Dans la bulle de… David Vandermeulen et Nathalie Van Campenhoudt

Lors du week-end BD Aix 2016 qui ouvrait la treizième édition des Rencontres du 9ème Art d’Aix-en-Provence, nous avons eu l‘occasion de discuter avec le truculent et érudit David Vandermeulen qui est auteur certes (Monsieur Vandermeulen, Fritz Haber, Romantica, etc…), mais également le directeur de cette superbe collection qu’est La Petite Bédéthèque des Savoirs. Nous vous invitons donc à partager cette rencontre qui sera complétée par des interventions de Nathalie Van Campenhoudt, l’éditrice de la susnommée série aux éditions du Lombard entre autres, qui n’a malheureusement pas pu nous honorer de sa présence mais a très gentiment répondu à quelques questions par mail.

David Vandermeulen © La Ribambulle

Bonjour David. Quelle est l’idée de base qui  a mené à la création de la collection La Petite Bédéthèque des Savoirs ?
Écoute, elle a à la fois émergé comme cela suite à une conversation et je l’avais en moi depuis très, très longtemps. Mais, je ne m’étais jamais projeté moi-même un jour Directeur de collection. C’est un jour en déjeunant avec Gauthier Van Meerbeeck (NDLR : Directeur éditorial des éditions du Lombard) que je lui ai suggéré de faire ça au Lombard et que ce serait intéressant ! En fait, il a trouvé ça très séduisant et il m’a dit : « C’est une excellente idée. Pourquoi ne viendrais-tu pas le faire toi-même chez nous ? » Là, il m’a un peu cueilli ! Comme j’étais un petit peu pris sur le vif comme ça, j’ai répondu : « Chiche ! » Ça s’est fait un peu par accident d’une façon personnelle mais sinon d’un point de vue intellectuel, c’est quelque chose que j’ai toujours rêvé depuis très longtemps. Parce que j’ai toujours été séduit par les collections de savoir dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Je pense notamment à des collections comme les Que sais-je ? des P.U.F. (NDLR : des Presses universitaires de France), les Microcosmes au Seuil, La Petite Bibliothèque chez Payot, qui étaient toutes en format grand poche. Il y avait aussi en plus petit et plus léger les Marabout Flash. Enfant, je les collectionnais sans parfois comprendre la moitié du quart. Mais c’était quelque chose que j’aimais bien. Et j’ai toujours été fasciné par ces collections qui essayaient de tout englober et de tout savoir. En fait, je me plaisais plus à regarder les numéros à suivre, à paraitre ou déjà parus et de m’imaginer tous ceux que j’avais envie d’avoir. Enfant, je passais plus de temps dans les sommaires que dans les livres vraiment. Là, on est dans ma petite enfance ! Donc, ces livres étaient très disponibles. Et souvent, je faisais mes emplettes dans les tourniquets présents dans les grandes surfaces quand j’allais avec mes parents faire les courses comme tout enfant. Voilà, ces collections me fascinaient et j’ai toujours dit que la bande dessinée manquait furieusement de grandes collections, de vraies collections. En tant qu’auteur, cela m’a toujours intéressé de faire de la bande dessinée didactique. Donc au début, en 1999, j’ai commencé à faire Littérature pour tous – alors c’était de la BD didactique mais détournée, pour m’en moquer – puis j’ai fait des choses plus sérieuses comme Fritz Haber. Mais c’était de la transmission historique, de savoir très pointue. Il y a aussi la série Romantica. J’ai écrit l’éditoriale du Monde Diplomatique quand il y a eu en 2006, il me semble, un spécial BD. Quand La revue dessinée s’est montée, avec Daniel Casenave on était présents dès le numéro un et nous en sommes des auteurs récurrents. Et avec Daniel, nous avons toujours été intéressés par ce genre de chose-là. C’est quelque part une suite logique. Mais je me suis surtout dit que c’était « Le moment » pour le faire. Il y avait vraiment une demande de la part du public. Les éditions du Lombard ont donc trouvé l’idée formidable et j’avoue que j’ai mis un peu de conditions. Pas pour moi personnellement mais pour que la collection soit à mon sens viable. J’ai dit que je voulais le faire avec Nathalie Van Campenhoudt. Parce qu’il fallait absolument être deux. On voulait établir une périodicité assez importante – douze numéros par an – et sur deux ans d’office. Et, on voulait avoir des avances sur droits assez confortables pour les auteurs. Je me suis dit à un moment que j’avais mis la barre un peu trop haut et qu’ils n’allaient pas le faire. Quelque part comme je suis auteur, il y avait une petite voix dans ma tête qui me disait : « Est-ce bien raisonnable ? Est-ce que c’est bien cela que tu veux faire et sacrifier ta carrière d’auteur quelques temps, indéterminés d’ailleurs ? » Le Lombard a dit oui directement, si bien que je me suis dit que j’aurais pu aller plus loin !! (Rires)

