Titre : Lucienne 1853
Scénariste : Carole Martinez
Dessinatrice – Coloriste : Maud Begon
Éditeur : Casterman
Parution : Février 2017
Prix : 17€
1853. Tirant sa charrette, Julienne, la lavandière de Jersey, se rend chez les Hugo. Chemin faisant, elle converse avec une petite fille aux cheveux roux qui l’aime bien car la vieille la voit dans l’entre-deux où elle se trouve. Aux abords de la maison du poète exilé, l’esprit constate que la famille fait beaucoup de bruit et risque de réveiller ses congénères. Et comme il est interdit de jouer avec les vivants, elle empêche le gardien de toucher l’électrocardiogramme de Nassim, le petit ami de Lou, qui est entre la vie et la mort…. de nos jours. Cependant, le cœur de Nassim s’est arrêté et a failli ne pas repartir. Lou s’en veut car elle a compris que ses pouvoirs menacent les gens qu’elle aime. En partant de l’hôpital, ses pas la guident chez le docteur Pierre Albert. Elle découvre avec stupeur qu’il est mort mais que son fantôme est resté dans son cabinet pour finir son travail avec elle. Sous hypnose, il va l’aider à remonter dans le temps pour fouiller le passé et comprendre comment utiliser son don afin de sauver Nassim. Il leur parait alors évident que la clé se trouve en 1853 sur l’île de Jersey auprès de Victor Hugo, lorsqu’il s’intéressait au spiritisme pour établir un contact avec sa fille Léopoldine, morte noyée.
Après un contact avec Pierre et Marie Curie dans le second opus, Carole Martinez lance son héroïne Lou à la rencontre de Victor Hugo au moment de son exil à Jersey. Une période où le spiritisme a une certaine importance pour l’homme de Lettres. Quoi de plus naturel comme choix de personnage sachant que Bouche d’ombre est le titre éponyme d’un de ses poèmes issu des Contemplations. La romancière met rapidement le lecteur dans l’ambiance en proposant deux niveaux de lecture dès les premières planches. En effet, les trois dernières strophes d’Ultima Verba (poème du recueil Les Châtiments publié en septembre 1852) accompagnent l’introduction telle une mélopée. De fait, cet avant-dernier tome est très intéressant car, au-delà de la (re)découverte de cette période précise de la vie du poète et de ses traits de caractère (infidèle, généreux, passionné, engagé), le fil rouge est bien développé et bien servi par de nouveaux protagonistes. La scénariste distille suffisamment d’éléments pour capter l’audience et entraîner le lecteur dans les séances d’hypnose de Lou tout en conservant une part du mystère pour le final. De plus, de nombreux passages du Livre des tables – Les Séances spirites de Jersey (Gallimard), judicieusement intégrés dans le texte, ajoutent à l’authenticité des situations. Il en découle une ambiance ésotérique que le dessin vaporeux et évanescent de Maud Begon retranscrit parfaitement. Comme si un simple souffle de Josette, la petite fille rousse, pouvait faire disparaître l’histoire avec la même innocence qu’elle fait s’envoler les galures des gens. Une prestation graphique emplie de sensibilité. Pour finir, un vernis sélectif présent sur la couverture révèle selon l’angle de vision le gardien qui veille. Un petit détail plein de sens.
Une excellente lecture, où fantastique et poésie font très bon ménage, et qui augure un dernier tome très intéressant.
Stéphane Girardot
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