Durant le dernier jour de notre présence au F.I.B.D. d’Angoulême 2016, nous n’avons pas manqué l’occasion d’interviewer la seule femme présente sur le stand des éditions du Lombard. Il s’agit de Daphné Collignon qui a illustré avec beaucoup de sensibilité Flora et les étoiles Filantes sur un scénario de Chantal van den Heuvel. Un entretien tout en douceur que nous vous proposons de partager.
Avant de parler de Flora et les étoiles filantes, peux-tu te présenter Daphné car tu as un CV assez étoffé ?
J’ai commencé la bande dessinée dans les années deux mille avec Isabelle Dethan pour Le rêve de pierres. C’était une fiction d’aventure. Ensuite, je me suis lancée toute seule sur un diptyque : Coelacanthes. J’ai fait pas mal de choses en fait. J’ai dû faire huit ou neuf albums dans des genres assez différents. J’aime bien varier un peu. Après le diptyque, j’ai fait le portrait d’une reporter de guerre qui s’appelle Anne Nivat, dans Correspondante de guerre, qui couvre toujours des conflits dans le monde et écrit des reportages sous forme de livres. J’ai également participé à la série Destins avec Frank Giroud. C’est là où j’ai vraiment collaboré avec Virginie Greiner pour la première fois. Et avec laquelle j’ai fait Avant l’heure du tigre qui est tiré de l’autobiographie de Clara Malraux qui s’appelle Nos vingt ans. On a fait cela chez Glénat, c’est un roman graphique. Et puis, il y a Flora. Et j’ai oublié Sirène que j’ai réalisé avant ma collaboration avec Virginie (Greiner).
Et tu enseignes également.
Oui, j’enseigne. J’ai pas mal enseigné quand j’étais au Maroc. Et en France, j’habite à Lyon maintenant, je suis enseignante depuis trois ans dans une école où je donne des cours d’illustration.
Tu travailles essentiellement avec des auteures. Tu as collaboré avec Isabelle Dethan, Virginie Greiner notamment. Est-ce une volonté personnelle ou le hasard des rencontres ?
Oui, c’est vraiment le hasard. Même avec Frank, il a créé le concept Destins et on a collaboré qu’indirectement avec lui puisqu’il chapeautait tout le projet. C’est avec Virginie que j’ai vraiment travaillé. C’est vrai que je n’ai jamais collaboré avec des hommes. Á part un directeur artistique sur Sirène, justement. Et là, j’ai peut-être un projet avec un homme en tant que scénariste. C’est la première fois. Je m’en suis rendu compte à ce moment-là ! C’est vrai que ce ne sont pas du tout les mêmes rapports qu’avec une femme. Mais tout s’est fait de manière spontanée, par affinité. Ce n’est pas du tout délibéré.
Peut-on dire que Flora est un peu différent des autres BD que tu as faites ? Car elle est plus ancrée dans une réalité palpable avec moins de subjectivité.
Si on met de côté Correspondante de guerre, oui on peut dire cela. C’est moins onirique. Il a se côté plus ancré dans le quotidien. Je réfléchis aux autres albums que j’ai faits en fait. Oui, c’est moins une fiction, une aventure ou encore un reportage. Effectivement de ce point de vue-là, oui !
Quels sont les points qui t’ont attirée dans ce projet avec Chantal Van Den Heuvel ?
En fait, j’aime bien faire des choses différentes les unes des autres, essayer plein de genres différents. En l’occurrence, j’étais en train de faire un énorme pavé, Avant l’heure du tigre, avec Virginie. Et c’était très intéressant et passionnant à faire. Mais il y avait beaucoup de documentation à chercher. C’était une grosse BD historique avec du fond, etc… Auparavant, j’ai fait pas mal d’illustration où il y avait justement cette dimension avec des jeunes, des ados, des histoires qui se passent dans le quotidien, des petites histoires. Ce n’est pas péjoratif quand je dis petites histoires. Car souvent derrière les petites histoires, il y a des choses justement très profondes qui passent et c’est le principe des récits pour les ados et les enfants en général. C’est comme cela qu’on les écrit. Du coup, c’est ce que j’ai apprécié en ayant ces deux scénarios ensemble (Avant l’heure du tigre et Flora et les étoiles filantes). Je me suis dit : «Il y a la légèreté – voulue – dans le scénario de Flora qui va m’aider à essayer autre chose ». J’aime bien avoir des projets qui me permettent de passer d’un univers à l’autre. Cela me permet de me renouveler graphiquement déjà. Ensuite personnellement, je ne peux pas porter plusieurs projets lourds en même temps. Autant le Clara Malraux n’était pas spécialement lourd, car Virginie a une écriture facile et plutôt amusante, mais – ce qu’elle raconte – ce passage de la vie de Malraux l’est. Il y avait des enjeux derrière, il ne fallait pas se planter. Et dans Flora, il y avait ce côté sans enjeu justement, avec une histoire du quotidien mais une histoire importante à raconter. Et puis, qui décrivait des choses que je vivais en plus à ce moment-là ! Je précise, je ne suis pas inscrite sur des sites sur internet comme Flora dans l’histoire (Rires). J’étais en train de divorcer, j’ai un enfant. Voilà, il y avait tout ce quotidien que je vis, que je connais et qui m’intéressait de dessiner, avec légèreté. Cela me permettait de prendre de la distance et en même temps, je voyais très bien les difficultés auxquelles elle pouvait être confrontée. C’est un mélange de tout cela qui m’a attirée.