Bonjour Nathalie. Comme à chaque fois, tu portes un grand soin à l’objet-livre. Il répond à une charte bien précise. Peux-tu nous en dire quelques mots ?
Nathalie Van Campenhoudt : Bonjour. En effet, avec David, j’ai souhaité soigner particulièrement l’objet-livre pour cette collection. Comme il s’agit d’une certaine manière d’un livre hybride qui est à la fois une BD mais aussi un petit manuel de vulgarisation de savoir, j’ai imaginé une forme qui rassemble ces deux traditions : l’aspect cartonné pour la BD et le format plus petit pour le côté manuel de savoir. Le papier de recouvrement sur lequel sont imprimées les couvertures, un peu granuleux, donne une petite connotation vintage à l’objet, mais on reste tout de même dans une certaine modernité avec les choix du créateur de la maquette, Elhadi Yazi (par ailleurs, concepteur de la maquette de La Revue dessinée), notamment concernant les typos et les couleurs relativement vives. L’élément marquant de la maquette est bien sûr le losange-titre coloré qui est un petit clin d’œil aux tout premiers albums des éditions du Lombard qui utilisaient également ce motif dans leur présentation. Le Lombard fête ses soixante-dix ans en 2016. C’était une manière de rendre hommage aux premiers temps du Lombard et de montrer que, malgré le temps passé depuis, La Petite Bédéthèque des Savoirs s’inscrit dans une évolution logique de la maison qu’on pourrait qualifier de populaire, éducative et qualitative.

David Vandermeulen & Nathalie Van Campenhoudt © Yves Declercq

La collection est organisée autour de sept thèmes : Pensée, Culture, Société, Technique, Nature, Science et Histoire. Est-ce dans le but de couvrir absolument le plus de domaines possibles ?
N.V.C : Tout à fait, dès le début de notre réflexion, David et moi avions la volonté de couvrir tous les thèmes possibles et imaginables. Nous voulions absolument faire une collection encyclopédique dans la grande tradition des collections Que sais-je ? ou Découvertes Gallimard. J’avoue que ça a été un casse-tête de trouver un nombre restreint de thématiques suffisamment englobantes pour traiter de tous les sujets. On s’est finalement fixé sur le nombre 7, peut-être inconsciemment aussi une référence au fameux slogan du Lombard « La BD de 7 à 77 ans ». En testant pratiquement le choix de ces sept grands thèmes, nous sommes assez satisfaits, car nous arrivons à mettre une « étiquette » sur chacun des titres choisis. Il nous arrive parfois de douter sur le choix du thème principal, car certains titres pourraient être placés sous plusieurs d’entre eux. Mais nous n’avons pas trop de difficultés à identifier le thème majeur d’un album, car nos spécialistes adoptent un angle bien particulier qui nous permet de trancher. Par exemple, pour le numéro neuf consacré à l’artiste contemporain, on aurait pu hésiter entre la thématique « Culture » et la thématique « Société », mais, au vu de l’approche clairement sociologique de Nathalie Heinich, nous avons opté pour « Société ».
D.V : Là, ça a été un peu casse-tête tout ça ! Mais, on a réduit cela à sept thèmes, sept couleurs qui rappellent aussi les couleurs que l’on pouvait voir dans Découvertes Gallimard, les Que sais-je ?, etc… Chacune de ces collections avaient ses codes couleurs selon les thèmes. J’aimais bien ce genre de petite classification. Ensuite, il a fallu trouver des sujets par thèmes.

