est clair ! Mais je ne pense pas que ça m’intéressait d’être à la direction artistique. Mais ça serait un rêve de fou ! Je n’ai aucune expérience dans le film, mais mine de rien avec la BD, on acquiert une certaine expérience au niveau de la fabrication d’une image… et au cinéma, ce qui est bien, c’est qu’on est avec une équipe, il y a des gens autour qui savent comment filmer. Par exemple, je suis nul en informatique, à part Photoshop (rires). Je serais incapable de faire des effets spéciaux ou ce genre de choses. Mais le truc le plus ambitieux que je pourrais avoir ça serait pourquoi pas de réaliser mon propre film. Ça serait génial ! Mais mon truc c’est le dessin aussi ! (sourires)
Tu dis que tu es nul en informatique, mais comment Khaal a été créé ?
Pour moi, l’informatique c’est génial quand ça marche ! Pour Khaal, les pages sont faites en noir et blanc de manière traditionnelle, donc d’abord au crayon, et après l’encrage. Les couleurs des pages sont faites à l’ordinateur sur Photoshop, et par contre, dès que je le peux, je reviens à l’illustration à la main, c’est de l’huile. La couverture du tome 2 est une peinture à l’huile et celle faite pour le tirage des Sculpteurs de Bulles aussi, et j’essaie aussi de faire un peu d’illustrations à l’acrylique. La peinture à la main, c’est top ! C’est ce qu’il y a de mieux. Mais le problème avec la bande dessinée, ce sont les délais. Et la peinture à l’huile, ce n’est pas un média qui est adapté à la bande dessinée. Le temps que ça sèche… une peinture à l’huile, en une semaine on peut la scanner, mais pour mettre du vernis dessus, il faudra attendre six mois ! A la limite, il faudrait la faire à l’acrylique, mais à l’heure d’aujourd’hui, avec les moyens qu’on a, et vu comment on peut faire des choses qui sont proches visuellement… Chacun fait ce qu’il veut évidemment, je ne vais pas juger les gens qui font tout traditionnel, au contraire ! D’ailleurs, mon père était peintre d’enseignes, ce que j’ai toujours admiré. Mais bon, ça nous permet d’aller plus vite, mais dès que je peux je reviens au traditionnel car tu apprends toujours ! Bon, tu apprends des deux, j’essaie de voir le plus de choses possibles, plus tu en vois et plus tu as de liberté…
Donc, pour résumer, tu as ce fameux projet en cours, le rêve de réaliser un film et après tu verras, il n’y a pas de projet plus loin ?
Déjà, j’avais prévu de devenir une star de la musique pour pouvoir faire partie du club des vingt-sept, donc ça me laisse plus que un an !(rires) Non, je plaisante ! Pour l’instant, je suis sur un album, j’essaie de le faire le mieux possible, les délais sont ce qu’ils sont, j’essaie d’aller beaucoup plus vite que Khaal, ce qui n’est pas forcément facile. Mais vu que je fais un truc qui me plait énormément, je m’éclate ! Je ne m’y attendais pas après Khaal. On verra bien pour la suite…
Un peu plus d’une semaine après Quai des Bulles, nous apprenons que Valentin rejoint le monde de l’Incal pour la série Méta-Baron… Un pari qu’il saura tenir à coup sûr !
Propos recueillis par Florence Daubry et Nicolas Davy
Interview réalisée le 11 octobre 2014.
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