Ton style graphique est vraiment particulier et agréable. Dans Flora, il fait penser au dessin de Michel Constant pour Bitume. Quels sont tes influences au sens général du terme ?
D’abord, on a des influences de départ. Je fais partie de la vague des années quatre-vingt. On pourra citer en références Hermann (Old Pa Anderson), Moebius (L’incal), Loisel (La quête de l’oiseau du temps), Bilal (La trilogie Nikopol), Bourgeon (Les passagers du vent)… que je lisais au début. J’aimais beaucoup les mangas quand j’étais gamine. Il y a toutes ces bandes dessinées d’aventures avec des dessins très différents et avec une ligne claire, en général. Puis quand j’étais étudiante, je suis passée au registre des auteurs américains, des comics. Mais la veine underground avec des auteurs comme Bill Sienkiewicz (Elektra) ou Alan Moore (Watchmen). Á l’époque, j’étais surtout fan de Dave McKean (Cages). Et puis aussi, il y avait plein de photographes – en fait – dans cette veine-là que l’on découvrait les yeux écarquillés. D’ailleurs, j’ai retrouvé – il n’y a pas longtemps – dans un dépôt-vente un livre d’un photographe qu’on avait déniché avec un de mes meilleurs amis et qui faisait des photos ressemblant à du Dave McKean. Des photos complètement barrées ! Donc tout un univers comme cela, très particulier graphiquement. J’aime beaucoup la peinture aussi. Il y a eu plein d’influences provenant de la peinture abstraite, de Nicolas de Staël par exemple. J’aime beaucoup les Préraphaélites aussi. En fait, j’aime tout. Je me suis construite comme cela en découvrant plein de choses. J’ai fait trois ans d’études à Émile-Cohl et j’ai commencé à travailler tout de suite. Du coup, c’est un peu en autodidacte que j’ai découvert plein de choses et les influences sont venues de manière complètement anarchique. Et en ce moment, c’est plutôt avec Pinterest que je marche. Le site envoie des mails par association des recherches que j’ai faites et à l’heure actuelle, je regarde des images en rapport avec une direction graphique que j’ai commencé à explorer. Ce sont des auteurs que personne – je pense – ne connait en dehors de l’illustration. Des auteurs étrangers qui ne sont pas forcément connus en BD en plus. Car l’illustration et le graphisme sont deux mondes vachement séparés en France. Ce qui est dommage. En fait, tout est fonction de ce que je vois et qui va me donner une idée. Ou alors un auteur que je vais rencontrer visuellement et que je vais adorer. Sur Flora, c’était vraiment particulier car il y avait déjà un fond graphique bien installé. Et Chantal au début, quand on parlait du projet, voulait aller vers Posy Simmonds (Literary life). Et l’histoire ne pouvait pas être faite comme du Posy Simmonds. Au niveau du scénario, cela ne fonctionnait pas. Par contre, cela ne pouvait pas non plus ressembler à du Margot Motin. Donc en fait, j’ai trouvé un truc entre les deux. Et il a fallu que je trouve des astuces pour croiser un peu.
Techniquement, comment as-tu travaillé sur le projet ?
Á la tablette graphique. Tout sur ordi.
Quels sont les premiers retours que vous avez eus de la part du public, féminin et masculin ?
J’avais été interviewé une fois par un journaliste luxembourgeois qui m’avait dit qu’il avait beaucoup aimé et s’était reconnu dans le livre aussi d’ailleurs (NDLR : votre serviteur également, d’où le aussi !). Mes copines, ça les fait rigoler. Sinon, je n’ai pas fait beaucoup de festival donc c’est difficile de savoir réellement, pour le moment.
Autant l’identification à Flora pour une femme est évidente, est-ce que cela te surprend qu’un homme puisse se reconnaitre dans l’héroïne également ?
Oui, je suis assez surprise ! (Rires) Parce que ce journaliste m’avait dit comme toi, qu’il s’était reconnu à la fois dans le personnage et aussi dans les hommes qui pouvaient être autour. Il s’était mis dans l’histoire avec ce quotidien, que pas mal d’hommes – je pense – vivent aussi aujourd’hui de la même façon. Puisqu’il y a beaucoup de gardes alternées, il y a beaucoup de couples qui se séparent et que les hommes aussi prennent en charge les enfants. C’est vrai que cela complique les choses, pas dans le sens négatif du terme.
C’est tout une organisation…
Voilà, cela demande une organisation différente, une organisation tout court d’ailleurs. (Rires) Du coup, on est confronté aux mêmes problèmes. Mais lui, il s’était plutôt placé en tant que «voyeur». C’est le terme qu’il a employé si je me rappelle bien. Mais, dans le sens où il regardait ces nanas qui discutaient entre-elles. Et, il était intrigué. Il se demandait si c’était vraiment comme cela. Si entre copines, on s’envoyait vraiment autant de vannes. Moi, non ! Mais la scénariste, oui ! Puisque c’est elle qui a écrit l’histoire. En tout cas, il s’est reconnu dans le personnage principal.
As-tu des projets dans l’immédiat ?
Je travaille sur un livre qui prend place dans la collection des Grands peintres chez Glénat. C’est sur Tamara de Lempicka et c’est toujours avec Virginie Greiner. Le thème qu’elle a choisi porte sur la quête du modèle. J’ai également l’adaptation d’un roman chez Rue de Sèvres à venir. Ce sera plus jeunesse. Voilà !
Merci beaucoup Daphné pour ce moment !
Merci à toi.
Propos recueillis par Stéphane Girardot.
Interview réalisée le 30 janvier 2016.
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