Justement, comment avez-vous procédé ?
N.V.C : Concernant le choix des sujets, nous avons, David et moi, fait un brainstorming géant, basé sur nos centres d’intérêts, mais pas seulement, nous avons tenté de repérer dans les médias et les conversations les problématiques qui semblaient retenir l’attention d’un large public, des thèmes dans l’air du temps et dont les notions de base nous semblaient pouvoir être circonscrites dans une BD entre cinquante-six et quatre-vingt-huit planches et sous une appellation globale toute simple : un article et un nom commun, avec parfois un adjectif. Nous tenions beaucoup à l’ajout d’un sous-titre à ces titres génériques, de manière à pouvoir préciser l’angle choisi par les auteurs. Nos choix sont aussi guidés par la volonté de doser les différentes thématiques au sein de la collection. Notre inclination naturelle nous pousse à traiter de thèmes culturels ou sociétaux, par exemple, mais nous nous efforçons de sortir de notre zone de confort afin de traiter de thèmes scientifiques ou mathématiques ! Comme les albums de cette collection doivent pouvoir être compris de lecteurs néophytes (on vise un public de grands ados et d’adultes), nous sommes finalement de très bons lecteurs tests dans les domaines que nous maîtrisons moins bien.

La Petite Bédéthèque des Savoirs #1 – © Le Lombard

Avez-vous trouvés les sujets et cherchés les auteurs ensuite ? Ou bien, l’inverse ?
D.V : Il n’y a pas de vraie règle. Mais, c’est vrai que généralement – dans le cas le plus courant – on se met d’accord sur le sujet. Pour cela, on est dans quelque chose de qui se veut dans l’air du temps. Il est certain que, par exemple, l’Intelligence Artificielle est quelque chose qui est totalement dans l’air du temps. C’est d’ailleurs un sujet que j’ai eu dès le tout début parce que je voulais absolument travailler avec Daniel Goossens (Combats). Et pour moi, il est un peu le parrain de cœur de cette collection et je voulais que ce titre soit le numéro un. Parce que Daniel Goossens est le seul auteur de bande dessinée qui a été reconnu internationalement – en étant Grand Prix d’Angoulême – et qui en fait – et ça, peu de gens le savent au sein du monde la BD et encore moins dans le lectorat – a fait toute sa carrière d’auteur sur ses heures de temps libre car il est chercheur en I.A. à Paris VIII depuis 1979. Je voulais absolument travailler avec lui pour démontrer en fait que la bande dessinée ce ne sont pas des petits rigolos que l’on amène chez des intellos ! Il y a aussi des chercheurs, des intellos et des universitaires au sein de la bande dessinée et qui peuvent faire de la BD rigolote, comme Daniel justement. Il était pour moi le cas ultime du chercheur universitaire qui peut faire des choses totalement désopilantes. Ensuite, le livre s’est monté avec Marion Montaigne (Bizarrama culturologique) et Jean-Noël Lafargue. Ça, c’est pour le premier titre. Pour le cas du numéro deux, qui est L’univers avec Daniel Casanave et Hubert Reeves, j’ai d’abord contacté Hubert et je lui ai demandé ce qu’il avait envie de nous raconter. Pour un personnage comme lui, surtout que je ne le connaissais pas à l’époque, je lui ai proposé de venir travailler avec nous mais en lui disant qu’il avait carte blanche. Avec Hubert, il n’y a rien à jeter. J’étais content de ce qu’il me proposait alors. Notamment, quelque chose qui est tout à fait dans le sens de son travail de ces quinze dernières années, c’est-à-dire un travail beaucoup plus métaphysique – scientifique et métaphysique – mais qui est beaucoup moins au fait qu’il y a trente ans ou quarante ans où il était vraiment dans la pure science dure et à la pointe des recherches. Là, on était dans une vulgarisation simple et même poétique de son métier. C’est un très beau livre car c’est un peu un résumé de sa pensée, de toute sa carrière et de tout ce qui l’a fait agir. Je suis content et très fier car au départ, il était très rétif. Il ne voulait pas, en fait ce n’est pas qu’il ne voulait pas mais il était sceptique et ne croyait pas à la bande dessinée. Il pensait que le propos n’était pas traduisible dans le médium. Et quand je suis venu chez lui avec Daniel qui a commencé à travailler des séquences et des découpages, à lui montrer, lui expliquer le langage de la bande dessinée, Hubert a vraiment changé d’avis. Si bien que maintenant que le livre est terminé, il est totalement enchanté du travail. Même plus, pour lui c’est une de ses plus grandes découvertes culturelles.

La Petite Bédéthèque des Savoirs #2 – © Le Lombard

C’est un échange total des connaissances en fait !
D.V : Oui ! D’ailleurs, c’est une chose que je dis souvent aux spécialistes que je contacte. L’idée, c’est vraiment que le spécialiste vienne avec son savoir et que le dessinateur le traduise en langage de bande dessinée. On ne lui demande de devenir scénariste comme ça. C’est pour cela que l’on prend souvent des auteurs qui sont des auteurs complets (dessinateur et scénariste) dont on sait qu’ils maitrisent bien les séquences et les mises en scènes. Et en même temps, en retour, on va les initier car peu connaissent la bande dessinée. Mais, il y en a qui connaissent très, très bien. Par exemple, Ivar Ekeland, notre mathématicien qui a soixante-douze ans, est un fou de Chris Ware. Il connait des choses très pointues et c’est tout à fait surprenant. De fait, ce sont des gens qui ont toujours apprécié la bande dessinée mais de par leurs activités n’ont plus le temps de s’y plonger. Et souvent, ils sont très agréablement surpris. Enfin, pas souvent à chaque fois. Pour le moment, cela se passe très, très bien !

Comment avez-vous choisi les scientifiques dans un premier temps ?
N.V.C : C’est surtout David qui procède au choix des spécialistes, à quelques exceptions près ; cela fait des années qu’il se passionne pour les sciences humaines en général et qu’il est extrêmement attentif aux grands penseurs d’aujourd’hui. Autodidacte, il a pourtant réalisé des albums de BD en tant qu’auteur avec une rigueur digne d’un universitaire, albums d’ailleurs souvent accompagnés de compléments textuels (je pense à Faust, dessiné par Ambre ou encore à la collection Romantica dessinée par Daniel Casanave, sans parler de son énorme travail de reconstitution historique à travers la série Fritz Haber), comme c’est le cas dans la collection. David écrit en effet un avant-propos qui introduit les planches qui suivent et permet de transmettre certaines précautions et nuances que les spécialistes n’ont pas pu intégrer aux planches. Quand David a repéré un auteur potentiel, nous en discutons à deux, nous lisons certains de ses livres, nous regardons des vidéos, etc… afin d’essayer de percevoir la substance de son propos et d’évaluer s’il nous semble possible de collaborer avec lui sur un titre de la collection. Le contact se fait par mail, par les réseaux sociaux ou via des connaissances communes qui permettent de trouver des coordonnées, etc. Ce n’est pas si compliqué que cela de rentrer en contact avec des spécialistes, nous en avons même été relativement étonnés au début de nos démarches. La BD est en règle générale bien perçue par les savants, professeurs, chercheurs, etc. que nous avons sollicités. Cela n’aurait sans doute pas été le cas il y a quinze ans.

La Petite Bédéthèque #8 – © Le Lombard

Quels critères ont déterminé leurs collaborateurs graphiques ?
N.V.C : Pour le choix des dessinateurs et dessinatrices, j’interviens tout autant que David. Nous sommes tous deux familiarisés à la production de BD actuelle et nous sommes, par nos métiers respectifs, constamment en contact avec des auteurs de BD. Nous avons donc une multitude de choix qui s’offre à nous. Cela dit, nous tenons particulièrement à ce qu’il y ait une cohérence entre les thèmes traités et les auteurs de BD choisis. Une fois un spécialiste choisi et un thème plus ou moins déterminé, nous nous mettons à rêver d’un dessinateur (ou d’une dessinatrice) idéal(e), en fonction de ce que nous savons de son travail, de ses centres d’intérêts, des affinités qu’on lui imagine avec le spécialiste choisi. Tout cela s’impose souvent comme une évidence après un peu de réflexion. Mais nous sommes tout de même attentifs à ne pas faire de choix trop évidents non plus et il y a parfois des surprises, comme le choix d’Alfred (Daho l’homme qui chante), au dessin très élégant, pour traiter du tatouage, un thème a priori plutôt dur et sombre. Cela a toutefois parfaitement fonctionné, car l’angle d’attaque du spécialiste, Jérôme Pierrat, était historique et exotique, ce qui a permis à Alfred de déployer toute l’ampleur de son talent et de son élégance de style à travers cet album. Comme quoi, il ne faut jamais hésiter à bousculer les évidences !

Cela représente quand même une grande équipe artistique !
D.V : On a vingt-quatre duos qui sont tous formés. Tous ne sont pas encore à faire leurs planches mais quand même la plupart. Les trois-quarts sont occupés. Cela se passe vraiment très bien.

La Petite Bédéthèque #7 – © Le Lombard

Le but est donc de sortir des vagues de quatre albums tous les trois mois et, tu as dit tout à l’heure sur deux ans dans un premier temps. Pourquoi ce choix de deux années ?
D.V : Parce que je pense qu’une collection ne prend forme que lorsque les volumes sont mis côte à côte. Et donc, en vingt-quatre mois on aura vingt-quatre numéros ce qui représente réellement quelque chose. Dans l’absolu, si on peut tenir cinq ans je trouverais cela formidable. On aurait soixante volumes. Et là, on aurait vraiment quelque chose qui peut porter le nom de Petite Bédéthèque des Savoirs. Pourquoi est-ce que je désire cela et que c’est quelque chose que j’idéalise ? Je pense que ce serait faire venir le lectorat non pas pour acheter le livre de tel dessinateur ou suivre tel spécialiste, mais pour voir si tel thème ou un autre est abordé dans la collection. Pour le savoir, aller vers le livre, vers la bande dessinée pour sa thématique et non plus au petit bonheur la chance des sorties. La bande dessinée mérite – comme la Littérature ou les Sciences Humaines – que l’on aille vers elle pour ce qu’elle raconte en soi et pour ses thématiques. Dans cet idéal est sous-entendu le fait que cette collection est beaucoup pensée pour les non-lecteurs de bandes dessinées. C’est essentiellement ce type de lectorat-là que je veux toucher. Pour le bien de toute la bande dessinée en fait car il viendra gonfler le lectorat général de la BD. Et la BD en a bien besoin ! Je pense qu’il y a un lectorat qui peut s’intéresser aux Sciences humaines et à la BD de savoir, de Réel. Il n’y a pas encore de définition pour cela. Il y a peut-être un terme qui va rester.

La Petite Bédéthèque #7 – © Le Lombard

On est vraiment dans une approche particulière de la bande dessinée avec cette collection.
Il y a eu beaucoup de livres qui ont marqués – c’était des petites pépites dans des catalogues d’éditeurs – comme par exemple L’art invisible de Scott McCloud. Pour moi, c’est vraiment le premier véritable essai en bande dessinée. En plus, c’est un essai qui réfléchit sur lui-même puisque son sujet est la bande dessinée. Donc, c’est un essai sur la bande dessinée en bande dessinée. Il y une mise en abyme très intéressante. C’est de la pure non fiction. Il y a bien sûr d’autres auteurs qui ont amené quelque chose de sérieux, du témoignage et du récit avec une réflexion. Je pense aussi à David B. et Jean-Pierre Filiu qui font Les meilleurs ennemis chez Futuropolis où ils racontent l’histoire des États-Unis avec le monde arabe. C’est de l’essai pur en bande dessinée, c’est même au-delà d’un livre d’Histoire. C’est une vision d’un spécialiste sur ces problématiques-là avec son regard d’intellectuel. Et c’est ce que l’on fait avec La Petite Bédéthèque des Savoirs. Il y a des titres qui se rapprochent un petit peu de l’essai. Par exemple, le titre que l’on sort avec Brüno (Tyler Cross) et Jean-Baptiste Thoret (NDLR : spécialiste du cinéma américain et italien). Jean-Baptiste parle du « Nouvel Hollywood » et décrit comment cette nouvelle génération extrêmement vivace s’est tiré une balle dans le pied dès le début. Et il a une vision, une théorie, une explication qu’il nous dévoile dans le bouquin. Ce n’est pas une histoire chronologique de la création du « Nouvel Hollywood ».

© For Beginners LLC

Justement, l’association entre un spécialiste et un auteur est une base de la collection.
D.V : Je n’ai rien inventé. Ce principe de « un spécialiste avec un dessinateur » existe depuis les années soixante dans le monde anglo-saxon et sud-américain. C’est notamment la collection For beginners (NDLR : Pour débutants). Ces collections ont commencé vers la fin des années soixante. Tout à la base, cela a commencé à Barcelone où il me semble que ce sont des mexicains qui ont fait des Marx pour débutants, des Lénine pour débutants. Alors, c’était très politisé mais très vite ils ont fait des Einstein pour débutants. L’ensemble a été racheté par des américains et s’est donc appelé For beginners. Et ils proposent des titres – qui existent encore – absolument ahurissants comme des Badiou pour débutants, des Saussure pour débutants… Des intellectuels incroyables. On sait que les américains sont très fervents de « French theory » mais c’est quand même assez déroutant de trouver des titres pareils. La grande différence est que ces choses-là n’ont pas fonctionné. Quand en 1984 La Découverte a racheté le principe, ils ont fait un Marx, un Lénine et un Einstein pour débutants. Mais le problème, c’est que le principe était très anglo-saxon. Il y avait un dessinateur pour les premiers numéros et les dessinateurs suivants avaient pris le pli de dessiner comme le premier. En fait, ce sont des faiseurs. C’est donc la production qui est mise en avant, en premier chef. Tandis que la vision occidentale, européenne a toujours été de mettre l’artiste en avant. Donc, l’idée pour notre collection était de mettre en exergue la personnalité des auteurs de BD et de leur dire : « Faites ce que vous sentez ! » Il est évidemment hors de question quand j’appelle Marion Montaigne pour lui dire : « Écoute, on fait une collection de savoir donc tu vas t’abstenir de faire des blagues ! » C’était impossible de lui dire ça et il était hors de question que je lui dise cela. Si on appelle Marion Montaigne, c’est pour qu’elle nous fasse de Marion Montaigne bien évidemment. Mais, nous lui avons dit avec Nathalie qu’on avait un espace réduit avec peu de pages et qu’elle pouvait faire toutes les blagues qu’elle voulait mais en faisant passer de l’information. L’idée est vraiment que ce soient des petits livres qui soient des clés d’entrée, des petits livres de référence pour un apport premier d’un sujet. C’est une machine à rendre curieux cette collection. On peut dire que c’en est le moteur. C’est aussi pour cela qu’à la fin on fait un petit appareil critique avec des propositions pour aller plus loin et qu’il y a un avant-propos.

Oui, d’ailleurs tu préfaces chaque titre avec un soin particulier. Quel en est le but ?
D.V : Oui, je les ai soignées ! Comme on dit vulgairement, je me casse le cul !! (Rires)

La Petite Bédéthèque #4 – © Le Lombard

Elle donne vraiment envie de se plonger rapidement dans le vif du sujet.
D.V : Elles ont plusieurs fonctions ces préfaces. Á la fois, elles servent à parler de ce que les auteurs n’ont pas eu le temps et/ou ont refusé d’aborder. Par exemple, pour Requins notre requinologue s’est refusé de parler de la phobie des requins car il estimait que c’est un point qui n’existe pas. Enfin, qui n’a pas lieu d’être. Et il explique pourquoi. S’il y a des attaques, c’est uniquement dû au fait que les humains rentrent dans leurs territoires et que c’est en réalité un accident, une rencontre fortuite ou encore une erreur sur la personne. D’ailleurs les requins n’aiment pas la chair humaine et c’est pour cela qu’il y a si peu de mort. Ils mangent un peu, voient que ce n’est pas bon, pas mou comme des phoques et recrachent. Bien sûr, il y a de graves blessures car ce sont de sacrées bestioles. Et une morsure suffit pour passer l’arme à gauche. Il y a entre dix et vingt morts par an suite à des attaques de requins. Ce qui est incomparable face au moustique par exemple qui fait des millions de morts. Dans ce cas-là, je me suis dit que j’allais raconter d’où venait cette phobie. Un ami me disait que pour parler d’un sujet, il fallait d’abord donner les poncifs et les idées reçues pour après les démonter. C’est comme cela que les gens s’intéressent à quelque chose. Bien entendu Nathalie et moi, nous ne connaissons pas toujours les sujets que nous abordons. Par exemple, il était clair que je voulais aborder un mouvement musical. Et on voulait éviter de faire des monographies ou des biographies sur un groupe. On est plus sur des mouvements. Il y en a que je connais très bien mais le Heavy Metal, c’était quelque chose d’assez martien pour moi. Bien sûr, je connaissais un peu comme tout le monde mais c’est quelque chose que je n’écoute pas et que je ne comprends pas spécialement. J’ai toujours eu cette question existentielle : « Manowar, est-ce pour de vrai ou pour de faux ? Quand tu vois leurs pochettes, les mecs ils rigolent ou ils ne rigolent pas ? Ils sont premier degré ou pas ? » Maintenant, je sais que c’est premier degré, j’ai compris ! Et Nathalie était encore moins Heavy Metal et on a trouvé cela passionnant. On est des premiers lecteurs et des candides. Jacques de Pierpont nous a demandé à qui il devait s’adresser pour écrire ce livre, quel était son lectorat. On lui a dit de s’adresser à un jeune kid de seize ans qui est un « métaleux » – connaissant tout et se préparant pour le Hellfest – et à sa grand-mère qui regarde son petit-fils et ne le comprend pas. J’ai un peu dérivé là ! (Rires) Et ces préfaces dédouanent les auteurs de ne pas avoir parlé de certaines choses. Bien sûr, je les fais en bonne entente avec les spécialistes. Á la base, je m’étais dit qu’il fallait une préface car le format est tellement court, cinquante-six pages de bande dessinée, et que si le spécialiste est frustré de ne pas pouvoir parler de quelque chose, et bien en quelques mots on va pouvoir le dire dans la préface. C’est pour rassurer les auteurs aussi. Comme cela, tout le monde est satisfait. Aussi bien les candides que ceux qui connaissent très bien le sujet abordé. L’idée est de plaire à tout le monde ! (Rires)

Je parle de moi mais nous sommes vraiment à deux sur la collection. Il y a Nathalie. Elle choisit aussi les thématiques. Elle a beaucoup de feeling pour trouver les auteurs de BD. Á nous deux réunis, on commence à connaitre un bon paquet de monde dans la bande dessinée. L’important, c’est le bon duo. Je dis souvent qu’on est bons marieurs. Car si le duo est bien réussi, quatre-vingt pour cent de la réussite de l’album est là. Nathalie a également initié des projets comme Le féminisme où je lui laisse la main ou encore l’Histoire de la prostitution. On se partage les titres. Ce n’est pas du partage pour partager. Cela ce se fait tout naturellement. C’est une question de feeling, d’affinité et d’évidence. C’est ce qui fait que Nathalie est extrêmement précieuse. Une autre de ses qualités est que, je pense, elle a réussi, à faire des petits livres qui sont des vraies tueries. Toucher, c’est acheté ! C’est terrible ! Ils sont tellement mignons, délicats. C’est très raffiné, très pensé. Il y a plein de subtilité dans la confection. Elle a tout pensé et tout a une logique. On a également travaillé avec un graphiste, Elhadi Yazi, qui n’est pas n’importe qui. Il fait les hors-série de Télérama et c’est lui qui a fait la refonte du journal L’équipe dernièrement. Mais c’est surtout le maquettiste de La revue dessinée. Je voulais un graphiste externe pour vraiment apporter quelque chose de complètement neuf et qui soit complètement à part. Avec Nathalie, on lui a dit qu’on voyait du « Néo-vintage-chic » ! Et il a totalement rempli sa mission.

Merci à tous les deux de nous avoir dévoilé les arcanes la collection.
N.V.C & D.V : Merci à toi !

Propos recueillis par Stéphane Girardot.

Interview réalisée le 01 avril 2016.

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Description de l'auteur

Stéphane Girardot

Département : Bouches-du-Rhône / Séries préférées : Capricorne, Alter Ego, La Quête de l’Oiseau du Temps, L’Épée de cristal, Aquablue, Le Chant des Stryges, City Hall, Lastman, Sisco, END, Sky Doll, Rapaces, De capes et de crocs, La Nef des fous… / Auteurs préférés : Andreas, Régis Loisel, Barbara Canepa, Serge Le Tendre, Olivier Vatine, Mathieu Reynès, Matéo Guerrero, Turf… / J’aime aussi : ma famille, le cinéma, la cuisine vietnamienne, le tatouage et la boisson typique du Sud (devinez laquelle !).

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